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Introduction - La Révolution Bolchevique (1905-1923)

Nous republions dans Partisan Magazine N°8 un article paru en trois parties en 1997 dans notre journal Partisan (N°123, 124 et 125) qui décrit, sous la forme d’une chronologie politique vivante, ce que fut la révolution russe. L’histoire sociale de la révolution russe reste encore peu étudiée et nous avons peu retravaillé le sujet au-delà des éclairages supplémentaires suivants.
Cet article (ou plus exactement son paragraphe de conclusion) ayant fait polémique à l’époque dans nos rangs, nous voulons repréciser ici son intérêt et ses limites.

L’intérêt de l’article en quatre points

- Le premier intérêt est de présenter la révolution russe dans son extraordinaire complexité, dans la succession des événements et des échéances qui s’enchaînent de manière imprévue, de la révolution à la NEP en passant par la guerre civile et le communisme de guerre. Mao Tsé Toung le dira plus tard, « la révolution n’est pas un dîner de gala ». Ce n’est pas un chemin écrit, un avenir radieux et prévisible, c’est une lutte de classe permanente et féroce dans un contexte mouvant, inconnu et ouvert.
De ce point de vue, l’article rompt avec une vision très « romantique » de la révolution bolchevique, dirigée par le « génial » Lénine, et retourne à une vision historique bien plus proche de la réalité. Lénine s’est trouvé au cœur du tourbillon d’une révolution à inventer, dans un contexte qu’il n’avait pas imaginé…
Et du coup, il est beaucoup plus riche de leçons pour nous, aujourd’hui. Rien ne sert d’imaginer les détails précis, le programme détaillé de la révolution dans un contexte dont nous n’avons pas la moindre idée. On comprend mieux par contre la tâche des communistes aujourd’hui : construire une avant-garde, former des cadres communistes, élaborer les grands axes d’un programme dans la critique générale de l’impérialisme et de ses rapports sociaux, pour être capables, le moment venu, de trouver les réponses immédiates et tactiques sur la base d’une compréhension générale de la société.
Nous sommes dans un contexte très différent et les tâches sont différentes, mais l’objectif est toujours le même. Même si nous ignorons les détails du futur, il n’est pas question de se laisser le moment venu ballotter par l’actualité et le « mouvement ». Bien au contraire, il faut dès à présent se donner le cadre théorique, stratégique et tactique pour savoir s’orienter le moment venu.

- Le deuxième intérêt de l’article est de pointer la question clé de ce qu’on appelle « le pouvoir ». Et de souligner les contradictions, les conceptions différentes de ce qui se cache sous cette formule.
D’un côté il y a la conception du pouvoir comme « prise de pouvoir local », avec multiplicité des centres de contrôle éparpillés, des pouvoirs locaux atomisés et concurrents de fait, de l’incapacité à définir une priorité centrale pour tout le pays qui sert ensuite de fil directeur à toutes les priorités éparpillées. C’est la conception petite-bourgeoise de l’autogestion, très répandue chez les paysans et largement reprises par les anarchistes, qui ont toujours été forts en Russie, tant dans la classe ouvrière des villes qu’à la campagne.
D’un autre côté, la conception léniniste et bolchevique de la nécessité de la centralisation du pouvoir dans un Etat de type nouveau, pour être capables de traiter correctement toutes les contradictions de la société et donc de définir les priorités générales de la Révolution, priorités qui ne peuvent être l’addition de priorités locales éparpillées. Dans un court texte de 1921 « A propos du soulèvement de Cronstadt » (T36 p555), Lénine écrira « il n’y a que deux gouvernements possibles en Russie : le gouvernement tsariste ou le gouvernement soviétique ».
Cela dit, bien entendu, il y a bien une contradiction politique entre centralisation et délocalisation, avec l’aspect principal au pouvoir d’Etat, et l’aspect secondaire au pouvoir des Soviets, dans une dialectique où le mauvais traitement de l’aspect secondaire met en danger l’aspect principal.

- Le troisième intérêt de l’article, lié au précédent, est la description de l’évolution des contradictions entre Parti, Etat et gouvernement, et masses regroupées dans les Soviets. Sans proposer d’analyse définitive et de bilan fini de ces contradictions, dont l’entrelacs est extraordinairement complexe dans le contexte de l’époque, l’article décrit comment les choses évoluent au fil du temps et des difficultés auxquelles la révolution est confrontée, pour montrer la disparition progressive du prolétariat comme acteur politique, la tolérance à l’égard des paysans riches, l’apparition des nouveaux bourgeois durant la NEP, au sein de l’économie comme de l’administration d’Etat qui vont peu à peu reprendre le pouvoir et provoquer le retour au capitalisme sous une forme nouvelle, étatique, de capitalisme d’Etat.

- Enfin, l’article aborde au fil des ans la question de la classe ouvrière dans un pays largement dominé par la petite-bourgeoisie traditionnelle (les paysans). Il montre le caractère spécial de la classe ouvrière en Russie, très concentrée en quelques endroits, il montre sa disparition politique au fil des échéances de la révolution (la guerre civile) et donc comment la direction politique et idéologique sera reprise par les nouveaux bourgeois.
Pour nous, qui vivons aujourd’hui dans un pays impérialiste où la résistance à l’exploitation est dominée socialement, politiquement et idéologiquement par la petite-bourgeoisie salariée, la leçon est claire : la priorité est la centralité ouvrière, la direction de classe, qui ne se construit pas dans des formules et des discours ronflants, mais sur le terrain, dans les entreprises et les quartiers. Sans construction prolétarienne, la petite-bourgeoisie imposera nécessairement ses points de vue autogestionnaires ou étatiques, sa vision de réforme du capitalisme à visage humain, mais qui maintient l’exploitation de l’homme et de la nature.

Les limites de l’article

En fait elles tiennent dans le dernier paragraphe du texte, que nous avons néanmoins maintenu par respect pour l’auteur : « L’œuvre prolétarienne de la révolution russe, la réalité et les mythes ».
En gros, selon l’auteur, compte tenu du contexte, la révolution russe était une « entreprise irréalisable », n’a pas été capable de construire « les bases économiques d’un régime socialiste » et n’a construit que « la base économique d’un capitalisme d’Etat ». En gros, elle était vouée à l’échec depuis le début.

Il y a une première erreur. Celle d’imaginer qu’il faudrait « réunir les conditions nécessaires au départ » pour réussir une révolution, comme semble le proposer Labeil. Le propre des communistes, des maoïstes, c’est l’analyse concrète des situations concrètes, et de savoir dégager, dans le mélange complexe des contradictions, la voie à suivre, le chemin qui permet d’avancer vers le communisme, même au prix d’un détour : on ne peut pas forcer les conditions si elles ne sont pas réunies, il faut saisir les opportunités et se donner les moyens de les réunir. En ce sens, on peut dire que les conditions de la révolution russe étaient « extrêmement défavorables », mais que le rôle des Bolcheviks, c’était justement de s’orienter dans ce contexte. C’est cela la tâches des communistes : indiquer le chemin, vers un but. Et on retrouve là le caractère absolument imprévisible de la voie révolutionnaire, à savoir les événements qui arrivent et perturbent le schéma initial prévu… Les Bolcheviks ont osé s’engager sur cette voie, et s’ils ont échoué, ce n’est pas du fait du contexte, mais de leurs erreurs, de leur compréhension très insuffisante du capitalisme et de sa nature profonde. Mais, en osant, ils ont fait faire des pas de géants à la révolution mondiale… D’où l’importance de comprendre ces conditions défavorables, ces erreurs et d’en faire le bilan, comme Marx l’a fait pour la Commune de Paris. Aujourd’hui, grâce à la révolution chinoise qui a avancé dans ce bilan de la construction du socialisme en URSS, nous n’en sommes plus là (voir Partisan Magazine N°4 et 5).

La deuxième erreur est dans la formule « construire la base économique d’un régime socialiste ». Formule extrêmement ambiguë, et d’ailleurs qui ne correspond pas aux positions de l’OCML Voie Prolétarienne. Pour nous, le socialisme n’est pas un état figé que l’on pourrait « construire », mais seulement une étape de transition entre le capitalisme et le communisme. Un Etat instable, traversé par la lutte des classes, tiraillé entre le retour à l’ordre ancien, et l’avancée vers le communisme via « la politique au poste de commande ». Il ne peut pas exister de mode de production socialiste, c’est la position de l’OCML VP.
En ce sens, la formule n’est pas claire et prête à des interprétations divergentes. Car nous reconnaissons par ailleurs qu’il doit y avoir des rapports de production socialistes qui s’instaurent (et ils font partie de la base économique) et se développent dans la société de transition – c’est la marque justement de l’avancée vers le communisme (« A chacun selon son travail », et « qui ne travaille pas ne mange pas », la réduction des différences ville/campagne, ou manuel/intellectuel, la suppression de toutes les tâches parasitaires et bureaucratiques, la réduction des inégalités de revenus, la recomposition du processus de production comme la suppression du travail à la chaîne ou du travail de nuit, la reconnaissance et l’encouragement à la lutte des classes etc.).
Et là, on peut discuter de l’état de la Russie au début des années 20, de la nature des rapports de production dans une société de guerre civile et de communisme de guerre, alors que la production elle-même (en particulier la grande production industrielle) est pratiquement complètement détruite.
Il est donc facile d’admettre qu’en 1923, à peine deux ans après la fin de la guerre civile, en plein dans la NEP et ses ambiguïtés, « la base économique d’un régime socialiste n’a pas été construite ». Une fois dit cela, on n’a rien dit.

Les textes du Xème Congrès du PC(b)R (1921)
On retrouvera en particulier le rapport d’activité, la conclusion du rapport d’activité et le discours de clôture de Lénine ICI
Sont détaillées les incroyables difficultés économiques du moment, l’analyse des erreurs des bolcheviks à ce propos, et les contradictions avec les anarchistes (dont Cronstadt) et l’Opposition ouvrière.

Le fond de l’affaire, que n’avoue pas l’article, c’est que le communisme de guerre est un succès pour les bolcheviks. Oh, bien sûr un succès fragile, plein de contradictions futures, et en particulier des erreurs dans le rapport aux masses. C’est absolument sûr et certain. Mais un succès : l’ennemi a été vaincu, une nouvelle page s’ouvre. Et on peut comprendre les analyses du Xème congrès du PC(b)R en 1921 – même s’il faut reconnaître qu’elles sont très unilatérales et lourdes de conséquences. Affirmer cela, c’est mettre la politique au poste de commande, apprécier une situation dans le contexte, en fonction non pas d’un fantasme ou de principes théoriques mais d’une réalité objective et subjective qui s’impose à tous.
L’article est donc empreint de ce qu’on appeler un « économisme de gauche ». Économisme, car il ne juge pas d’abord en termes politiques, mais en termes économiques. De gauche, car néanmoins il pointe la source des déviations qui viendront ultérieurement.

Lors de la publication de cet article, en 1997, le Comité Directeur de VP l’avait critiqué car non conforme aux positions de l’organisation exprimées dans la plateforme. La critique était juste quoiqu’un peu bureaucratique.
Dans notre plateforme, l’OCML VP affirme que la bourgeoisie est redevenue dans les années 30 la classe dominante en URSS. Ce n’est pas très précis, et c’est la marque de nos lacunes en matière d’étude historique et théorique, et des contradictions politiques qui traversaient l’organisation. Mais cette formule « dans les années 30 » s’oppose à plusieurs versions :
- Celle des anarchistes qui considèrent qu’à partir de Cronstadt en 1921, la révolution est perdue. Les anarchistes nient le rôle de l’Etat, de la centralisation, de la définition de l’intérêt général du peuple contre les intérêts particuliers. Ils sont pour l’autogestion, le pouvoir populaire décentralisé et éparpillé, ils sont contre le pouvoir d’Etat. Ils ne peuvent comprendre qu’à un moment donné, l’avenir de la révolution se joue centralement autour de l’Etat et du gouvernement (ce qu’avait d’ailleurs compris une anarchiste célèbre comme Emma Goldman qui a tenté une médiation à Cronstadt). Ils ne réfléchissent pas plus loin que leur horizon autogestionnaire, pour eux la révolution s’est arrêté là.
Cela dit, et nous y reviendrons ultérieurement, nous n’avons aucune difficulté à admettre que la répression violente de l’insurrection de Cronstadt en mars 1921 a été lourde de conséquence pour les suites de la révolution russe, et que l’attitude du Parti Bolchevik comme de Lénine a été brutale et sans nuances.
- Celle du « coup d’Etat de Khrouchtchev » en 1956 qui considère que c’est à ce moment que l’URSS a restauré le capitalisme. Version qui valide donc les années où Staline était à la tête du PCUS. L’OCML VP affirme que dès les années 30, la bourgeoisie capitaliste d’Etat avait récupéré le pouvoir en URSS, comme facteur principal – et quel que soit par ailleurs le mérite du régime soviétique dans la résistance antinazie. En particulier, la Constitution de 1936 (voir ICI en particulier les articles 1 à 6) qui définit l’Etat du peuple tout entier, la liquidation du capitalisme, le triomphe du socialisme est un marqueur assez clair de l’abandon de la lutte des classes – pourtant facteur principal de la dictature du prolétariat.
- Celle (nettement plus intéressante et riche de réflexions futures) qui considère, comme l’auteur de l’article, que la Révolution était vouée à l’échec. Economisme de gauche, ultra-gauche, pour tous ces camarades, ce n’est pas la politique au poste de commande, mais l’économie. Soyons clairs : nous sommes d’accord pour dire qu’à la fin de la guerre civile les conditions étaient extrêmement défavorables, mais nous considérons que rien n’était joué. Les Bolcheviks avaient survécu à la révolution, à la guerre civile, au communisme de guerre. La route était encore ouverte. L’histoire a prouvé qu’ils ont ensuite échoué – c’est indéniable – mais à ce moment-là, rien n’était encore selon nous gravé dans le marbre.
L’article – très intéressant et vivant, et c’est pourquoi nous le rediffusons – détaille la réalité des contradictions à chaque moment. C’est pourquoi on peut dire que la conclusion est elle-même contradictoire avec ce qui la précède.

Nous rediffusons donc cet article car il est très riche, fourmille d’informations, détaille très bien les contradictions à chaque moment. Nous n’en partageons pas la conclusion finale – c’est pourquoi nous le disons, mais nous souhaitons le débat qui n’est ni conclu, ni fermé.

Le Comité Central de l’OCML Voie Prolétarienne

ATTENTION, ERRATUM
Dans l’édition papier de Partisan Magazine une mauvaise version de ce texte a été imprimée. Nous nous en excusons. Cette version en ligne est la bonne.

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