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Livre "Je vous écris du front de la Somme" de François Ruffin
Partisan Magazine N°20 - Décembre 2022
Editions "Les Liens qui libèrent" - 2022, 136 pages, 10,00€
« La gauche doit défendre le travail et ne pas être la gauche des allocations et minima sociaux ». La petite phrase de Fabien Roussel à la fête de l’Huma a fait du bruit, car elle avait une forte résonnance de droite-extrême-droite, contre les « cas sociaux », et de macronisme, contre les chômeurs qui ne se donnent même pas la peine de traverser la rue pour trouver un travail (Lire « Travail ou allocs, le faux débat », https://ocml-vp.org/article2369.html).
François Ruffin publie en parallèle un petit livre qui, le titre ne l’indique pas, porte sur la « valeur travail » (p.8). Est-ce qu’il va dans le sens de Fabien Roussel, de la droite et de l’extrême-droite ? Non, il va dans le sens de la (vieille) gauche !
Il n’a pas son pareil pour décrire les conditions de vie et de travail des prolétaires d’aujourd’hui, et, pour cet engagement, on l’apprécie. Son film Debout les femmes ! a même eu droit à trois pages dans le Partisan magazine n° 18. Les métiers qui se sont révélés « de premier rang », indispensables pendant la Covid, ont souvent des horaires atypiques et des salaires de misère. Ruffin en cite dix en sept lignes (p.67), tous en-dessous de 1000 euros en moyenne (à cause des temps partiels).
« Notre gros souci, dit-il, c’est que l’univers des riches est devenu invisible » (p. 51). « Ne restent que les inégalités de proximité » (p. 52). Or les vrais profiteurs, ce ne sont pas nos voisins avec des allocations, ouvriers cassés par le travail, jeunes qui galèrent, femmes enceintes, retraités pauvres, etc., mais ceux qui se gavent de dividendes. « Voilà notre rôle politique, majeur : réactiver ce conflit, l’illustrer, le renouveler… » (p. 52). Il note les mots absents du vocabulaire du FN-RN : inégalités sociales, classes, riches, pauvres, précarité, actionnaires, dividendes…
Réactiver le conflit de classe est la grande qualité de Ruffin, c’est aussi sa grande limite, car son but en fait c’est de réactiver la « gauche » parlementaire et réformiste. Des objectifs divers sont définis, mener une guerre climatique (en s’inspirant de Keynes et Roosevelt !), prendre en compte les maladies professionnelles psychiques, retrouver la fierté de son travail et de sa classe… Mais l’objectif central et immédiat est résumé dans les tout derniers mots (p.129) : faire 65% aux élections nationales, le score réalisé à Flixecourt dans la Somme. Un travailleur lui dit « la révolution », il lui répond « Oui mais… », et le ramène à son désir de décrocher un CDI (p.82). Faut-il fixer à tous un horizon ? Ce sera entre autres « faire Nation » (p.124), redorer « le rôle de la France dans le monde », combattre son déclin (p.122).
Une expression récurrente interroge : « depuis quarante ans » (p.69, 109, 123). Que s’est-il passé en 1982-83 qui, depuis, nous a fait suivre une mauvaise voie ? Le tournant de la rigueur, la gauche au pouvoir abandonnant ses promesses sociales et se pliant aux lois du capitalisme. Pourtant, mai 81 avait été « une belle réussite », alors que mai 68 « ne se prolonge nullement dans les urnes » (p.27). Une gauche renouvelée pourrait aujourd’hui « atténuer cette mondialisation, maintenir des protections » (p.79). Pas étonnant, donc, qu’on ait droit à une page d’hommage à Mélenchon : « Sans lui, la gauche était liquidée, enterrée… » (p.22).
C’est à lire. C’est court, concret, dénonciateur. La situation et les luttes politiques de notre classe sont bien exposées, mais aussi la défense de la fausse piste de la voie réformiste !