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Interview d’un militant communiste, dirigeant de l’association des travailleurs du secteur du cuir en Turquie. [2ème partie]
Suite de l’interview du camarade turc 1ère partie
Il y a des descendants d’Africains en Turquie. Peux tu m’expliquer leur histoire ?
Il parait que le transport des esclaves africains dans l’empire ottoman a toujours été un fait. On exploitait les esclaves africains surtout dans le palais Ottoman ainsi que dans les résidences des notables en tant que valets, nourrices, jardiniers etc. Mais on voit à partir du XVIIème siècle une augmentation de ce trafic. Au XVIIIème siècle il y a une grande vague d’exploitation d’esclaves d’origine africaine dans les plantations de coton et de tabac dans la région occidentale de l’Anatolie. Ces plantations étaient presque exclusivement possession de sociétés françaises et la majorité de la main d’œuvre était composée d’esclaves africains. C’est alors que la population africaine en Anatolie a considérablement augmenté. Les africains de la Turquie sont plutôt les descendants de cette génération qui est devenue de facto libre a partir de la constitution de la République.
Actuellement la population d’origine africaine est toujours concentrée dans la région occidentale notamment aux alentours d’Izmir et compte quelques dizaines de milliers de personnes. Les africains de Turquie sont tous musulmans plus ou moins pratiquants. On appelait les africains comme « Arabe » depuis le temps des Ottomans ; et en général ils sont toujours appeles « arabes » ; la plupart des africains acceptent eux-mêmes cette appelation bien qu’ils connaissent leurs origines. C’est seulement au cours des dernières décennies que la jeune génération a commencé à exiger l’appelation africaine et a commencé à s’informer sur ses origines.
Dans les années 1990, la première association des africains de Turquie est fondée. Cette association fait des recherches sur les origines des africains en Turquie et sur leur culture en recueillant des souvenirs et des témoignages. Pourtant cette association fait en même temps partie des organisations des secteurs les plus exploités du prolétariat. Car les travailleurs d’origine africaine forment toujours une partie de ce secteur. Ils travaillent surtout comme des travailleurs saisonniers dans l’agriculture, notamment le tabac, le coton, le raisin, les figues etc. ; comme des travailleurs dans le secteur touristique, comme agents de securité comme en France dans les supermarchés, dans l’hotellerie etc. et particulièrement dans le secteur du cuir dans la région d’Izmir. Ils sont de plus plus en plus melangés avec les kurdes qui émigrent pour d’autres raisons vers la même region et qui travaillent aussi dans les memes secteurs.
Dans les dernieres années cette association a été attaquée par les fascistes, comme sont attaquées les organisations de Kurdes ou de Roms. Ces associations sont solidaires entre elles. Dans notre association de travailleurs du cuir, il y a des descendants d’africains. Le président de notre association est descendant d’africains et s’est présenté aux élections sur une liste Kurde démocratique. Nous avons soutenu l’alliance électorale. De même il y a un membre d’origine africain qui se trouve actuellement a la direction locale du parti pro-Kurde BDP.
D’autre part il y a une vague récente d’immigration africaine à partir des annees 1980 qui augmente. Mais les africains issus de cette immigration forment une petite minorité qui se délimite des africains installés depuis longtemps en Turquie et qui ont la nationalité turque. Alors que les nouveaux venus sont pratiquement des sans-papiers. En général ils ne sont pas exploités comme travailleurs comme c’est le cas en France mais ils sont plutôt dans les resaux de trafic de drogues etc.
Y a t’il des sans-papiers dans le pays ?
Depuis les années 90 il y a de plus en plus d’immigrés originaires des pays de l’est et surtout des anciennes républiques de l’URSS. Il y a des surtout des Arméniens, des Moldaves, des Géorgiens et des Ukrainiens qui travaillent plutôt dans les services aux particuliers et sont aussi exploités dans la prostitution. Si on devrait parler des sans-papiers c’est plutôt ceux-là.
Par contre l’équivalent des sans-papiers de France, ce sont plutôt les travailleurs au noir ayant la nationalité turque et dont la plupart sont des Kurdes.
Un Kurde a des papiers, mais il y est discriminé pour avoir du travail. Alors, les Kurdes changent leur adresse sur les papiers afin que l’on ne voie pas qu’ils viennent d’une zone où ils sont majoritaires. C’est une discrimination de classe. Il faut savoir que le deuxième président de la Turquie était d’origine Kurde. Le gros problème ce sont les travailleurs au noir. Fiat, Renault, ont chacun 5 000 ouvriers déclarés. Mais, il
y a 15 000 ouvriers chez les sous-traitants qui ne sont pas déclarés, et ils sont Turcs, ou Kurdes. A la manifestation du nouvel an Kurde, la police a encadré et fouillé les manifestants, ils ont confisqué des
montagnes de ciseaux. C’était une manif d’ouvriers. Si tu milites dans ce secteur (cuir, confection), tu dois être pour l’Internationalisme, contre le chauvinisme.
Pourquoi les Kurdes viennent-ils dans les métropoles en Turquie ?
Il y a de plus en plus de Kurdes qui émigrent car leur villages sont brûlés par l’armée.
Et les syndicats ?
La législation du travail en Turquie, fait que l’on déclare à son patron à quel syndicat on adhère, et c’est lui qui envoie l’argent des cotisations au syndicat. On voit les cotisations sur la fiche de paie. Il est impossible de se syndiquer sans que le patron le sache sinon on est licencié le lendemain. C’est le système des syndicats US, le Check-off. Pour passer d’un syndicat à un autre, tu dois le déclarer au patron et passer devant le notaire. Si tu veux monter une section syndicale, tu dois convaincre au moins 50% des salariés de l’entreprise, si tu ne veux pas être liquidé. On comprend mieux que seuls 5% des salariés soient syndiqués, et ce ne sont que des salariés déclarés.
Explique nous votre campagne contre le travail au noir.
Le travail au noir en Turquie n’est pas un problème marginal. La moitié des salariés ne sont pas déclarés, et donc ne cotisent ni pour les retraites, ni pour leurs soins. Nous avons créé un syndicat des travailleurs au noir, on crée des associations et des collectifs. Pour ceux qui sont syndiqués,
donc déclarés, ils sont encadrés par des conventions collectives. C’est seulement dans le cadre de renégociation de ces conventions collectives, en général tous les 2 ans, qu’ils ont le droit de partir en grève si le vote de la majorité des travailleurs le décide. Soulignons que les grèves de solidarité sont interdites. Pour les travailleurs au noir, nos moyens sont comme ici les sans-papiers, des occupations, des manifestations, je suis très à l’aise avec ce qu’ils font ici.
Quels autres moyens de lutte, de résistances ?
On peut faire venir l’inspection du travail, mais c’est difficile de convaincre les travailleurs au noir, qui y trouvent parfois leur compte avec un salaire direct plus élevé, mais sans couverture sociale. Ils vivent au jour le jour, même si un jour ils trouvent un travail déclaré, ils ne toucheront pas de
retraite sur les années ou ils ont travaillé au noir. Nous avons constitué un petit groupe, nous faisons des rencontres avec des centaines d’associations, des coopératives de travailleurs au noir. Nous avons des rencontres trois fois par an. Nous militons aussi dans des coopératives de consommation, car
80% du salaire va dans l’alimentation. Grâce à ces coopératives, nous pouvons acheter en gros, ce qui fait 30% de différence.
Quelles formations syndicales et politiques ?
Déjà, on ne fait pas de formations professionnelles, mais il existe des cours d’alphabétisation. Les formations sont politiques, révolution, marxisme, Commune de Paris... c’est une organisation de solidarité, on essaye de monter des exemples de solidarités du passé ou actuel. Il y a des cours d’histoire du mouvement Ouvrier, par exemple on parle de Blanqui. Il y a des avocats syndicalistes qui viennent. Notre association est un intermédiaire entre le syndicat et les travailleurs au noir.
Pourquoi êtes vous venus en France ?
Faire connaître notre campagne, et faire un lien avec le mouvement des sans-papiers. C’est l’occasion de connaître votre organisation, nous avons traduits quelques uns de vos textes, de présenter notre organisation, d’échanger entre communistes.


