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La vraie pénibilité est dans l’organisation du travail
Partisan N°238 - Mai 2010
Soumis aux gains permanents de productivité fixés par le capital, de moins en moins de secteurs de l’industrie et du tertiaire échappent à des politiques fondées sur l’oppression sous ses différentes formes « modernes » :
L’intensification du travail ne cesse de réclamer plus de tâches et de contraintes inconciliables à assumer en autant sinon moins de temps : quantité, qualité, respect des délais, contrôles, rapports d’incidents, maintenance de premier niveau, encadrement de novices et de précaires, respect des normes de sécurité, etc…
La chasse aux déplacements, pauses et temps morts, considérés comme non productifs de plus-value, s’attaque aux possibilités de récupération, de coups de main et d’échanges entre travailleurs.
En lieu et place des anciens stocks tampons, les travailleurs sont utilisés comme simples variables d’ajustement d’une production chaotique en juste-à-temps, ce qui accentue la pression permanente du chrono.
Une mobilisation subjective démesurée (qualité totale, excellence,…) est exigée au service des seuls intérêts de l’entreprise capitaliste, présentée comme étant en « guerre » contre les entreprises concurrentes. Le salarié vertueux, militant de son entreprise, doit se dépasser sans cesse, faire mieux que les autres, ne pas hésiter à les éliminer. Ce mode de relation aux autres est prôné comme modèle hors de l’entreprise par les reality shows à la télé. Cette idéologie belliqueuse heurte les valeurs de solidarité du monde du travail et nourrit insécurité et violences. Mais le fossé se creuse entre l’engagement demandé et les compensations accordées en termes de rétribution, promotion et garantie d’emploi. Les situations d’échec, de mise au placard ou d’élimination sont encore plus insupportables dans ce contexte.
Dans le même temps, les déménagements de sites se multiplient en quête de diminution des coûts immobiliers, et aggravent les coûts humains des trajets des salariés et la fragilité des équilibres familiaux péniblement trouvés.
Des procédures de plus en plus détaillées et rigides sont imposées jusque dans les relations des agents des services avec leurs usagers : alors que l’extorsion de plus-value dans l’industrie a tourné le dos à la taylorisation, cette dernière envahit le secteur tertiaire. Le développement conjoint des cellules d’écoute amène le courant le plus progressiste de la psychologie du travail1 à qualifier cette politique de « néo-fordisme monté sur coussin compassionnel ».
L’encadrement, renouvelé tous les 3 ans au minimum, est de plus en plus éloigné du travail et des travailleurs, de plus en plus rivé au contrôle des objectifs que lui fixe le supérieur, de moins en moins capable de fournir les ressources nécessaires au travail.
Le démantèlement des collectifs de travail est l’aboutissement de transformations progressives mais systématiques marquées par
l’individualisation (du statut, du salaire, des augmentations, des primes, des horaires, des pauses, de l’évaluation du travail, etc.). Les grilles de salaires disparaissent, la classification par compétences remplace la classification par poste,
• la délation des défauts commis en amont,
•les réorganisations et reconfigurations permanentes d’équipes, d’ateliers, de bureaux, de services et d’usines entières,
• le développement de la polyvalence, de la flexibilité, de la mobilité et de la précarité,
• l’exclusion des plus anciens et des plus réfractaires,
• l’instauration de rapport clients-fournisseurs à la place des rapports de solidarité qui prévalaient autrefois entre les différents métiers ou équipes de travail.
Ces processus mis en œuvre depuis 40 ans aboutissent à laminer – 1, les marges de manœuvre, - 2, le pouvoir d’agir de chaque travailleur et – 3, le soutien que pourrait lui apporter son collectif de travail. Disparaissent ainsi 3 bouteilles d’oxygène, qui échappaient jusque là partiellement au contrôle des exploiteurs et grâce auxquelles chaque travailleur actif pouvait mieux protéger sa santé au quotidien.
Les dégâts de l’individualisation
Le travail reste l’activité majeure à travers laquelle chacun trouve à constituer son identité, à se socialiser, à contribuer à la société et en tirer reconnaissance. Or, en tentant de capter l’engagement subjectif du travailleur à son seul profit, l’entreprise capitaliste tend à couper le travailleur de la société et à l’éloigner des autres travailleurs. Dans les organisations actuelles, le travail perd son caractère d’expérience collective pour ne devenir qu’un corps-à-corps solitaire de chacun avec son travail. L’individualisation brouille aussi la compréhension des mécanismes sociaux qui génèrent la souffrance au travail. Avec la dissolution des repères collectifs, les conflits sur la façon de travailler et sur le sens à donner au travail ne sont plus vécus comme des conflits sociaux entre une équipe et la hiérarchie, mais comme des conflits individuels, abusivement interprétés en termes de « harcèlement moral ».
De plus la mobilisation du cerveau, qu’imposent les nouvelles normes, vient envahir la vie privée, brouillant les frontières entre vie professionnelle et vie familiale. La souffrance qui résulte de ces processus complémentaires est une manifestation de la contradiction grandissante entre l’organisation capitaliste du travail et le rôle fondamentalement social du travail humain.
Soigner la société pour soigner l’homme
Mais les nouvelles formes d’exploitation ont leurs limites. L’écart devient trop grand entre l’intelligence réclamée au travailleur pour qu’il produise efficacement et l’aveuglement attendu pour qu’il se soumette. Les suicides et les maladies qui accompagnent la souffrance au travail sont les symptômes d’une intolérance grandissante à ces formes d’exploitation écartelantes.
Pour soigner les travailleurs, c’est bien l’organisation de la société qu’il faut soigner, ou plutôt bouleverser. Face à la stratégie patronale d’individualisation et psychologisation des relations au travail, il convient de réaffirmer la nature éminemment sociale et conflictuelle des difficultés rencontrées par les travailleurs et la nécessité de réponses collectives. La souffrance au travail est le résultat à la fois d’une guerre sociale engagée par la classe capitaliste et d’un processus individuel par lequel un salarié intériorise les difficultés rencontrées sous forme de culpabilisation puis retourne la violence contre lui.
A l’inverse, en situant l’origine de la souffrance au travail dans les mécanismes sociaux et l’histoire récente de la lutte de classe, les travailleurs peuvent rationaliser et extérioriser leur ressentiment, trouver le chemin de l’action collective, la seule capable de redonner du sens aux souffrances endurées, et d’améliorer durablement les conditions de vie. D’où l’importance d’un travail de masse dans les entreprises, à condition qu’il soit articulé et guidé par un travail révolutionnaire d’analyse, de propagande et d’organisation pour transformer la réalité.
Un sympathisant
