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La force des réformistes... et celle des ouvriers

Partant de la revendication « pour une réforme juste », les directions syndicales réformistes (CGT, CFDT...) ont bien manœuvré : elles ont soudé leur unité autour d’une limitation du contenu revendicatif à « la retraite à 60 ans à taux plein », même si tous les mots-d’ordre dans les manifestations ont au contraire enterré l’idée de « réforme juste » pour exiger un retrait total. La CGT n’a fait aucun forcing pour nous vendre son projet alternatif présent dans les tracts : « Une réforme de progrès social c’est possible, les moyens financiers existent : taxer les revenus financiers des entreprises ». Dans les manifs, la préoccupation de justifier le financement du maintien des 60 ans passait très loin derrière la pénibilité au travail, par exemple avec : « 42 ans de chaîne, non, non, non » (Flins).

Un mouvement syndical renforcé ?

La confédération CGT en tête a manœuvré entre les plus réformistes et les plus radicaux, s’impliquant dans le soutien aux blocages et retrouvant un certain crédit à l’occasion de ce combat. L’opposition à la direction confédérale, cantonnée surtout à la métallurgie, n’a pas pesé dans le mouvement. Les entreprises de la branche n’ont débrayé qu’à l’occasion des journées d’action. La pétition d’appel à la grève générale n’a recueilli que 800 signatures. La 2e version, politiquement édulcorée, a été un échec encore plus cinglant.

La CFDT, qui avait payé très cher son lâchage en 2003, s’est bien gardée aussi de monter seule au créneau pour une « bonne réforme ». Les confédérations dans leur bataille se sont donc calées sur des objectifs gardant ouverte la négociation d’une « bonne réforme » avec le gouvernement. Leur revendication centrale était le maintien de l’âge légal à 60 ans. Elles demandaient l’ouverture de négociations pour prendre en compte leurs propositions alternatives de financement. Enfin, elles ont calé les mobilisations sur les échéances parlementaires. Pression des manifestations, respect du cadre parlementaire, propositions alternatives, elles ont cherché à être des interlocuteurs responsables du gouvernement.
Et les polémiques internes au mouvement ont davantage porté sur la radicalisation des formes de lutte que sur le contenu revendicatif.

SUD-Solidaires, très présente dans les manifs, très active sur le terrain, se renforce, comme la CGT, de nouveaux adhérents. Faire partager à ces nouveaux adhérents une orientation de classe, cela sera bien sûr l’enjeu de batailles à venir.

La gauche politique réformiste peut-elle tirer bénéfice de ce mouvement ?

Le PS a en partie redoré son image. Il a participé aux manifestations et y a été accepté, alors qu’il était absent des mouvements sociaux jusqu’à présent. Pourtant, tous les travailleurs ou presque sont conscients qu’en 2012 il ne reviendra pas en arrière sur l’essentiel de la réforme des retraites. Bénéfice immédiat pour le PS, mais sur le long terme, sûrement moins .

Le Front de gauche a joué un rôle important dans la diffusion d’analyses politiques dont se sont emparés beaucoup de travailleurs combatifs. Popularisation de « Ils nous mentent » comme déjà en 2005 autour du référendum. Et surtout, remise en question de la répartition : tout pour les profits, rien pour les travailleurs, malgré des gains de productivité considérables. Pour « garantir une retraite à 60 ans à taux plein pour tous, [il faut] engager la confrontation avec les puissances financières, les banques et le FMI, imposer une autre répartition des richesses qui mette fin à la dictature des actionnaires, refonder la République pour imposer une démocratie à tous les niveaux de la société, donner la priorité aux besoins sociaux et environnementaux ». Ce sont les termes de « la nouvelle voie à gauche », une amorce de programme qui offre les perspectives des réformes à engager dans le cadre d’un capitalisme dont on ne critique que les excès, en limitant la dictature bourgeoise à celle des actionnaires.

Et les organisations d’extrême-gauche ?

Lutte Ouvrière, dans les entreprises, s’est opposée à la construction du mouvement interprofessionnel, se repliant sur le localisme, à défaut d’avoir entraîné les ouvriers dans la grève générale. De fait, l’influence de LO a été négative en particulier par son refus d’élargir les slogans au-delà de la défense de « la retraite à 60 ans », et de participer aux mobilisations interprofessionnelles. L’analyse des formes de lutte par LO l’a amenée à s’opposer aux blocages, qu’elle oppose à la grève : « Les blocages, si spectaculaires qu’ils soient, ne suffiront pas à impressionner patronat et gouvernement. Ceux-là, ce qu’ils craignent, ce ne sont pas des points de blocage, mais une paralysie de l’économie qui ne pourrait être provoquée que par la grève générale ».
A l’heure du bilan, pourtant, d’autres aspects sont mis en avant. LO tire ainsi les trois leçons de la mobilisation : Les « forces et limites du mouvement » sont les suivantes : le mouvement a permis aux travailleurs de mesurer leur force, et surtout de renouer avec une certaine conscience de leurs intérêts communs (une seule et même revendication) ; de réapprendre que tous les salariés appartiennent à la même classe et ont les mêmes intérêts ; enfin, « c’est bien la solidarité qui a été le principal acquis de cette grève ».
Est-ce vraiment cette vision de l’unité sans faille de tous les salariés, comme une seule et même classe sociale, de l’ouvrier au cadre, qui va nous permettre de construire notre force à l’avenir et notre indépendance de classe face aux réformistes et à la bourgeoisie ?

Au NPA, on trouve de tout ! Le NPA semble de plus en plus hétérogène et divisé, finalement sans apparition politique en démarcation des positions de la gauche réformiste, même si des militants se sont engagés. Les communiqués du NPA sont du plus grand flou politique. Sur les retraites, c’est un alignement complet sur la CGT et le Front de gauche : « La retraite à 60 ans à taux plein, c’est possible avec une autre répartition des richesses qui donne la priorité aux salariés, pas aux actionnaires ». Même confusion concernant les perspectives. A côté de « travailler tous et moins, à la production de services socialement utiles », on ressort le vieux slogan de la CFDT « partage du travail ».
A côté de cela, une solide défense de la grève des éboueurs à la déchetterie d’Ivry-sur-Seine, combinée à une mise en accusation de Delanoë, qui tout en prétendant soutenir le mouvement, n’a pas hésité à recourir à des entreprises privées (Veolia, Suez) pour tenter de casser le piquet de grève.
Des militants combatifs, certes, il y en a, mais quelle est la force politique avec un tel manque d’unité sur des perspectives en rupture avec le réformisme ?

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