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Abraham SERFATY : Disparition d’un symbole de la gauche arabe

Quelques dates :

- Né à Casablanca 16/01/1926 - Mort à Marrakech 18/11/2010
- 1944 : Adhésion au Parti Communiste Marocain
- 1952 : Expulsé de son propre pays, vers la France, par le « Protectorat » Français, en compagnie de sa soeur Evelyne et déchu avec elle, de leur nationalité marocaine...
- 1958 : Retour d’exil et recouvrement des droits nationaux
- Arrestations : 1950, 1952, 1962, 1965 , 1972
- De 1974 à 1991 : Séjour en prison
- 1991 : Expulsion et déchéance de la nationalité, exil forcé en France jusqu’en septembre 1999...

Itinéraire d’un homme libre :

Le nationaliste, anti-colonialiste : Abraham Serfaty est issu d’une famille de militants anti-colonialistes, surtout son père Moïse Haïm Sarfaty... Il adhére au PC Marocain, suite à l’exécution de jeunes patriotes marocains qui ont manifesté pour l’indépendance du pays. En 1950, il passe 2 mois en prison, à cause d’un tract anti-colonialiste qu’il a écrit et distribué clandestinement.... Suite à la grève de protestation (08/12/1952)contre l’assassinat du syndicaliste tunisien Farhat Hached (par une organisation de colons d’extrême droite), il est arrêté et expulsé vers la France, avec sa soeur Evelyne. Ils sont déchus de leurs droits nationaux, qu’ils ne recouvriront leurs droits qu’en 1958, suite à une requête et une décision du ministre de la justice Abdelkarim Benjalloun.
Sa formation d’ingénieur des mines (Ecole des mines de Paris) lui a permis de superviser et de mettre en place une structure nationale d’exploitation des minerais.

Le militant communiste : Il est directeur technique au ministère de l’industrie lors du massacre de la révolte populaire du 23 mars 1965 à Casablanca. Il n’hésite pas à soutenir les jeunes manifestants contre la sélection scolaire et l’école à deux vitesses. En 1968, il soutient les grévistes de la mine de phosphate à Khouribka (6 semaines) et écrit une lettre dans ce sens... Il est arrété et démis de ses fonctions.
Il était membre du comité central du PC marocain, mais ses divergences avec ses camarades se sont accrues. La révolution culturelle en Chine, les évènements de mai 1968 et la révolution palestinienne, sont parmi les sujets qui ont causé son départ, avec d’autres camarades. Il participe à la fondation et à l’animation de la revue de débats « Anfass » (Souffles) qui a marqué la vie culturelle et politique de la gauche au Maroc et au Maghreb.
Suite à la fondation de l’organisation marxiste-léniniste « Ila Al Amam » (« En Avant », ancêtre de l’actuel Annahj Addimoqrati) ), il est arrêté et torturé pendant trois mois, en 1972, puis il vit dans la clandestinité jusqu’à son arrestation en 1974. Entre temps, il est condamné à la perpétuité pour « menace à la sûreté de l’Etat », l’été 1973, en compagnie de 48 autres camarades.

Arrêté en 1974, il passe un an dans la prison secrète de la police politique située rue « Darb Moulay Chérif » à Casablanca et dix sept ans dans d’autres prisons, aussi sinistres les unes que les autres. Certains de ses camarades sont morts sous la torture, comme Saïda Menebhi, Abdellatif Zeroual, Abdelhaq Chebadha etc. D’autres ont disparu. Sa soeur Evelyne est arrêtée en 1973, et torturée. Elle refuse de donner des indications sur son refuge et sur la personne qui transmet à son frère l’argent qu’elle lui envoie.Elle décède deux ans plus tard, des sequelles de la torture, alors qu’Abraham était en prison. Le procès de 1977 (Casablanca) confirme la sentence de la prison à vie et ajoute « la trahison » aux autres accusations.

En effet, l’organisation « Ila Al Amam » soutient le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. Lors du départ des soldats espagnols du Sahara Occidental, après des siècles d’occupation, le pouvoir a mobilisé des centaines de milliers de personnes, et mis en scène « la marche verte », une occasion pour réprimer l’opposition, développer le chauvinisme et détourner l’attention des travailleurs et des pauvres...
Lorsqu’en septembre 1991, Abraham Serfaty est libéré, malade, il est déchu de sa nationalité et expulsé vers la France, où il vit en exil forcé jusqu’en septembre 1999.

Mohamed VI, fils de Hassan II, lui a permis de revenir et de recouvrir ses droits nationaux. Il est nommé alors conseiller auprès de l’organisme national des recherches pétrolières...
Il était handicapé, suite à la torture. Il se déplaçait sur une chaise roulante depuis plusieurs années. Il a été hospitalisé début novembre 2010, suite à une paralysie, et est décédé le 18 novembre à Marrakech.

Quelques positions historiques :

Abraham Serfaty déclare, en public, lors de l’agression sioniste de juin 1967 : « ... Je suis arabe, juif, marocain... Mon identité est compatible avec mes positions et ma lutte contre l’oppression, l’injustice, l’occupation... ».
Lors de son procès, en 1977, accusé « d’acheminement d’armes aux organisations terroristes, dont le FPLP » (ce qui est faux), il répond : « Vive la Palestine libre, arabe ».
Il considère que « le peuple juif », la « nation israélienne » sont des inventions du mouvement sioniste qui exploite les sentiments des juifs et des peuples d’Europe ou du monde...
Dans les années cinquante il a appelé les juifs marocains à contribuer au combat pour l’indépendance de leur pays, le Maroc, et ne pas se laisser exiler, participer à l’occupation de la Palestine et servir les intérêts « de ces marchands de chair humaine » (les sionistes)... En 1961, il a dénoncé l’exode massif des marocains juifs, organisé par l’Agence Juive, avec la complicité du pouvoir marocain... D’ailleurs, il a une position très claire sur les régimes arabes et leur complicité avec le mouvement sioniste et l’impérialisme (voir son livre « La révolution Arabe et la lutte contre le sionisme »). Pour lui, la cause palestinienne est une question de libération nationale face au sionisme, contre l’impérialisme et les régimes arabes, complices...
Le 28 septembre 1982, de sa prison, il écrit une lettre, destinée aux juifs marocains enrôlés dans les rangs de l’armée sioniste qui occupe le Liban, et les incite à ne pas se tromper d’ennemi, tout en dénonçant les régimes arabes qui se sont ligués pour écraser le peuple palestinien et « leurs » peuples...

Abraham Serfaty a eu des divergences, ces dernières années, avec ses anciens camarades, concernant « l’ouverture démocratique » qu’il considère comme positive. Il a soutenu le comité « Vérité et Réconciliation » (consultatif, sans conséquences judiciaires) qui a recueilli des témoignages d’anciens prisonniers politiques, sans nommer les tortionnaires. Il reste néanmoins un militant anti-impérialiste qui a contribué à la clarification des liens entre les luttes de libération nationale et les luttes pour la justice sociale. Il a payé cher pour rester un homme libre. Il n’a pas hésité à défendre ses idées, les mettre en pratique et contribuer ainsi à l’histoire du mouvement communiste marocain, arabe et international.

Bibliographie :

- Lutte anti sioniste et révolution arabe, essai sur le judaisme marocain et le sionisme. Quatre Vents, 1977,
- Ecrits de prison sur la Palestine. Arcantère, 1992, Paris. Rahma, Alger 1992.
- Dans les prisons du Roi, Ecrits de Kenitra sur le Maroc. Messidor, Paris 1992.
- La mémoire de l’autre, Stock, 1993.
- Le Maroc du noir au gris, Syllepse, 1998
- Insoumis, juifs marocains et rebelles (avec Mikhael Elbaz) Desclée de Brouwer, 2001

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