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Cronstadt, le mythe anarchiste

Partisan Magazine N°17 - Juin 2021

Cronstadt est une référence très importante pour les anarchistes à travers le monde, toutes tendances confondues. Leur analyse de l’évènement est un condensé de leur critique de la Révolution russe sous la direction du parti bolchévik. Ils y voient une réfutation du marxisme et une validation des théories anarchistes sur le rôle de l’Etat autoritaire. Pour les 100 ans de la révolte est paru un Communiqué international anarchiste pour le centenaire du soulèvement de Crondstadt en 1921 [1], que nous critiquons.

Dictature du prolétariat ou dictature sur le prolétariat ?

Pour les anarchistes d’aujourd’hui, la Révolution russe de 1917 s’est très vite transformée en dictature du parti bolchévik sur tout le peuple.

Alors comment caractériser la phase dans laquelle se trouve la révolution lors de la révolte de Crondstadt ? Pratiquement rien n’est socialiste. L’économie, l’armée, l’éducation, tout est étatisé au maximum. La dictature du prolétariat est à un stade où c’est la centralisation et non la démocratie qui est l’aspect principal. Pour des raisons évidentes : guerre civile, interventions impérialistes, économie dévastée. La répression politique touche bien au-delà des ennemis du prolétariat. La dictature s’exerce aussi sur les ouvriers (despotisme d’usine) et les paysans (réquisitions forcées). C’est une contradiction mais il n’en reste pas moins que le parti bolchévik se bat encore idéologiquement et politiquement pour leur intérêt général et à long terme. Mais c’est clair que c’est une contradiction « qui fait mal ».

La dictature du prolétariat est réelle, matérialisée par l’importance politique des ouvriers dans les organismes d’Etat, l’armée, les organes de gestion économiques. Pour l’essentiel, seuls les objectifs de la révolution nationale et démocratique ont été réalisés : fin du tsarisme, révolution agraire, nationalisations. Comme toute phase de transition, la question est de savoir dans quelle direction on va. En 1921, la contre-révolution bourgeoise qui s’achèvera sous Staline est déjà en germe, mais rien n’est encore joué. Il est donc trop tôt pour parler de dictature sur le prolétariat.

Démocratie soviétique contre Etat bolchevik

« En réalité, les aspects les plus inacceptables pour les Bolcheviks dans la résolution du Petropavlovsk étaient bien ceux qui concernaient le rétablissement de la démocratie des Soviets. »

Les anarchistes mettent en avant la démocratie des Soviets et des comités d’usine et critiquent l’étatisation du pouvoir soviétique. Les Soviets ont été la forme révolutionnaire du pouvoir du prolétariat à partir de 1917. Mais en 1921, Soviets ouvriers et comités d’usine n’ont pratiquement plus aucune existence en tant qu’organes de pouvoir. Leurs éléments les plus conscients et combatifs ont été absorbés par les tâches de la dictature du prolétariat. Que signifie dans ce contexte le mot d’ordre de rétablissement de la démocratie des Soviets ? Concrètement, l’abandon du pouvoir centralisé de la dictature du prolétariat, l’abandon face à la contre-révolution.

En Russie soviétique, le pouvoir était exercé par la couche avancée du prolétariat et non par les masses. Au contraire, les anarchistes veulent un pouvoir aux masses, tout de suite, sans transition. C’est supposer que le lendemain de la révolution les contradictions de classe s’évanouissent, que le prolétariat et la paysannerie sont spontanément révolutionnaires et directement en capacité de diriger la transition au communisme/anarchisme. Toute la difficulté est que l’avant-garde dirigeante reste consciente du rôle de l’Etat, de sa nature de classe, qu’elle reste déterminée à le faire dépérir, et qu’elle entraîne les masses dans cette voie. Ce qui n’a pas été le cas en URSS, bien au contraire.

« C’est bien les Bolcheviks, et non celles et ceux de Cronstadt, qui se placèrent en opposition avec la classe ouvrière ». Comme on l’a vu, les marins de Cronstadt étaient plus représentatifs de la paysannerie armée que de la classe ouvrière. Quant aux ouvriers, qui soi-disant s’opposaient en masse au parti bolchevik, c’est confondre la fatigue et l’exaspération des masses illustrées par les grèves avec une opposition politique.

Politique révolutionnaire et politique petite-bourgeoise

« Les Bolcheviks […] tenait leur 10e congrès pendant la période du soulèvement de Cronstadt. Les critiques de cette rébellion considèrent souvent que les points de la résolution du Petropavlovsk constituaient une revendication inacceptable d’un compromis avec la petite paysannerie. Ils oublient aussi souvent de mentionner que le même 10e congrès adopta la Nouvelle Politique Economique, qui constituait en réalité un compromis bien plus important ».

En gros les bolchéviks n’ont fait que reprendre à leur compte les revendications des révoltés de Cronstadt. En réalité, il y a d’un côté un programme petit-bourgeois, au sens de paysan/artisan/commerçant, qui correspond à l’aspiration d’une classe sociale de rétablir les bases de sa richesse. Et de l’autre une concession temporaire, pour restaurer l’alliance entre ouvriers et paysans, rétablir l’agriculture et le commerce. Cette concession étant vouée à laisser place à la transition socialiste des campagnes. Comme quoi une politique ne se juge pas seulement à son contenu immédiat.

Ces « quelques léninistes » qui mentent

D’abord on note que dans le mythe anarchiste de Cronstadt il y a pas mal d’arrangements avec la vérité : le caractère réactionnaire des certaines revendications des révoltés, le soutien des Blancs, la prise du pouvoir tout sauf démocratique. Et des angles morts habituels : aucune analyse de la situation concrète, des classes sociales en présence. Pour notre part, nous essayons d’avoir une analyse matérialiste des évènements, de replacer la révolte dans son contexte. Pour nous c’est « un éclair qui a illuminé la réalité » de la Russie soviétique en 1921, dont la principale leçon est de mettre le doigt sur l’échec du parti bolchévik à traiter correctement les contradictions au sein du peuple et avec la paysannerie en particulier.

En conclusion

« Aujourd’hui, les anarchistes agissent pour fomenter de nouvelles révolutions des classes populaires et laborieuses et se battent pour l’instauration de la démocratie la plus directe possible dans ce cadre ».

Reprenons cette proposition à notre compte, mais en la reformulant : 1) dans la société communiste, la démocratie la plus complète sera réalisée 2) Dans la période de transition vers cette société, nous nous battrons pour « l’instauration de la démocratie la plus directe possible ».
Comme souvent, d’accord sur le but (une société sans classe), mais pas sur la voie : dictature prolétarienne ou démocratie petite-bourgeoise.

[1Toutes les citations de l’article sont issues de ce texte. Pour lire en intégralité : https://renverse.co/infos-d-ailleurs/article/100-ans-depuis-le-soulevement-de-cronstadt-2942 Toutes les citations de l’article sont issues de ce texte.

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