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Bilan de la tournée de RAWA

Partisan Magazine N°20 - Décembre 2022

Une militante de Rawa en France, un an après le retour des Talibans à Kaboul, c’est pour nous un évènement. Les tournées de Sahar Saba en 2002 et de Zoya en 2009 sont encore dans nos têtes, marqués que nous avons été par « l’extraordinaire force militante qui se dégageait de leurs interventions » [1] et par la dureté et la violence de la situation régnant dans leur pays. Mariam, en moins d’une semaine, du 8 au 13 octobre, a assuré quatre réunions publiques, à Paris, Montreuil, Strasbourg et Lyon, trois interviewes, au Media à Montreuil, à la radio Fréquence Paris Plurielle à Paris, à ce magazine Partisan (voir la suite), et de multiples conversations. Pourtant cette tournée nous laissera un goût amer. Voici pourquoi.
C’est une association italienne, le CISDA [2] qui a eu l’initiative de ce voyage, et Mariam a d’abord sillonné l’Italie pendant trois semaines. Ayant le contact avec une association d’anciennes militantes de soutien aux réfugiés de Calais, le CISDA a proposé un voyage en France. VP en est informée au milieu du mois d’août. Pour une tournée prévue début octobre ! Un mois et demi pour s’organiser, entre période de vacances puis de rentrée ! Stressant, puis frustrant…

Le résultat sera à la hauteur : très nettement moins de participants qu’en 2002 et 2009. Même s’il est difficile de mesurer la part due à l’affaiblissement des forces militantes révolutionnaires et anti-impérialistes, à commencer par celles de VP ! Car le refus de l’organisation politique, le repli sur le syndical et l’associatif, la seule confiance dans des appels sur les réseaux sociaux, l’esprit et le fonctionnement libertaires, deviennent autant de freins. VP a eu l’impression d’être la seule organisation organisée, apportant une expérience, un contenu politique, des documents écrits, des affiches, un traducteur professionnel, etc. C’est par exemple la seule organisation à avoir simplement pensé à faire une déclaration de soutien lue dans les divers meetings (voir plus loin). Nous nous sommes sentis comme simplement entourés d’aides diverses, certes précieuses, la première étant celle des deux camarades qui ont accompagné Mariam pendant tout son périple, ainsi que l’Union Communiste de Lyon qui a assuré le meeting local.

Les soirées ont été denses et courtes, la nécessité de traduire divisant le temps par deux. Avec une petite présentation et des consignes de sécurité ; un exposé de Mariam suivi d’une vidéo de 12 minutes apportée par elle ; des questions-réponses ; une courte intervention de soutien des organisateurs ; et le mot de la fin de Mariam.

Ainsi on a vu et entendu, ressenti et mieux compris, la situation du peuple afghan et le travail de terrain de Rawa. Des parents afghans en sont rendus à vendre leur dernier bébé, entre 100 et 150 euros, pour pouvoir nourrir leurs autres enfants ; d’autres vendent un de leurs reins. Rawa mêle l’humanitaire et l’analyse politique, l’éducation clandestine et la formation militante. L’association afghane n’a pas été étonnée par le retour des Talibans, car depuis 2019 la trêve militaire et les tractations diplomatiques allaient bon train avec les USA. Mariam insiste sur le fondamentalisme du Commandant Massoud et maintenant de son fils, et sur la politique impérialiste du gouvernement français. Le message est fort et il décrit autant une France impérialiste et hypocrite qu’un Afghanistan écrasé.
Suite à une question sur la place de la bourgeoisie en Afghanistan, posée à Strasbourg, Mariam dresse en quelques mots un tableau marquant : une classe supérieure au pouvoir faite de seigneurs de la guerre et de trafiquants de drogue ; des couches intermédiaires, intellectuels, commerçants, etc., qui n’ont pas de pouvoir ; et une grande majorité de paysans et prolétaires.

La faiblesse de cette tournée pourrait se mesurer en un seul constat : aucun soutien concret, aucun débouché pratique n’a été proposé. A l’opposé, en 2002, Sahar Saba était repartie avec plusieurs milliers d’euros et tout un stock de matériel médical et scolaire. Et elle nous laissait en échange, comme Zoya et Mariam, une aide remarquable dans la dénonciation de la France impérialiste.
Mariam a constaté et conclu positivement : « L’organisation du soutien à Rawa en Europe n’est est qu’à son début ». Et elle appuie l’idée d’un réseau européen permanent, une sorte de CISDA élargi. Elle précise pourtant par ailleurs que Rawa ne fait partie d’aucun réseau, d’aucune organisation internationale permanente. Elle participe simplement à des campagnes et des initiatives ponctuelles.

Nous pensons, à VP, que la première pierre d’un tel soutien est celle de savoir quel contenu politique on lui donne, donc quels types de soutiens on vise. Une solidarité de révolutionnaires à révolutionnaires, de révolutionnaires de pays impérialistes à révolutionnaires de pays dominés, et inversement ? Ou bien une solidarité humanitaire, simplement démocratique et féministe ; luttant pour l’extension à l’Afghanistan de la belle démocratie et du féminisme puissant du monde occidental ; faisant appel aux institutions européennes, onusiennes ou autres ; une solidarité basée sur l’humanisme du type dame patronnesse corrigeant par ses gestes charitables l’inhumaine exploitation gérée par son patron de mari ! Ce n’est pas la même démarche.
En 2002, Sahar Saba était intervenue dans un lycée du 93, devant les élèves de trois classes, pendant une heure de cours neutralisé (chose qui se prépare par de longues démarches…). Questions : « Madame, vous ne portez jamais le voile ? », « Madame, vous ne respectez pas la religion ? ». Questions simples et pourtant fondamentales.
VP sort de cette récente tournée avec l’envie d’organiser un nouveau voyage d’une militante de Rawa. En préparant bien à l’avance, en ayant le temps d’informer largement, de se coordonner entre organisations et associations diverses, de prévenir la presse, de prévoir des rencontres « de terrain ». Bref, une tournée bien préparée, bien organisée. Et bien utile, réciproquement ! Un « goût amer », disions-nous, suite à ce voyage de 2022 ? Non, plutôt un « goût de trop peu » !

[1Rawa : Femmes et voix d’un peuple, https://ocml-vp.org/article157.html

[2Cisda : collectif italien de soutien aux femmes (« donne » en italien) afghanes

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