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Staline / Mao : quelles différences ?

Article de Partisan Magazine N°5

L’OCML Voie Prolétarienne est une organisation maoïste. Pour autant, autour de nous on entend souvent tout et surtout n’importe quoi à propos de Mao et du maoïsme : Mao et Staline c’est du pareil au même, adorateur du petit livre rouge, révolution de paysans, etc.
Au contraire, pour nous Mao et les communistes chinois ont porté à la fois théoriquement et dans la pratique un bilan de la construction du socialisme en URSS. Petit tour de ce que sont pour nous les apports essentiels.

 

La philosophie est à la base de la pensée politique de Mao

 

Mao a redécouvert la dialectique de Marx et Lénine, en a fait un levier révolutionnaire alors qu’elle devenait une rhétorique creuse chez Staline. La dialectique, c’est raisonner en mettant en avant les choses dans leur mouvement, et expliquer ce mouvement par les contradictions qu’elles renferment.

 

La dialectique au cœur de la politique

 

Si la contradiction est le moteur de la transformation, l’unité est donc toujours relative. La contradiction est présente dans l’unité, comme l’unité dans la contradiction. De la contradiction, et de la lutte, naîtra une nouvelle unité. Cette conception est à la base de la philosophie du marxisme.

 

Dans la vie du parti. Cela conduit à valoriser la lutte politique, comme la condition première du développement de la théorie et de la politique du parti, et à rejeter la conception stalinienne de l’unité monolithique du parti. Les contributions philosophiques de Mao « De la pratique », « De la contradiction », sont ancrées dans la vie politique du parti, s’intègrent dans un processus de rectification.

 

La transition au communisme. La vision dialectique conduit à l’expression des contradictions sous le socialisme et rompt avec une vision linéaire et pacifique du processus révolutionnaire après la prise du pouvoir. Pacifique en ce sens que tout se réglerait soit par la clairvoyance du parti (conception stalinienne), ou l’exercice parfait de la démocratie ouvrière (conception trotskiste). Les contradictions qui s’expriment viennent de la nature même du socialisme où existent encore des classes, parce que les rapports sociaux n’ont pas été transformés totalement. Comme l’exprime Mao en août 1967 : « La Grande Révolution Culturelle actuelle n’est que la première du genre ! Dans l’avenir, de telles révolutions auront bien lieu inévitablement à maintes reprises. L’issue de la révolution – elle l’emportera finalement - demande une longue période historique pour être résolue. Si on ne la mène pas avec succès, la restauration du capitalisme sera à tout moment possible ».

 

La théorie marxiste de la connaissance au service de la révolution

 

Un autre mérite de Mao est d’avoir fait sortir la théorie marxiste de la connaissance des manuels pour la mettre au service de la révolution.
La théorie ne procède pas du dogme, mais de la confrontation permanente des vérités acquises par la pratique [1]. Elle fonde la conception maoïste des méthodes de direction que l’on appelle ligne de masse : « Une direction juste doit se fonder sur le principe suivant : partir des masses pour retourner aux masses ». Cela corrige la conception qu’avait Staline, qui mobilise les masses « par en haut ». La ligne de masse s’oppose également à ceux qui nient le rôle du parti révolutionnaire comme « cerveau collectif », qui fait la synthèse des idées justes dispersées des masses, formule une politique révolutionnaire en gardant toujours en tête les perspectives générales du mouvement. La ligne de masse nécessite l’enquête auprès des masses paysannes et ouvrières, comme celle effectuée en 1927 auprès des paysans du Hunan. Enquête qui permettra à Mao d’appréhender correctement la dynamique de la société chinoise, de formuler que le prolétariat est la force dirigeante de la révolution chinoise, mais qu’à cette étape ce sont les exploités des campagnes qui en sont la force principale.
Une autre conclusion importante est que « Ce qui est juste se développe toujours dans un processus de lutte contre ce qui est erroné. La lutte idéologique se distingue des autres formes de lutte ; on ne peut pas y appliquer les méthodes brutales de contrainte, on peut seulement appliquer la méthode patiente du raisonnement » [2]. Lorsque Mao se confrontera à la voie droitière de Liu Shaoqi (président de la République en 1959), il préférera encourager les masses à la critiquer plutôt que d’organiser la destitution « par en haut » des droitiers. Mao critique de ce point de vue l’élargissement du cadre de la répression de 1937-1938 en URSS contre des communistes (les procès de Moscou), et la confusion entre les contradictions au sein du peuple (que l’on doit résoudre pacifiquement) et les contradictions entre le peuple et ses ennemis (que l’on résout au besoin par la violence).

 

Le rôle de l’idéologie

 

Staline accorde une grande place au rôle de l’idéologie, c’est-à-dire la représentation que les hommes ont de leur place dans la société, de leurs intérêts, de leurs relations subjectives aux autres hommes. Mais ses conceptions philosophiques sont marquées par un certain mécanisme, « A agit sur B ». Par exemple, un parti dont la base de classe est ouvrière a une idéologie prolétarienne et mène une politique prolétarienne, et donc aussi l’État que ce parti dirige. Alors que c’est en vérité l’objet d’une lutte permanente entre la voie prolétarienne et une voie bourgeoise, même si les termes n’apparaissent pas toujours clairement ainsi. Il néglige le rôle de l’idéologie (les idées) et de la politique (la lutte) dans la transformation de la base économique de la société.
Mao, au contraire, accorde une grande importance à la lutte idéologique. Il n’y a pas pour lui d’action inéluctable de la cause sur l’effet, de l’appartenance sociale sur la conscience de classe. Ainsi le PCC en 1949 est un parti-armée, majoritairement composé de paysans, mais il suit une ligne essentiellement prolétarienne [3].

 

Les tâches de la transition socialiste

 

Un modèle : Staline et l’Union soviétique

 

Le PCC reste marqué durant les premières années de la République Populaire de Chine par les conceptions de la IIIème Internationale et tend à reproduire le modèle soviétique, en particulier dans le rôle prépondérant donné au développement des Forces Productives. Ce qui caractérise alors le progrès du socialisme, c’est la transformation des rapports de propriété.
Les divergences que le PCC avait avec l’URSS sur la stratégie révolutionnaire en Chine n’induisent pas de contradiction sur le modèle de transition vers le communisme, ou comme l’affirme Mao : « les principales erreurs de Staline ont très peu de rapport avec les défauts du fonctionnement de l’appareil d’État dans la direction des affaires économiques » [4]. Ce n’est que dans le milieu des années 50 que Mao Tsé Toung commence la réflexion sur les tâches de la transition socialiste qui était interrompue depuis vingt ans et qui sera complétée par les maoïstes à partir des enseignements de la Révolution culturelle.

 

La critique du modèle soviétique

 

La transformation socialiste de l’agriculture, de l’industrie, du commerce débute dans les années 1950 en Chine. Les premiers échecs amorcent la critique du modèle soviétique. Ce sont ceux du petit (1956), puis du Grand bond en Avant (1958), pendant lesquels est entreprise une collectivisation massive et bureaucratique dans les campagnes.
En 1958, Mao critique le Manuel d’Economie Politique de l’URSS écrit sous le contrôle de Staline. Il souligne contre celui-ci l’importance de l’initiative des masses et de la lutte de classe comme moteurs de la transformation socialiste. D’où son mot d’ordre : « Faire la révolution et développer la production ».
« Mais c’est au cours de la Révolution culturelle, impulsée à son initiative pour combattre la ligne bourgeoise dans le parti, que cette critique est devenue plus systématique : existence de la lutte des classes dans la société de transition, nécessité de débattre largement et de mener la lutte de lignes au sein du parti, rupture avec les conceptions économistes de la construction du socialisme, et critique de la théorie des forces productives.
Mao et les campagnes politiques du début des années 70 en Chine ont contribué à l’approfondissement de la théorie marxiste par l’étude de la restauration capitaliste dans les pays socialistes, en remettant au premier plan la transformation des rapports de production, et en éclairant les processus de reconstitution d’une nouvelle bourgeoisie au sein de l’appareil d’Etat et du parti »
 [5].
Ce qui caractérise le progrès du socialisme, ce n’est pas tant la transformation des rapports de propriété, de la petite propriété individuelle ou capitaliste privée à la propriété coopérative ou d’Etat, que la direction effective des masses sur la vie économique. L’URSS est de ce point de vue, non pas un pays socialiste, mais un pays capitaliste d’Etat, bien avant 1956.

 

La théorie des forces productives et l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie

 

La voie bourgeoise à laquelle se heurte Mao au sein-même du PCC, s’appuie sur une théorie qui s’est imposée dans les années 20 en URSS selon laquelle « la transformation des rapports sociaux serait le résultat mécanique et spontané de la suppression de la propriété et du développement de la production. Ce développement créerait à lui seul les conditions nécessaires pour le passage au communisme : abondance, élévation du niveau des connaissances, développement des sciences et des techniques… L’accroissement de la force productive de la société devenait, dès lors, l’unique moteur de son évolution.
Le premier devoir révolutionnaire fut, dans les années 30, d’augmenter la production par tous les moyens. Tout était subordonné à cet objectif. On ne voyait pas que les techniques, tout comme les rapports de production, étaient marquées par le capitalisme. Le pouvoir des cadres fut renforcé.
Cette conception de la transition fut appelée plus tard « théorie des forces productives ». Le socialisme devait prouver sa supériorité en montrant sa capacité à produire plus que le capitalisme. L’URSS forge ainsi un modèle qui s’imposa à tout le mouvement ouvrier »
 [6].

 

Le résultat en fait a été de renforcer les rapports capitalistes dans la société, la reconstitution d’une nouvelle bourgeoisie jusqu’au rétablissement progressif d’un système capitaliste d’État puisque cette nouvelle bourgeoisie était en fait dans le Parti et dans l’État. La dégénérescence du socialisme est donc bien plus profonde que la simple bureaucratisation comme l’affirment les trotskistes.
Il faut donc attaquer le mal à la racine, transformer les rapports de production, tous les rapports sociaux. Cela veut dire modifier la base économique de la société, la manière dont elle produit et répartit les richesses. Alors que pour Staline, seul subsiste le problème de la répartition à partir du moment où la propriété des moyens de production est étatisée. Cela revient à ignorer qu’en réalité seule la bourgeoisie bureaucratique en a la propriété réelle, et donc décide de la répartition des richesses.

 

Transformer les rapports sociaux

 

Le PCUS (Parti Communiste d’Union Soviétique), sous Staline, a supprimé la direction des usines par une « troïka » parti, syndicats et cadres, pour instaurer l’autorité d’un directeur unique. Il a rétabli la subordination des travailleurs à la production (stakhanovisme, salaire aux pièces), accru la hiérarchie des salaires, annulé le rôle revendicatif des syndicats ; toute la confiance a été mise dans les cadres, la priorité a été donnée au développement de l’industrie lourde et les sacrifices imposés aux ouvriers et aux paysans. Le complexe sidérurgique de Magnitogorsk illustre à merveille ce modèle d’industrialisation soviétique et d’encadrement de la classe ouvrière, qui met en avant les cadres et la technique. Ce modèle sera copié en Chine.
Voilà comment Staline s’adresse à des ouvriers métallurgistes en 1934 : « Faire grandir avec sollicitude les hommes et en faire des travailleurs qualifiés, les mettre à leur place et les organiser judicieusement dans la production, organiser les salaires de façon qu’ils renforcent les maillons décisifs de la production et poussent les hommes à une qualification supérieure, voilà ce qu’il nous faut pour créer une armée nombreuse de cadres techniques de la production ». Il lance le mot d’ordre : « Les cadres décident de tout » [7].
D’une façon tout à fait cohérente, l’URSS réintroduit dans les années 1930 les principes bourgeois en matière de contenu de l’enseignement, restaure l’autorité absolue des professeurs et des directeurs, les privilèges accordés aux intellectuels, ouvrant la porte à la domination des intellectuels bourgeois sur l’école. La critique de cette domination en Chine sera un des points de départ de la Révolution culturelle et du mouvement des Gardes rouges.
Ce modèle sera remis en question durant la Révolution Culturelle (note : voir article à ce sujet dans le dossier).
Marx disait : « C’est toujours dans les rapports immédiats entre les maîtres des conditions de production et les producteurs directs qu’il faut chercher le secret intime, le fondement caché de toute la structure sociale » [8]. C’est donc dans les rapports de production et dans l’extinction progressive de la division capitaliste du travail, de la contradiction travail manuel/intellectuel qu’il faut chercher les signes d’un progrès ou pas dans la marche au communisme.

 

L’Etat, le parti et les masses

 

L’Etat de transition, c’est cet Etat qui correspond à une société encore largement dominée par les rapports sociaux capitalistes, mais engagée dans la voie vers le communisme. En URSS, on a assisté à la restauration d’une nouvelle bourgeoisie sur la base de ces rapports qui ont sans cesse été renforcés sous la direction de Staline, par l’annulation des acquis socialistes de la Révolution d’Octobre et la négation de la nature contradictoire de l’Etat de transition.
Au contraire, Mao et les maoïstes ont engagé la lutte politique et idéologique pour que la Chine ne prenne pas la même voie. Ils ont fait de l’Etat un enjeu de la lutte des classes et ont restauré la perspective communiste d’extinction progressive de l’Etat, qui suit celle de la division sociale du travail et des classes sociales.
Pour Staline, il faut renforcer l’Etat et l’armée permanente, alors que pour Mao il faut organiser consciemment la déperdition de l’Etat et donner tout le pouvoir aux masses, en luttant « par en haut » par le biais du parti et de l’Etat, « par en bas » dans les organes de pouvoir ouvriers et populaires. Cela ne peut se faire du jour au lendemain, il faut un parti qui porte tout entier ce but.
Or en URSS sous la direction de Staline, « la fusion de l’État et du Parti était totale. Le Parti concentrait toute la réalité du pouvoir. Cette fusion était d’autant plus dangereuse pour l’avenir de la révolution que l’État soviétique n’était, comme l’affirmait Lénine, que la survivance de l’État ancien, n’ayant pour ainsi dire pas subi de transformations radicales ». Mao s’est appuyé, au besoin, sur la gauche du PCC et les ouvriers et étudiants rebelles contre des dirigeants bourgeois du parti qui avaient des fonctions dans l’Etat. Il a ainsi préservé le rôle d’avant-garde du parti, qui est de faire valoir les intérêts généraux de la classe ouvrière, au-delà des alliances de classe qui se réalisent politiquement au sein de l’Etat.
Enfin, « aucune révolution ne peut se faire à la place des masses, ou malgré elles ; même si leur prise en main de toute la société ne peut s’accomplir du jour au lendemain. Sans la participation active et consciente des masses, la construction du socialisme est impossible, l’Etat ne peut dépérir, les rapports communistes ne peuvent s’instaurer. […] Le rôle du parti est de faire prendre conscience aux masses des buts de cette lutte, et de la diriger. Il doit mobiliser pour l’instauration, de façon collective, de nouveaux rapports sociaux » [9]
. Les maoïstes affirmeront que les travailleurs doivent se défendre contre leur État. Et cela va jusqu’à pouvoir se révolter contre le parti, lorsqu’il est devenu le nouveau quartier général de la bourgeoisie, comme le feront les rebelles de la Commune de Shanghai [10]. Ils soulignent la nécessité de l’expression publique de la critique, de s’organiser dans des syndicats et de se défendre par la grève. Ils fixent pour tâche aux ouvriers de s’approprier le savoir des cadres, pour pourvoir diriger la société et abolir la division du travail.
Pour Staline, en revanche, le développement des moyens de production va permettre d’élever le niveau de vie et de changer les rapports sociaux. Et les moyens sont ceux laissés par le capitalisme : le pouvoir des cadres et la contrainte sur les travailleurs. L’adhésion des travailleurs viendra après. On fait le socialisme pour eux, à leur place, et donc au besoin contre ceux d’entre eux qui ne sont pas d’accord.

 

Ces différents éléments montrent comme la confrontation des expériences de construction en URSS et en Chine est complexe, mais aussi que Mao est loin d’être le « Staline oriental » dépeint par ses détracteurs. Pour autant, notre référence au maoïsme n’est pas une référence dogmatique. Chaque pensée particulière a ses limites. Pour nous, c’est d’abord un outil politique vivant qu’il est nécessaire d’enrichir dans une activité politique au cœur de la réalité de la lutte des classes aujourd’hui.

[1Voir aussi l’article de l’OCML-VP : « La pratique, critère de vérité » (La Cause Du Communisme n°10, 1988), http://www.ocml-vp.org/article1204.html

[2Mao Tsé toung, De la juste solution des contradictions au sein du peuple, 1958.

[3Cependant ce rôle accordé à l’idéologie l’amène souvent à sous-estimer les facteurs objectifs qui déterminent la subjectivité. Par exemple, la lutte idéologique seule ne peut pas transformer en parti prolétarien un parti dont la majorité des membres sont paysans, il faut aussi en transformer la base sociale.

[4Rédaction du Renmin Ribao (attribué à Mao), Encore une fois à propos de l’expérience historique de la Dictature du prolétariat, 1957.

[5Plate-forme politique de l’OCML-VP, Cahier 2, paragraphe 463, 1993. http://www.ocml-vp.org/article29.html

[6Plate-forme politique de l’OCML-VP, Cahier 2, paragraphe 421, 1993. http://www.ocml-vp.org/article29.html

[7Staline, L’homme, le capital le plus précieux - Discours prononcé au palais du Kremlin à l‘occasion de la promotion des élèves de l‘Académie de l‘Armée rouge, 1935.

[8Karl Marx, Le Capital, Livre III, 1867

[9Plate-forme politique de l’OCML-VP, Cahier 2, paragraphe 421, 1993. http://www.ocml-vp.org/article29.html

[10Voir « La Commune de Shangai » dans Partisan Magazine n° 1, page 40. http://www.ocml-vp.org/mot152.html

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