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Le peuple kurde a toujours besoin de notre solidarité

Partisan Magazine N°18 - Décembre 2021

La guerre en Syrie dure depuis bientôt 11 ans et cela fera bientôt 10 ans que l’autonomie des trois cantons à majorité kurde du Nord-Est (Afrine, Kobané et Djezireh/Qamishli) a été proclamée par le Parti de l’Union Démocratique (PYD) et ses alliés kurdes, arabes et assyriens, sous le nom de Fédération Démocratique du Rojava.

Le régime d’Assad, qui jouait alors sa survie contre l’Armée Syrienne Libre (ASL), s’était alors désengagé militairement du Nord du pays pour concentrer ses troupes autour de ses villes-bastions. Contrairement à ce que les médias pro-ASL pouvaient raconter à l’époque, la proclamation de l’autonomie n’était pas le résultat d’une alliance entre le PYD et Assad. Jamais le régime n’a accepté de traiter avec l’autorité autonome, et la reconquête militaire du nord a toujours figuré dans ses buts de guerre. La ville frontière de Hassaké, coupée en deux, a été le théâtre de tensions permanentes qui ont plusieurs fois dégénéré en affrontement armés.

Dans le contexte d’écrasement des « printemps arabes », le Rojava a représenté un espoir pour beaucoup de militant-e-s révolutionnaires autour du monde. La situation en Syrie devenait chaque jour plus désespérante : le régime, soutenu par l’Iran et la Russie, multipliait les atrocités tandis que les fractions les plus réactionnaires prenaient le contrôle de l’opposition armée avec l’aide de la Turquie et du Qatar, qui leur distribuaient en priorité le matériel militaire (fourni par la France, les USA et leurs alliés). Les ikhwanistes (« frères musulmans ») ont ainsi progressivement pris la direction de l’ASL, avant d’être concurrencés par Al Nosra (lié à Al Qaida et soutenu un temps par la France) puis, à partir de l’été 2014, Daech est entré dans le Nord de la Syrie.

Entre 2012 et 2014, des fractions rebelles, composées en majorité d’Arabes et de Turkmènes, qui refusaient de prêter allégeance à la Turquie ou à al-Nosra se sont rapprochées des milices kurdes YPG/YPJ (c’est le cas de l’ « armée des révolutionnaire »-Jaych al-Thuwar- et du « volcan de l’Euphrate »-Burkân al-Furât). Leurs combattants ont joué un rôle important dans la bataille de Kobané (novembre 2014-février 2015) qui a marqué un point d’arrêt à l’offensive fulgurante de Daech et au mythe de son invincibilité. Pour la première fois à la fin de cette bataille, les Kurdes ont reçu un appui militaire des USA et de la France, qui soutenaient jusque là l’ASL.

Le Rojava, un pion dans le jeu des contradictions inter-impérialistes en Syrie

En 2015-2016, les forces russes et US (et dans une moindre mesure françaises) vont chercher chacune de leur côté à nouer une alliance avec ces milices disciplinées et idéologiquement motivées pour servir leurs propres desseins impérialistes.

La Turquie, membre de l’OTAN, s’oppose à ce que les USA fournissent directement des armes aux « terroristes kurdes » des YPG/YPJ, ce qui conduit les USA a pousser à un regroupement des milices kurdes, arabes, turkmènes et assyriennes dans un seul bloc, les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) avec à sa tête le « commandant général » Mazloum Abdi. Les FDS servent de troupes au sol pour l’offensive de la coalition US contre les bastions de Daech lors des batailles de Manbij (été 2016), al-Bab (décembre 2016-février 2017), et Raqqa (Juin-Octobre 2017). A chaque fois, les FDS installent dans les villes prises un système inspiré de l’ « autogestion démocratique » de la Fédération du Rojava qui se transforme ainsi fin 2016 en Système fédéral démocratique de Syrie du Nord puis en 2018 en Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES). En effet, les populations des zones d’al-Bab et surtout de Raqqa sont majoritairement arabes.

Les Russes ont abandonné tout projet d’alliance stratégique avec les FDS après la bataille de Manbij et le bombardement par les troupes pro-Assad des positions kurdes à Hassaké (Août 2016). De plus, depuis l’été 2016, Erdogan a prétexté d’une tentative de coup d’état pro-US à Istanbul pour se livrer à un chantage au rapprochement avec la Russie. Chantage accueilli très favorablement à Moscou, qui lui abandonne le canton kurde d’Afrine en levant son bouclier aérien (janvier 2018).

Fin 2018, l’administration US annonce sa volonté de retirer ses troupes de Syrie du Nord pour les concentrer sur les seuls champs pétrolifères d’al-Omar et Conoco. Les villes kurdes de Serêkaniyê (Ras el Aïn) et Girê Spî (Tell Abyad) sont ainsi livrées à la Turquie en octobre 2019.

L’impérialisme français, historiquement présent en Syrie depuis la colonisation, s’est ému du retrait américain et a assuré à plusieurs occasions les autorités de l’AANES de toute leur sympathie tout en précisant bien qu’ils n’avaient pas vocation à protéger le Rojava en se substituant au bouclier US.

Bref les impérialistes ont utilisé les milices kurdes et leurs alliés au gré de leurs intérêts avant de lâcher le Rojava.

Le soutien fluctuant de l’extrême-gauche française et internationale

A partir de 2012, et surtout de la bataille de Kobané, le Rojava est devenu le lieu de l’investissement de tous les rêves et de pas mal de fantasmes pour beaucoup de révolutionnaires marxistes et anarchistes autour du monde, un peu comme les Zapatistes mexicain dans les années 90 et, à une plus grande échelle comme la Chine de la Révolution culturelle. Au Rojava disait on alors, on avait enfin trouvé la formule de l’alliance entre socialisme et démocratie. L’efficace propagande du PYD et de ses partis frères (PKK, PJAK) autour de la « révolution des femmes » a encore renforcé cette aura. Le livre Hommage au Rojava témoigne de cet espoir qui a conduit de nombreux jeunes révolutionnaires du monde entier à aller combattre aux côté des milices YPJ/YPG et de leurs alliés (même si, dans les faits, la grande majorité des combattant.e.s internationaux/ales étaient des marxistes-léninistes de Turquie).

Les tentatives des autorités du Rojava de négocier leur survie en jouant sur les contradictions inter-impérialistes, ont donné aux amateur/trice.s de mode et d’exotisme révolutionnaires une bonne raison de se désintéresser du Rojava, au moment même d’ailleurs où les impérialismes l’abandonnaient.

Ils ont ainsi rejoint celles et ceux qui depuis le début refusent tout soutien au Rojava : les fidèles soutiens du camp impérialiste Russie-Chine et du régime al-Assad et les nostalgiques de la « révolution syrienne » de 2011 qui cherchent un bouc-émissaire à son échec et continuent à soutenir des résidus de l’ASL désormais contrôlés par la Turquie. Les critiques de ces militant-e-s sont convergentes : les Kurdes sont pour eux des nationalistes bourgeoi.se.s alliés à l’occident qui ont conquis des territoires en majorité arabe à al-Bab et Raqqa. Loin d’en avoir libéré les populations locales (d’Assad et de Daesh) ils et elles les opprimeraient, et ces populations se révolteraient d’ailleurs périodiquement. Enfin, ils et elles vendraient le pétrole syrien aux USA en échange de ce soutien militaire.

Une autre critique existe depuis la déclaration d’autonomie au Rojava : celle de courants « ultragauche » hostiles par principe à toute lutte de libération nationale et qui s’indignent du soutien au Rojava d’une partie importante du mouvement libertaire. On a pu ainsi lire dans la revue Echanges et Mouvements , un texte bourré d’erreurs signé Henri Simon, qui concluait à une sorte de putsch politico-militaire du commandant général Abdi (renommé « général » par l’auteur du texte) au détriment des organisme de base de l’autogestion démocratique.

Ce que nous savons de la situation au Rojava :

Nous n’avons pas attendu la bataille de Kobané pour découvrir l’existence du peuple kurde, divisé entre la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran et victime d’une oppression nationale féroce. En 1992 déjà, nous avons pulié une brochure Kurdistan, Turquie, vers la révolution. Nous y sommes régulièrement revenus, notamment dans un dossier du magazine Partisan en mai 2015 (Palestine-Kurdistan, quelles solidarités avec en particulier un long article documenté sur le « Confédéralisme Démocratique »). Nos critiques envers la direction du PKK (dont sont sortis le PYD en Syrie et le PJAK en Iran) front interclassiste à direction petite bourgeoise et à tendance conciliatrice, n’ont pas varié. Pour autant le peuple kurde est avec le peuple palestinien un des ferments de la révolution anti-impérialiste au Moyen-Orient, et il reconnait dans ses larges masses le PKK et le PYD au Rojava comme les représentants de sa lutte.

La proclamation de l’autonomie du Rojava n’a pas été un putsch du PYD. Il a été accompagné d’une importante dynamique populaire et révolutionnaire, en rupture avec les logiques policières et clientélistes de la dictature Assad. La bataille de Kobané a été le symbole de cette mobilisation.

La situation est actuellement dramatique. Au recensement de 2017 plus de 6 millions de personnes (sur les 17.5 millions de la population syrienne totale ) vivaient au Rojava, beaucoup se sont réfugié.e.s là pour fuir la guerre et la misère et vivent de l’aide internationale (quand on la laisse arriver). L’Administration autonome doit également prendre en charge, les survivant.e.s étrangers de l’ex-califat de Daech, que les pays arabes et occidentaux refusent de rapatrier, tout en refusant de financer un tribunal international sur place pour le génocide des Yézidi.e.s à l’été 2014. Dans le camp d’al-Hol on trouve ainsi 60 000 personnes dont de nombreux enfants, sans pouvoir distinguer les auteur/trice.s de crimes des innocent.e.s embrigadé.e.s qui leurs servent d’otages. Les mutineries sont fréquentes.

Le territoire de l’Administration autonome est enclavé entre les zones contrôlées par Assad, celles contrôlées par la Turquie et celles de la région autonome du Kurdistan d’Irak dirigée par les Barzani, un clan mafieux et féodal allié à la Turquie. La dernière frontière ouverte aux marchandises, le pont de Semalka, est contrôlée par les Talabani, le clan féodal rival des Barzani, qui menacent de la fermer. La Turquie utilise ses barrages sur l’Euphrate pour mener la « guerre de l’eau » contre les populations du Rojava.

Dans les zones majoritairement arabes qu’elle gère à Raqqa et al-Bab, l’Administration a fait preuve de beaucoup de prudence pour ne pas froisser les populations. Les autorités féodales et tribales ont été ménagées et intégrées aux processus de décision (même quand elles avaient collaboré avec le régime Assad et Daech) et la conscription n’a pas été étendue aux filles. Le manque de zèle à s’appuyer sur les paysans pauvres et sur les femmes de ces zones pour y mener énergiquement la lutte antiféodale a été une source de déception pour les révolutionnaires d’Europe et de Turquie qui avaient participé aux combats.

L’établissement de la conscription (juillet 2014) et la création d’une sorte d’armée régulière a pu faire craindre une militarisation de la révolution. Pourtant rien ne laisse à penser que son chef, Mazloum Abdi soit le Bonaparte que fantasment certains : ses initiatives conciliatrices (envers les USA, envers les chefs féodaux, envers les clans féodaux qui contrôlent le Kurdistan d’Irak) ont été critiquées après coup que ce soit par les responsables du PKK dont il est issu, ou par ceux du PYD (comme Ihlan Ehmet, personnage-clé de la révolution et présidente du Conseil Démocratique Syrien). Il est logique que les USA essaient de placer des hommes de confiance à la tête du processus pour le faire dévier selon leurs intérêts. La question est bien de savoir qui commande du Parti (la politique, et dans ce cas, quelle politique) ou des Fusils , mais pour l’instant nous n’avons pas d’éléments probants qui permettent pour dire que l’armée à pris le pas sur le Parti et les Conseils populaires.

Avec toutes ces limites, celles d’un processus démocratique à direction petite-bourgeoise, le Rojava reste une des expériences les plus avancées dans la région, et une lueur d’espoir dans un pays plongé dans l’horreur. Comme le peuple palestinien, le peuple kurde et les peuples du Rojava ont toujours besoin de notre solidarité.

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