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Lech Walesa à Paris
Tract du 20 Octobre 1981
le fac similé du tract original au format pdf à télécharger
UN VOYAGE DONT ON PARLE !
Depuis une semaine qu’il est à Paris, deux choses frappent les yeux en regardant la télévision :
La religion est partout : depuis la messe tous les matins, la rencontre avec l’archevêque de Paris, jusqu’à la discussion avec la CFTC, ce syndicat de collaboration de classes, où Walesa dit que c’est plus facile de discuter avec eux, parce qu’ils ont la religion en commun...
Au meeting de la CFDT, quand Walesa a parlé de sa foi, il a justement été sifflé !
Le réalisme est partout : il ne faut pas aller trop loin, il faut accepter le contexte "géopolitique" de la Pologne. Walesa passe son temps à rassurer, à calmer... Alors, est-ce que le mouvement ouvrier doit s’arrêter ?
A l’occasion de ce voyage, il faut se poser la question : au fait, c’est quoi "Solidarité" ? Est-ce qu’il défend vraiment les ouvriers ?
« SOLIDARITÉ » C’EST UNE DIRECTION RÉFORMISTE !
Même si ce n’est pas le plus logique, commençons par ce qu’on voit le plus en France, ce dont on nous parle tout le temps à la radio et à la télévision : Walesa, "l’ouvrier le plus connu du monde", et la direction de Solidarité.
On a parlé de la religion. Elle est très puissante en Pologne, où 23% de la population est catholique, où l’Eglise a un grand prestige parce que, pendant des années, elle a été la seule force d’opposition au régime. L’Eglise est très modérée, s’est par exemple opposée à l’extension des grèves de Gdansk en Août 80. Elle est très influente sur la direction de Solidarité : Walesa par exemple a empêché toute riposte de masse aux provocations de Bydgoszcz en mars 81, quand des ouvriers ont été tabassés par la milice. Ce que cherche l’Eglise, c’est un accord avec le gouvernement, en maintenant le régime actuel, en échange d’un peu plus de démocratie : diffusion de la messe à la télévision, etc.
La direction actuelle, influencée par les courants sociaux-démocrates du KOR, rejette totalement l’idée de changement radical du système, de prise du pouvoir par les ouvriers. Ils s’accommodent de la domination de l’URSS, ils ne veulent pas d’affrontement. Ils croient pouvoir transformer profondément la Pologne par une succession de réformes qui passeraient "en douceur". Cela les amène à passer compromis après compromis avec les bourgeois en place et avec les soviétiques. Mais ils ne voient pas que plus la crise s’approfondit, plus le mouvement ouvrier se développe, moins les compromis son possibles. Les uns, les bourgeois, s’accrochent de manière désespérée à leurs privilèges, les autres cherchent de plus en plus à avoir le pouvoir pour eux seuls.
Les "experts" ont un rôle très important. Ce sont des intellectuels, économistes… qui seuls aujourd’hui proposent un projet politique d’ensemble pour la Pologne, et de là où ils veulent aller. Et, même s’ils disent le contraire comme Walesa devant la CGT leur projet revient à un capitalisme à l’occidentale avec les lois du marché, la concurrence etc. Ils parlent « efficacité », « compétence », « rentabilité » et donc « réorganisations », « licenciements » etc.
Ils sont écoutés parce que ce sont les seuls à proposer un autre modèle économique. Et comme les ouvriers rejettent le Plan qui pour eux a toujours voulu dire anarchie et gaspillage, ils voient dans la concurrence un bon moyen de résoudre les difficultés économiques de la Pologne. Mais les ouvriers n’acceptent pas n’importe quoi. Par exemple, dans une usine textile de Lȯdż, sur proposition des experts, ils acceptent de réorganiser la production, d’éliminer les emplois de bureau inutiles, mais on même temps, contre les experts, ils refusent les licenciements et décident d’envoyer ces employés à la production, d’en faire des ouvriers, Dans une autre usine, ils acceptent la proposition des experts de donner des stimulants matériels (primes à ceux qui produisent le plus) et en même temps, ils décident d’élire les contremaîtres parmi eux, en supprimant tous leurs avantages matériels !
Aujourd’hui, les ouvriers polonais sont pris dans une contradiction et ne voient pas encore comment on sortir. Le « socialisme », le « parti », ils ont déjà donné ! Ils n’imaginent pas autre chose que l’efficacité du capitalisme, mais ils voudraient en même temps ne pas en subir les conséquences sociales (licenciements, cadences...) Voilà pourquoi les experts sont encore écoutés, et voilà aussi pourquoi les ouvriers rejettent les propositions qu’ils voient clairement aller contre leurs intérêts.
La présence de ces experts à la direction de « Solidarité », soutenus par Walesa, est ainsi une limite réelle au mouvement.
Enfin, ce qui coiffe le tout, le plus grave danger pour les ouvriers polonais, c’est le nationalisme. Depuis près de 400 ans, la Pologne est envahie, partagée, dominée par les russes, les allemands ou les deux ensembles. C’est de là que vient la force de ce sentiment national : drapeau et hymne polonais sont partout. Au sein même de Solidarité, les courants ouvertement d’extrême-droite sont forts. C’est un danger parce que ce sentiment laisse croire qu’il y a un intérêt commun aux ouvriers et aux bourgeois, supérieur aux intérêts ouvriers. Il mène au compromis, à la conciliation, et donc au maintien de l’exploitation.
Cette direction dont on nous parle tant, finalement elle n’est guère différente de celle que nous connaissons à la CGT ou à. la CFDT : aménagement de la société, maintien du pouvoir des bourgeois, en essayant d’arracher quelques miettes pour améliorer un peu notre situation. C’est cela le réformisme qui s’oppose à la prise du pouvoir par les ouvriers.
« SOLIDARITÉ », C’EST SURTOUT UN MOUVEMENT SOCIAL PROFOND !
C’est le plus important. 10 millions de membres, dans tous les secteurs de la société, y compris les organisations rattachées comme chez les paysans, et même la milice. Seule l’armée semble encore épargnée.
"Solidarité", c’est d’abord la forme d’organisation du puissant mouvement de masse qui s’est développé depuis Août 80, et qui continue de grandir. Ce mouvement social a amené une situation révolutionnaire où les bourgeois ne peuvent plus gouverner comme avant, où les ouvriers ne veulent plus vivre comme avant, où la question du pouvoir politique se pose de plus en plus.
"Solidarité", comme syndicat libre, malgré les limites dont nous parlons plus haut, a joué et joue encore un rôle positif : organisation autonome des ouvriers contre le pouvoir, débat démocratique. C’est l’existence de ce syndicat qui permet à des secteurs ouvriers radicaux de s’exprimer contre la direction, de rejeter la cogestion, la conciliation avec le gouvernement. Ce sont ces secteurs qui ont fait voter un blâme à la direction pour son compromis sur l’autogestion, qui à leur avis épargnait beaucoup trop directeurs et bureaucrates corrompus. Mais, encore influencés par le nationalisme, par la fausse image "socialiste" de la Pologne, ils ne voient pas encore clairement la voie à suivre.
Non, pour cela, "Solidarité" n’est pas du tout comparable avec nos syndicats bureaucratiques et réformistes en France. Peut-être le deviendra-t-il dans le futur, mais, aujourd’hui, la situation n’est toujours pas stabilisée, se transforme tous les jours, et "Solidarité", malgré ses limites, continue d’être un instrument utile pour les ouvriers polonais.
Non au nationalisme ! Défense des seuls intérêts ouvriers !
Walesa ;
- Tu cherches à tout prix le compromis avec le gouvernement au nom des intérêts nationaux,
- Tu soutiens les experts qui veulent rétablir les lois du marché, la concurrence avec les conséquences que nous connaissons en France,
- Tu acceptes la domination impérialiste russe,
- Tu développes la religion qui obscurcit la conscience des ouvriers, Walesa, tu trahis la Révolution Polonaise !
Vive le mouvement ouvrier polonais ! Soutien à "Solidarité" qui le représente encore aujourd’hui !
En avant vers la prise du pouvoir par les ouvriers en Pologne !


