L’OCML-VP > A propos de la création de la Ligue Communiste Internationale et du débat que (...)

A propos de la création de la Ligue Communiste Internationale et du débat que cela a provoqué dans le mouvement maoïste

Octobre 2023

Brochure disponible en plaquette téléchargeable ci-contre.
La brochure est également disponible en anglais : https://ocml-vp.org/article2476.html, en espagnol : https://ocml-vp.org/article2477.html et en persan : https://ocml-vp.org/article2521.html


L’OCML Voie Prolétarienne, organisation maoïste de France créée en 1979, a pris connaissance de la création en décembre 2022 de la Ligue Communiste Internationale (LCI) [1] par une quinzaine de partis maoïstes dans le monde – dont le PC maoïste de France – et du débat que cette création a provoqué dans le mouvement Marxiste-Léniniste-Maoïste (MLM) mondial. Notre organisation a en particulier étudié les réactions reproduites dans le magazine « Two Lines Struggle » [2], dont la position détaillée du PCm d’Inde datée du 19 mai 2023 [3] qui n’a pas rejoint la LCI et appelle en conclusion les organisations maoïstes du monde à se prononcer sur ce débat.
A notre très modeste échelle, nous souhaitons donc apporter notre contribution, d’autant que nous sommes confrontés politiquement et pratiquement en France au PCmF.

Sur le caractère prématuré de la création de la LCI

Nous partageons l’appréciation des diverses réactions reproduites dans « Two Lines Struggle » sur le caractère prématuré de la création formelle de la LCI. Nombre de positions restent confuses ou mal discutées, sources de désaccord ou insuffisamment débattues pour constituer un solide mouvement communiste international. Nous avions d’ailleurs déjà fait la même critique lors de la déclaration de 1980, qui a ensuite abouti à la création du Mouvement Révolutionnaire Internationaliste (MRI), en soulignant que cela ne pouvait que masquer des contradictions importantes qui ne manqueraient pas de réapparaître. De même que nous avions à l’époque souligné (comme le PCInde(m) aujourd’hui) que l’affirmation unilatérale de positions idéologiques très tranchées ne pouvait faire l’impasse sur la nécessité de mener les analyses théoriques des diverses situations concrètes.
Les camarades indiens notent avec raison que le bilan de dissolution de la 3ème IC n’a pas été fait, et nous partageons l’avis des camarades italiens du PCm que l’absence de bilan du MRI est quand même très dommageable.
L’heure est aux relations bilatérales, aux conférences de débat, à l’approfondissement de la connaissance réciproque pour pouvoir avancer de concert et élaborer conjointement un programme maoïste de combat et certainement pas à imaginer un parti maoïste mondial dirigé par le centralisme démocratique comme le propose la LCI.

Sur les contradictions économiques, politiques et sociales à l’échelle mondiale

Ce débat est récurrent dans le mouvement communiste international, depuis les années 60 (« La lettre en 25 points » du PCC en 1963), avec de profondes divergences, qui ont par exemple mené à la Théorie des Trois Mondes présentée par Deng Xiaoping à l’ONU en 1974. Il mérite d’être approfondi de manière matérialiste, sérieuse et non dogmatique, critique et autocritique, à la lumière de l’évolution de l’impérialisme et de la pénétration toujours croissante du capitalisme sur toute la planète. Comme le souligne le PCInde(m), il y a eu des changements importants dans le monde depuis un siècle et il serait tout à fait idéaliste de ne pas les analyser sérieusement.
Quant à nous, modeste organisation maoïste d’un pays impérialiste majeur, nous n’avons pas assez travaillé pour être absolument affirmatifs et souhaitons la poursuite du débat. Nos remarques ci-dessous représentent l’état de nos réflexions sans que nous nous permettions d’être définitifs.

Il est bien entendu évident qu’avec la restauration capitaliste en URSS et en Chine, il faut mettre provisoirement entre parenthèses la contradiction entre pays socialistes et impérialisme. Actuellement, cette contradiction ne subsiste que de manière potentielle par l’existence du Mouvement Communiste International, des partis maoïstes dans leur lutte pour la révolution communiste mondiale.

Nous pouvons comprendre que la contradiction principale à l’échelle mondiale est celle entre l’impérialisme et les nations et peuples dominés. C’est la contradiction que nous voyons à l’œuvre sur tous les continents, Afrique, Amérique Latine, Asie et même en Europe avec l’invasion impérialiste russe en Ukraine.

Bien entendu, la contradiction bourgeoisie/prolétariat est principale dans les pays impérialistes, en particulier le nôtre. C’est l’évidence, tout en soulignant que contrairement aux affirmations répétées du PCm de France, il n’y a pas de situation révolutionnaire en développement en Europe. Par ailleurs, cette contradiction doit être comprise en lien étroit avec la nature de l’impérialisme qui façonne le prolétariat dans ces pays, dont le nôtre, avec l’existence de l’aristocratie ouvrière, les « lieutenants ouvriers du capital », comme disait Lénine, et d’une domination sociale, politique et idéologique de la petite-bourgeoisie salariée.

Mais nous soulignons aussi l’importance de débattre également de la contradiction bourgeoisie/prolétariat – et de manière spécifique - dans les pays dominés par l’impérialisme, face à des bourgeoisies soit compradores, soit bureaucratiques qui se sont massivement développées avec la pénétration du capitalisme mondialisé. Bien entendu, ce débat doit avoir lieu dans la clarté de ces situations spécifiques et pas dans la confusion assimilationniste avec la situation des pays impérialistes. Mais il est évident que la question se pose, qu’il s’agisse du Brésil, de la Turquie, de l’Inde ou même de l’Iran. Nous nous souvenons que le PC du Pérou avait commencé à travailler cette question.

Enfin, la contradiction entre les divers impérialismes, pays capitalistes ou monopoles est bien entendu vivante et contribue à les affaiblir réciproquement, tout en étant un des moteurs des évolutions de la situation mondiale, par le biais de la concurrence et du repartage permanent du monde.

Nous notons également que les débats récents sur le sujet ont fait apparaître la contradiction entre le capitalisme-impérialisme et la nature, autour des enjeux écologiques, qu’il s’agisse de l’épuisement des ressources, de la pollution croissante ou du dérèglement climatique d’origine capitaliste. Il serait important pour le MCI d’intégrer cette contradiction dans l’analyse de la situation mondiale.

A propos du débat philosophique. Comme le note à juste titre le PCInde(m), il convient d’être rigoureux.
Il y a une contradiction fondamentale, déterminante en dernière instance, entre le caractère socialisé de la production et son appropriation privée.
Le matérialisme dialectique, enrichi par Mao Tsétoung, nous enseigne que dans une situation concrète il y a une contradiction principale (et une seule), et des contradictions secondaires. Que dans chaque contradiction, il y a un aspect principal, et un aspect secondaire. Le propre des communistes, par l’enquête, le travail théorique, politique et idéologique est d’identifier l’ensemble des contradictions et leur articulation. Car la dialectique maoïste nous apprend également que s’il ne faut pas se tromper sur la contradiction principale, ou l’aspect principal d’une contradiction, il faut aussi se souvenir qu’il y a un effet en retour de l’aspect secondaire sur l’aspect principal et des contradictions secondaires sur la contradiction principale. C’est le propre de la dialectique.
A titre d’exemple, dans la France impérialiste, la contradiction principale est la contradiction bourgeoisie/prolétariat, mais il y a des contradictions secondaires, Hommes/Femmes ou Français/Immigrés au sein du prolétariat qui interviennent de manière complexe dans la gestion de la contradiction principale.
Quoiqu’il en soit, les positions de la LCI sont très loin des nécessaires réflexions de cet ordre dans l’analyse de la situation mondiale.

Sur l’impérialisme

Nous partageons les positions exprimées par le PCInde(m), les camarades norvégiens de RK, italiens du PCm et sans doute bien d’autres : bien entendu l’impérialisme a changé depuis Lénine. Bien entendu il fonctionne par blocs et alliances, au gré des contradictions mondiales, avec aujourd’hui les affrontements entre impérialistes US, européens, russe et chinois – ce dernier très offensif au plan économique. Bien entendu il n’y a pas de super-impérialisme (les théories de Kautsky, ou de la Théorie des Trois Mondes de Deng Xiaoping), et il y a aujourd’hui un monde multipolaire mouvant, où l’on voit se dessiner les prémisses d’une Troisième Guerre Mondiale, avec la constitution de nouveaux blocs, non encore stabilisés.
Là encore, les affirmations péremptoires ne peuvent faire l’économie de l’analyse maoïste concrète de la situation concrète, ce qui serait d’ailleurs du ressort d’un Mouvement Communiste International (MCI) vivant et actif.

Sur la politique au poste de commande, le style de travail, les priorités du Parti

A lire les positions très doctrinaires de la LCI, nous nous interrogeons sur la compréhension du maoïsme qu’elle porte.
Le maoïsme nous enseigne pourtant sans aucun doute possible que la révolution est une révolution économique et sociale portée par une révolution politique et idéologique, avec la politique prolétarienne au poste de commandement. C’est une position fondamentale du marxisme-léninisme-maoïsme.
Cela nécessite enquête, ligne de masse, travail théorique pour éviter spontanéisme, économisme et plus simplement « de dire des sottises » comme le rappelait Mao en 1930 dans « Contre le culte du livre ». C’est la simple compréhension marxiste et dialectique du processus de la connaissance, telle qu’elle s’est enrichie au fil de l’existence du MCI.

Sur la Guerre Populaire Prolongée

Depuis des années, nous sommes stupéfaits par l’affirmation dogmatique de l’universalité de la Guerre Populaire Prolongée. Voici ce que nous écrivions dans notre plateforme politique en 1993 (Cahier N°2, §442 [4]), et nous n’avons pas changé de position depuis 30 ans :


442 - Les formes de la violence révolutionnaire sont déterminées par les différentes situations sociales.

  • Dans les pays dominés, où règnent encore des rapports sociaux non capitalistes, la violence révolutionnaire peut se développer sur une longue période, en s’appuyant en particulier sur les paysans. La forme qu’elle prend alors le plus couramment est la Guerre Populaire Prolongée, à l’image de celle que dirige le PCP au Pérou. Sur la base d’une situation révolutionnaire en développement, dans des formations sociales où le capitalisme est encore peu structuré, et où certaines zones peuvent échapper au contrôle direct de l’État, la guerre populaire prolongée peut permettre la destruction progressive de l’ordre ancien, et la construction des bases d’un nouveau pouvoir.
  • Dans les pays où les rapports sociaux capitalistes sont dominants, et dans les pays impérialistes en particulier, la forme de la lutte armée révolutionnaire a été l’insurrection. C’est à elle que les ouvriers ont recouru à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème, en Russie et en Europe. Dans des conditions différentes, les communistes aujourd’hui doivent se préparer à la violence révolutionnaire et à la lutte armée.
  • Mais dans la plupart de ces pays, il n’existe pas, pour l’instant, de situation révolutionnaire. Les rapports capitalistes et la force de l’État bourgeois empêchent, en dehors des périodes révolutionnaires, l’existence de toute zone libérée, dans laquelle le pouvoir bourgeois pourrait être provisoirement paralysé, et où naîtraient des formes précaires de double pouvoir.
  • Certains révolutionnaires ont tenté d’expérimenter en Europe de nouvelles stratégies militaires. Nous avons toujours combattu leur assimilation à des terroristes. Le choix de leurs cibles politiques les distinguait sans ambiguïté des attentats aveugles pratiqués par des groupes réactionnaires à la solde de bourgeoisies. Ils visaient toujours l’État, ou des bourgeois notoires. Notre désaccord avec ces groupes, spécialement ceux qui se réclament du marxisme-léninisme, ne porte pas sur la nécessité de la lutte armée ou sur leurs actes militaires. Il porte sur la question de la construction du parti, sur la politique qui commande à leurs fusils, sur l’opportunité aujourd’hui de telles actions, compte tenu de l’état du mouvement révolutionnaire.
  • La tactique militaire dans un pays impérialiste est une question non résolue pour nous ; nous le reconnaissons. Il nous faudra combler cette lacune importante. Toutes les expériences, européennes et autres, devront alors être passées au crible de la critique, afin d’en tirer le maximum d’enseignements, tant positifs que négatifs.

     

    Cela rejoint la critique du PCInde(m) aux positions de la LCI, avec la nuance que si l’insurrection sera à coup sûr l’accoucheuse de la révolution dans les pays impérialistes, la tactique militaire pour arriver à ce moment reste selon nous à élaborer.
    Enfin, nous rejetons toutes les conceptions sur la militarisation de la politique (nous rappelons ici que ce fut Trotski qui en a été le premier propagandiste, combattu par Lénine dès 1920), et que c’est toujours la politique qui doit être au poste de commande, et qui commande au fusil.

Sur la compréhension du MLM et l’évaluation des grands leaders

Nous partageons totalement la position du PCInde(m) de la compréhension du MLM comme élaboration permanente de marxisme au fil des expériences, à la lumière du matérialisme historique et du matérialisme dialectique.
Ce que nous disons dans notre plateforme (§460 [5]) toujours en 1993 : « Voie Prolétarienne se réclame du marxisme, du léninisme et du maoïsme : les trois grandes étapes du développement d’une conception matérialiste dialectique du monde. Elles définissent les objectifs à atteindre pour le transformer et des voies à emprunter pour y parvenir. »
Nous rejetons donc sans hésitation la notion de « principalement du maoïsme », ou de « phase supérieure », comme si le processus de la connaissance était à chaque saut qualitatif la négation des phases précédentes.

Concernant les grands leaders. Le bilan est à faire. Si les apports de Marx, Engels, Lénine et Mao sont selon nous incontestables, le bilan reste à tirer de manière approfondie pour Staline et Gonzalo.
Pour Staline, on ne peut selon nous en rester à la formule de Mao à la fin des années 50 (70% de positif - 30% de négatif) d’autant que les analyses postérieures des communistes chinois eux-mêmes durant et après la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne ont permis d’approfondir de manière essentielle la théorie de la construction du Socialisme. Ce qui a permis en retour d’approfondir la critique des conceptions erronées du PCUS. Nous partageons de ce point de vue les éléments soulignés par les camarades norvégiens de RK, ou le point de vue des camarades italiens du PCItalie(m) qui contestent le bilan unilatéralement positif de Staline.
Pour l’OCML Voie Prolétarienne, si nous n’avons pas de point de vue tranché sur la « personne » de Staline, c’est dès les années 30 (et pas au moment du coup d’Etat khrouchtchévien) que s’est imposée la restauration capitaliste en URSS. Nous convenons que cela peut heurter certains camarades et que cela mérite discussion [6].
Concernant Gonzalo, nous reconnaissons ses mérites dans l’élaboration de la tactique et de la stratégie de la révolution au Pérou, le lancement et les succès de la Guerre Populaire durant plus d’une décennie. Nous rappelons qu’en Europe nous avons été parmi les rares à afficher un soutien sans faille au PCP dès 1984, contre les torrents d’insultes et de calomnies de la presse bourgeoise. Nous avons traduit les textes du PCP en français, nous avons popularisé la Guerre Populaire, nous avons soutenu le PCP et Gonzalo, avec des critiques secondaires relativement à l’orientation principalement juste qu’ils portaient [7]. Jusqu’à l’arrestation de Gonzalo et d’une partie du Comité Central, avec le fameux « Discours de la Cage » de Gonzalo, le 24 septembre 1992, présenté à la presse en costume de bagnard dans une cage de 3 mètres de côté, avec un discours qui restera un exemple de résistance communiste à l’emprisonnement.
Malheureusement l’histoire ne s’arrête pas là. Un an plus tard, on apprend l’existence de « Lettres de Paix » adressées par Gonzalo au président Fujimori, au nom d’un supposé changement radical dans la situation au Pérou – alors que le dernier document du PCP en 1991 annonçait « l’équilibre stratégique » dans la guerre populaire ! Il ne s’agit pas là de fakenews ou de simples complots de la CIA, il y a des faits et des écrits en quantité pour qui veut bien en prendre connaissance, ces lettres existent et ont été validées publiquement par Gonzalo lui-même. La décennie qui a suivi n’a fait malheureusement que confirmer cette position.
Nous ne voulons pas développer ici ce que nous avons qualifié de « trahison de la direction du PCP et de capitulation de Gonzalo » et nous renvoyons à notre document de 2017 [8], disponible en plusieurs langues. Et nous sommes prêts à en discuter de manière approfondie, mais là encore les faits concrets et la réalité matérielle s’imposent au discours subjectiviste.
On comprend donc que dans l’immédiat, nous partagions l’avis que le bilan des grands dirigeants ne doit pas être précipité…

Sur le matérialisme historique et dialectique, contre le subjectivisme et l’idéalisme

Pour conclure.
L’ensemble du débat avec les positions de la LCI illustre l’affrontement du matérialisme historique et dialectique avec le subjectivisme et l’idéalisme qu’elle porte. Si ces camarades ne font pas une sérieuse autocritique, ne reviennent pas sur le terrain du matérialisme, du MLM vivant, non seulement ils courent à l’échec pour eux-mêmes, mais ils vont faire un tort considérable au maoïsme et à son développement concret dans la lutte des classes.

Enfin nous voulons rester modestes. Comme petite organisation d’un pays impérialiste en crise, nous avons beaucoup souffert de la réaction bourgeoise et du poids du réformisme organisé, les « lieutenants ouvriers du capital » dont parlait Lénine, ainsi que de la présence écrasante, numérique mais surtout idéologique de la petite-bourgeoisie salariée.
Depuis 45 ans, nous avons survécu à de nombreuses crises, et nous sommes fiers de notre héritage. Mais nous savons qu’il nous faut être très modestes, et nous comptons sur la confrontation avec les maoïstes du monde entier pour nous corriger, par la critique et l’autocritique, que nous connaissons et pratiquons de manière systématique.

[5idem

[6Voir par exemple http://www.ocml-vp.org/article136.html également traduit en anglais http://www.ocml-vp.org/article2379.html

[7« L’OCML Voie Prolétarienne soutient le Parti Communiste du Pérou » http://ocml-vp.org/article1827.html et en anglais http://ocml-vp.org/article1829.html

Soutenir par un don