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En avant vers le renversement du régime bourgeois khomeiniste !

Pour le Parti N°19 - Octobre 1979

Avec tous les peuples du monde, nous avons salué la grande bataille remportée par les masses iraniennes contre le régime du Shah et son armée réputée « invincible » [1]. Nous avons salué le coup ainsi porté à l’impérialisme (US, français, etc.) touché dans une région vitale pour lui.

Mais en même temps nous, communistes marxistes-léninistes, tout en soulignant la portée historique de cette victoire, nous attirions l’attention du prolétariat révolutionnaire sur son caractère inachevé, sur la nécessité de se dégager de la domination politique de la bourgeoisie nationale afin de pouvoir poursuivre jusqu’à son terme la révolution démocratique en cours et préparer le passage à la révolution socialiste. Dans la mesure de nos moyens nous essayions de l’aider à discerner le mouvement des classes, à distinguer les buts différents qu’elles poursuivaient derrière leur opposition en apparence unanime au régime du Shah.
En particulier, nous notions qu’il était du devoir de tout communiste de souligner le grave danger que représentent la direction de Khomeiny (et de la bourgeoisie nationale) sur le mouvement, ainsi que le mythe de la « révolution » islamique. Nous indiquions que seul le prolétariat pouvait diriger la révolution démocratique en cours jusqu’au bout et qu’en conséquence le devoir des communistes était de tout faire pour cela, et d’abord « pour que les éléments des futurs partis prolétariens... soient groupés et éduqués dans l’esprit de la mission particulière qui leur incombe : lutter contre les mouvements démocratiques bourgeois au sein de leur nation... maintenir fermement l’indépendance du mouvement prolétarien même sous sa forme la plus embryonnaire », Lénine.

Contre nous et la voie marxiste-léniniste, tous les opportunistes et réformistes, PCF en tête, n’avaient que louanges pour Khomeiny et son régime. Ils les qualifiaient de « progressistes » et vantaient son programme de réformes démocratiques profondes (qui n’existait même pas sur le papier). Du fait que le mouvement spontané des masses révolutionnaires avait frappé certains intérêts impérialistes (pétrole, contrats « fabuleux » du Shah), ils en concluaient que les communistes n’avaient rien d’autre à faire que soutenir Khomeiny qui en avait pris la tête.

Mais justement les faits ont montré, et montrent encore tous les jours que nous avions raison. Que la direction Khomeiny-Bazargan (alliance de la bourgeoisie nationale et libérale) est tout à fait étrangère aux intérêts des ouvriers et des masses laborieuses et ne poursuit qu’un but : stopper et étouffer le processus révolutionnaire. Aujourd’hui (et alors que l’impérialisme US livre du kérosène et des armes à l’armée iranienne), où est le programme de révolution démocratique de Khomeiny ? Que voit-on dans les faits ces derniers mois ?

Tout mouvement démocratique est réprimé : les femmes renvoyées à leurs foyers et au tchador (voile) malgré la part active qu’elles avaient prise à la lutte contre le Shah ; les servitudes féodales du Coran rétablies ; les journaux interdits ( jusqu’au quotidien bourgeois laïque Ayandegan), les livres brûlés, les librairies fermées, les organisations progressistes (comme les Fedayin-e-Khalq ou les Moudjahidines musulmans) interdites, ainsi que les organisations révolutionnaires marxistes-léninistes réduites à la clandestinité, même le Front Démocratique (bourgeois laïque) est interdit, les minorités nationales ( comme les arabes du Khouzistan, les Kurdes, etc.) sauvagement réprimées sous les bombes de l’armée du Shah (intacte). Khomeiny s’est d’ailleurs empressé, dès son arrivée au pouvoir, de désarmer le peuple (dont il avait d’abord désavoué l’insurrection), d’empêcher toute transformation de l’appareil d’Etat du Shah, se contentant d’épurer quelques têtes pour les remplacer par d’autres. Aujourd’hui cet appareil (armée, police, etc.) lui sert contre les peuples d’Iran en tant qu’appareil de la bourgeoisie.

Aucune réforme sociale ni économique sérieuse n’a été réalisée. Pas même une simple réforme agraire qui aurait donné la terre aux paysans (Lénine disait « la réalisation complète d’une révolution démocratique a pour base la création d’une classe libre de paysans »). La nationalisation de secteurs, comme le pétrole notamment, a permis leur passage aux mains de la bourgeoisie pour son plus grand profit (entre autres celui de la hiérarchie religieuse). Mais rien n’a changé pour les ouvriers : toujours exploités, le droit de grève même leur a été interdit. Le chômage ne fait que croître, atteignant 4 à 5 millions (l’équivalent de 10 millions en France environ).
Ainsi un cadre politique khomeiniste déclarait lui-même au journal « Le Monde » :
« L’opinion perçoit le gouvernement Bazargan comme une version améliorée du régime du Shah, conservateur en matière économique et pro-américain en politique étrangère ». En fait partout croît le mécontentement des chômeurs, des ouvriers, des paysans, des minorités nationales, qui tous, selon les journalistes bourgeois eux-mêmes « se tournent vers la gauche qui leur propose des solutions plus radicales ». En fait, la guerre civile ne fait que commencer en Iran, et la dictature du régime Khomeiny doit se faire de jour en jour plus répressive pour subsister.

Cela est particulièrement net aujourd’hui à l’égard des minorités nationales. Ces peuples, particulièrement opprimés sous le Shah, refusent le statu quo. Ainsi les ouvriers arabes du Khouzistan ne veulent plus constituer la main-d’œuvre la plus exploitée de l’industrie du pétrole et luttent pour l’égalité avec les persans. Ils exigent d’avoir accès aux mêmes droits politiques, d’élire leurs représentants à tous les niveaux au lieu d’être soumis aux seuls fonctionnaires persans. Ils exigent de pouvoir parler leur langue, d’avoir des écoles, etc. L’armée de la bourgeoisie iranienne et les milices khomeinistes ont déjà fait là-bas des centaines de morts.

De même, le peuple kurde revendique le droit à l’autodétermination. La bourgeoisie s’est particulièrement faite l’écho de la révolte kurde. Depuis longtemps en effet elle a tenté de manipuler le peuple kurde en profitant de sa misère et de sa soumission aux seigneurs féodaux qui le dominaient comme au moyen-âge. Par exemple, c’est un féodal kurde appointé par la CIA américaine, le général Barzani, qui a longtemps dirigé une guérilla kurde en Irak à l’époque où dans ce pays un puissant mouvement nationaliste menaçait les intérêts impérialistes anglo-US.

Mais aujourd’hui les choses ont changé : les féodaux kurdes n’ont plus le même pouvoir. Les paysans kurdes ont participé activement à la révolution iranienne. A son contact ils se sont levés contre les féodaux et propriétaires terriens qui avaient partie liée avec le Shah. Ils ont refusé de continuer à donner 60 % des récoltes en guise de rente. Des unions paysannes ont été créées. Des terres arrachées aux féodaux. Tout le bouillonnement révolutionnaire interne qui a secoué l’Iran a beaucoup appris aux Kurdes. Ainsi l’actuelle rébellion kurde n’est plus dirigée par les féodaux. Mais elle est issue du mouvement révolutionnaire iranien lui-même. Elle est mue par les buts qui l’ont portée : réaliser la révolution démocratique profonde qu’entravent Khomeiny et la bourgeoisie iranienne au pouvoir. Les Kurdes luttent pour « la démocratie en Iran et l’autonomie du Kurdistan ».

Khomeiny accuse les Kurdes de vouloir saper « l’unité et la stabilité de l’Iran » ! Mais évidemment l’unité et la stabilité d’un pays dominé par les bourgeois et la hiérarchie religieuse réactionnaire n’intéressent pas plus le peuple kurde que les autres peuples d’Iran. C’est en fait le régime Khomeiny-Bazargan lui-même qui, par sa politique nationaliste chauvine « grand-perse », par son opposition aux buts démocratiques révolutionnaires poursuivis par les masses iraniennes, a suscité la révolte kurde (et autres), a accentué les haines et divisions nationales au sein de l’Iran.

La vérité est que les masses kurdes ont pris une pelle avec laquelle elles ont commencé à creuser la tombe de ce régime pourri. Bien sûr, bien des dangers les guettent : ce qui reste de l’influence des féodaux et l’influence de la bourgeoisie kurde qui peuvent se renforcer derrière le drapeau du nationalisme ; les manœuvres des impérialistes qui, s’appuyant sur ces féodaux et bourgeois, chercheront à manipuler les Kurdes comme autrefois. Mais cela n’enlève rien à la légitimité de la révolte des Kurdes aujourd’hui : ils luttent contre leur oppression par la bourgeoisie iranienne. Et cette lutte fait partie de la lutte révolutionnaire démocratique des peuples d’Iran.

Le prolétariat n’oppose pas la révolution socialiste à une revendication démocratique comme l’est la revendication pour les droits nationaux kurdes. Il doit, dit Lénine, « savoir associer la lutte révolutionnaire contre le capitalisme à un programme et à une tactique révolutionnaire pour l’ensemble des revendications démocratiques : république, milice, élection des fonctionnaires par le peuple, égalité civique des femmes, droit des nations à disposer d’elles-mêmes, etc. ». Toutes ces batailles ne pouvant s’achever que par l’expropriation de la bourgeoisie. Le prolétariat iranien a engagé la lutte, avec les masses paysannes et petites bourgeoises des villes pour renverser le régime du Shah, réaliser une révolution démocratique populaire profonde, de façon à créer les conditions les plus favorables pour lui pour passer ensuite au socialisme (et seul son manque de maturité politique l’a empêché d’y parvenir). Il a toujours intérêt à ce que soient complètement balayés partout en Iran les vestiges du féodalisme et les grands propriétaires terriens. Il a intérêt à ce que toutes les revendications démocratiques soient réalisées le plus complètement possible. Ce qui lui permettra de se renforcer, d’isoler la bourgeoisie, et de réclamer « l’expropriation et le renversement de la bourgeoisie comme la mesure indispensable aussi bien pour faire disparaître la misère des masses que pour réaliser complètement, intégralement, toutes les réformes démocratiques ».

Les organisations progressistes et marxistes-léninistes iraniennes ont reconnu le droit à l’autodétermination des minorités nationales. Elles luttent aux côtés des Kurdes par exemple, comme le montre le fait qu’à Saquez sur 20 exécutions décidées par l’envoyé de Khomeiny, il y avait celles de 9 soldats gouvernementaux qui avaient rejoint les combattants kurdes. Et de leur côté les communistes kurdes doivent défendre hardiment l’unité et l’alliance du peuple kurde avec tous les prolétaires d’Iran et refuser d’être le jouet de la bourgeoisie nationale kurde. De cette façon lutter non seulement pour les droits égaux, mais surtout pour la libération du joug des propriétaires fonciers et des bourgeois, pour une société nouvelle, socialiste, indépendante des impérialistes et capitalistes quels qu’ils soient.

Le gouvernement Khomeiny-Bazargan reste sourd à toutes les revendications vitales du peuple en Iran. De ce fait les conditions existent pour qu’il perde la confiance que les masses avaient mise en lui (et ont encore en partie) ainsi que dans la « révolution » islamique. Une seconde étape de la révolution s’amorce en Iran qui aura pour but de donner le pouvoir aux ouvriers et paysans pauvres, la bourgeoisie nationale ayant fait la preuve de sa faillite. Mais la situation politique n’est pas encore mûre pour cette révolution socialiste. Le prolétariat semble, à ce que nous pouvons en connaître, avoir encore un grand retard dans son degré de conscience et d’organisation, il n’a pas de Parti affirmé et reconnu (et pour cela a laissé le pouvoir à la bourgeoisie lors du renversement du Shah). Il y aura donc une période de transition préparatoire avant qu’il puisse jouer son rôle indépendant pleinement. Période pendant laquelle les communistes doivent expliquer inlassablement la vraie nature de classe du gouvernement actuel, dénoncer les opportunistes et conciliateurs, lutter pour la remise des terres aux paysans, pour la création de syndicats et conseils ouvriers dans les usines, pour le droit à l’autodétermination des minorités nationales, pour l’union des ouvriers de toutes nationalités dans des organisations prolétariennes uniques (parti, syndicats, etc.).

Nul ne peut dire maintenant quels chemins suivra exactement la révolution en Iran (et nous-mêmes, de plus, manquons des informations concrètes nécessaires). Nul ne peut dire par exemple si les Kurdes se sépareront de l’Iran avant la victoire du prolétariat contre la bourgeoisie, où s’ils pourront conquérir leur liberté dans le cadre de la révolution en Iran, après qu’ils aient aidé le prolétariat à renverser la bourgeoisie et à y prendre le pouvoir. Il peut y avoir toutes sortes de diversités de situations.

De toute façon, la lutte de tous les peuples d’Iran contre le régime actuel a commencé, la guerre civile a commencé, succédant à l’insurrection qui renversa le Shah. La lutte des kurdes, arabes, etc. pour leurs droits en fait partie. On mesure aujourd’hui combien a pu être néfaste le rôle de tous ceux qui ont obscurci et affaibli la vigilance du prolétariat à l’égard de la nature de classe du régime Khomeiny. Loin d’être des guides de la classe ouvrière, comme ils le prétendent pour ceux qui s’intitulent communistes, ils n’ont fait que retarder sa prise de conscience nécessaire.

Plus que jamais aujourd’hui il faut en Iran un parti marxiste-léniniste dirigeant réellement la classe ouvrière. C’est la condition indispensable pour que les luttes éparses des différentes couches des masses laborieuses, des peuples, s’unissent en un seul courant, renversent la dictature khomeiniste, établissent le pouvoir des ouvriers et paysans pauvres, qui, seule, permettra de dépasser les conflits nationaux en organisant les masses sur la voie de leur émancipation réelle : le socialisme, la fin de toute exploitation, vers la suppression des classes.

17.9.79
Charles PAVEIGNE

[1voir Pour le Parti N°12 et 14 - https://ocml-vp.org/article2012.html

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