Approfondir > Rencontre avec deux ouvriers de l’OCML VP

Rencontre avec deux ouvriers de l’OCML VP

Partisan Magazine a souhaité interviewer deux camarades ouvriers de l’OCML VP sur la question de la lutte contre la pénibilité et plus largement contre l’exploitation. A la fois parce que leur expérience est riche d’enseignements mais également parce qu’elle montre très concrètement comment nous portons nos orientations générales dans le quotidien.
Les prénoms et les lieux de travail ont été anonymisés pour des raisons de sécurité par rapport à la répression patronale.

Vous avez chacun dans votre usine, fait une enquête pénibilité dans le cadre de votre intervention syndicale. Pouvez-vous nous en dire les raisons ?

A : Le gouvernement Hollande a modifié le Compte Pénibilité. Il existait déjà mais il en a élargi les critères.
Lors de la présentation dans l’usine du nouveau compte par le service Hygiène et Sécurité, j’ai commencé à critiquer cette nouvelle mesure : ils se foutent de notre gueule, ils parlent pénibilité mais on n’aura rien à part des miettes. Vu le gouvernement anti-ouvrier d’Hollande, ça me paraissait logique que ce compte élargi soit une arnaque. Et c’en était une belle ! Critères super élevés pour se voir reconnaître une quelconque pénibilité, ils avaient tout verrouillé. Par exemple, pour un atelier où les collègues bossent dans le bruit toute la journée, le critère "bruit" n’a pas été retenu... car ils ont un casque. En plus, en regardant de plus près, on s’aperçoit qu’il nous faut vraiment beaucoup de points pour obtenir une formation et les quelques trimestres que tu peux gagner sur ta retraite ne sont pas cotisés (bref ils ne servent pas à grand chose).
Alors dans la CGT de la boite, j’ai saisi l’opportunité : j’ai proposé de déclencher une enquête pénibilité, qu’on en parle, nous, et ne pas laisser le gouvernement ou la direction de la boite parler à notre place !

B : La première vraie raison est le fait d’en avoir parlé avec le camarade, et de m’apercevoir qu’on pouvait faire quelque chose qui pourrait avoir de la gueule sur une question tabou mais centrale.
Ça allait aussi bien dans le calendrier puisque des « discussions  » étaient en cours dans le CHSCT pour se mettre en conformité avec la loi. Seulement peu d’entre nous étaient touchés (près de 10 sur environ 200 ouvriers), ceux qui travaillaient de nuit. Ça a peu parlé de ça dans la boite avant que l’enquête ne le dénonce tout comme l’arnaque que constituait le Compte Pénibilité.
Le camarade avait déjà des premiers retours sur l’enquête elle-même avant que je soumette l’idée à ma section, en prenant pour exemple celle de l’autre usine.
J’ai donc fait une grille d’enquête sur les sujets suivants  : les horaires, les produits chimiques, le stress, la poussière, le bruit, les vibrations et chocs, le port de charge, la fatigue.

Quelles ont été les réactions des collègues sur la démarche ?

A : Ca a été simple de démontrer l’arnaque du Compte Pénibilité et de faire comprendre que ces questions, soit on s’en empare nous, soit personne n’en parle ou alors n’importe comment. Après, c’était la première fois pour nous que nous faisions une enquête CGT. Ça a déclenché pas mal de questionnement : la direction va voir les résultats ? C’est pour quoi faire après ? Si on est intérimaire on peut répondre ? Bref, il a fallu d’abord expliquer ce qu’était une enquête syndicale, aider certains collègues à la remplir, rassurer d’autres...
FO (seul autre syndicat, bien copains avec la direction) ont gueulé à la manœuvre. Le CHSCT (avec exclusivement des gens de chez FO ou proches) ont gueulé aussi, comme quoi on veut les remplacer (pas faux !), comme quoi l’enquête sous entend qu’ils ne font pas leur boulot (pas faux non plus !). Ça les a mit en porte à faux, c’était savoureux !!

B : Les collègues ont d’abord était surpris d’une telle initiative, c’était la première vraie enquête avec questionnaire à rendre et tout ça. Ca changeait un peu des tours d’ateliers du délégué, ça donnait un caractère « sérieux  » à la chose. Bien sûr il y a eu aussi des questions sur l’anonymat etc. Enfin, il y a eu des questions sur qu’est ce qu’on va en faire. A dire vrai c’était encore en questionnement mais on insistait sur le fait d’avoir la parole, de parler de nous, de notre rapport au travail etc… Avec certains ouvriers, j’ai abordé rapidement la question de la condition ouvrière.
Le CHSCT a vrillé avec mails de menaces d’un cadre y siégeant et la direction a véritablement flippé de l’initiative, ce qui, ça aussi, était un peu nouveau pour eux. La CGT sortait (enfin  !) des réunions pour s’adresser à tous pour porter son point de vue.

Et ensuite, les résultats ont donné quoi  ? Comment ça a fait réagir  ?

A : D’abord, il a fallu dépouiller les enquêtes. On avait établi l’enquête sur 4 critères :
- les horaires (travail d’équipe, temps de sommeil...) ;
- les produits chimiques ;
- les charges et mouvements ;
- et la fatigue générale.
On a laissé aussi la possibilité aux collègues de s’exprimer sur la question. Les résultats m’ont donné une claque : peu de sommeil, de gros soucis de fatigue, le mal de dos, la prise de médocs... Les collègues mettaient en avant que les rythmes en 3/7 pourrissaient leur vie de famille et leur vie privée en plus de pourrir leurs corps. On lisait une souffrance terrible. Souffrance qui n’est pas exprimée en temps normal dans les ateliers.
Par exemple, l’enquête a montré que 78% des collègues ont des douleurs liées au travail et que 35% prennent des médocs pour la douleur...
On a publié les résultats qui ont étonné pas mal de collègues, ils en ont rassurés d’autres, qui se pensaient isolés dans leur souffrance.

B : Les résultats je les ai pris dans la gueule comme un bon gros parpaing et j’avoue sans honte que ça m’a pas mal chamboulé. Bien sûr depuis quelques années je la vis cette pénibilité, mais la voir comme ça brute, avec le poids des âges, le vécu des collègues, la diversité des métiers et tout ça c’était autre chose. Quelque chose qui m’a blessé mais qui m’a persuadé dans la nécessité de combattre puis d’abattre le capitalisme.
Par exemple, on a vu que 81% des collègues ressentent des douleurs liées au travail et 51% des ouvriers prennent des anti-douleurs pour le compenser.
Les réactions étaient un mélange de fatalisme et de surprise. De fatalisme devant l’immensité de la bataille à mener et de surprise car les chiffres étaient assez flippants. Néanmoins il y a eu des discussions, la sensation de ne pas être seul avec ses petits (ou gros) bobos. Mais sans relance effective et volontariste de notre part, le sujet a, petit à petit, disparu des salles de cantines et des pauses. Du moins à la surface et pour la plupart des collègues.

Qu’est-ce que vous avez pu tirer des réactions collectives sur la pénibilité autour de vous ?

A : D’abord, on a eu de la reconnaissance de s’occuper de ce sujet presque tabou. Ensuite, ça a aussi permis d’en reparler plus tard, le mot "pénibilité" est plus souvent utilisé par les collègues maintenant. Certains se sont même motivés pour s’investir dans le prochain CHSCT ou aider la CGT sur ces questions. Les collègues se sont emparés de la question sur leur poste  : ils nous remontent maintenant les conditions de travail...
Toutes ces questions ont resurgi pendant la canicule cet été où dans les ateliers la température dépassait les 40°C  ! Les réflexes cette fois ci ont été plus collectifs et aussi plus revendicatifs pour dénoncer la situation. Ça m’a fait plaisir de voir que le travail payait, que certaines graines semées avaient germées.

B : La conclusion de l’enquête fit débat dans la section avant sa publication. Certains voulaient simplement mandater le CHSCT pour refaire le tour des ateliers par rapport à la loi. Moi je voulais aller plus loin, avec cahier de revendications établi après passage des délégués dans les ateliers et liste de matériels à fournir à la direction pour achat rapide, avec potentiellement d’autres tracts pour dénoncer l’inaction de la direction. Les deux aspects sont apparus dans la conclusion du retour d’enquête mais je n’ai pas réussi à suffisamment motiver les délégués pour qu’ils fassent le tour, c’est resté lettre morte vu que je n’ai pas de délégation.
Pour ce qui est des collègues, la dénonciation de la loi passa assez bien et fut, dans l’ensemble, je crois, assez bien comprise.
Pour ce qui est de la nécessité de s’organiser et de prendre nos affaires en main c’était plus compliqué et je n’ai pu creuser le sujet qu’avec peu d’entre eux, ceux avec qui j’ai des discussions plus « resserrées  », celles et ceux qui se posent le plus de questions politiques. Et ça fait aussi partie du travail de militant politique en usine. Savoir analyser qui sont les personnes qui sont les plus avancées politiquement par rapport aux autres collègues, et c’est d’abord vers eux qu’il faut faire le travail. Pour qu’ensuite eux aussi aient un rôle d’entraînement avec les autres etc.

Vous faites un travail syndical, mais comment faire un travail politique, comment on passe à la critique de la société capitaliste, à la nécessité de la prise du pouvoir par les ouvriers eux mêmes ?

A : De toute façon, prendre le contre pied du gouvernement sur cette question, dire "on s’en occupe nous mêmes", montrer par une enquête qu’il y a des soucis liés à la pénibilité, pour moi, c’est du travail politique. Ça permet de contrebalancer le discours de la direction et son fameux "on est tous dans le même bateau". Sauf qu’il y en a qui se tue à la tâche, littéralement, et d’autres non, et en plus de trimer, on est moins payé !
Dans les discussions qui ont découlé de cette enquête, on parle avec les collègues des effets concrets de la pénibilité sur nos vies : dos cassés, articulations en vrac, opérations sur opérations... sans parler de l’espérance de vie plus courte pour nous, ouvriers et ouvrières (on ne le dira jamais assez : un ouvrier vivra en bonne santé 10 ans de moins qu’un cadre, une ouvrière 9,6 ans de moins !).
On aborde alors ici le cœur du problème : l’exploitation capitaliste. Est-ce une fatalité ? Est-ce que juste revendiquer de petites améliorations ça nous épargnera ce travail en soi pénible et parfois inhumain ? Peut-on revendiquer une autre vie, travailler tous moins et autrement ? Alors oui, juste sur la question "pénibilité", on peut démasquer le système capitaliste et notre place en tant qu’ouvrier dans celui-ci.
Ensuite, en tant que militant communiste, c’est à nous, par les discussions d’abord, de démontrer aux collègues que ce n’est pas une fatalité, que l’histoire du mouvement ouvrier nous le montre. C’est sûrement le plus difficile, de faire le lien entre conditions d’existence, de travail et la possibilité d’en finir avec le capitalisme. Là, ce sont surtout des discussions qui partent dans tous les sens : "oui mais les expériences communistes ont échoué à chaque fois" , "c’est quand même possible de changer le système sans faire de révolution, regarde Mélenchon", "c’est foutu, la planète meurt, c’est trop tard". Bref, entre résignation, illusions réformistes et fatalisme, c’est pas simple. Mais le travail paie, même à une toute petite échelle.

B : J’ai insisté sur le style de travail, sur la méthode, la ligne de masse [1] (sans aller dans ce vocabulaire là nécessairement) et ça, en soi, c’est un travail politique.
Ensuite le passage à la nécessité de la prise du pouvoir et de la construction du parti est plus dure à mener, déjà parce que c’est dur de parler avec un collègue auprès duquel je suis dévoilé seul à seul et suffisamment longtemps, ensuite parce que ça nécessite un degré d’unité politique supérieur à celui du travail syndical.
Pour ceux qui est des discussions collectives sur le sujet, j’insiste d’abord sur la nécessité de s’organiser entre nous, entre ouvriers. L’étape de la construction du parti, disons que la plupart de mes collègues n’en sont pas encore là…
En vrai, c’est une question à laquelle j’ai du mal à répondre car ce passage est vraiment compliqué, et, pour l’instant, il ne passe que par des discussions par ci par là.
Cependant la pénibilité est au cœur du processus d’extraction de la plus-value [2]. C’est potentiellement un formidable axe de travail militant pour dénoncer le capitalisme dans son ensemble. Si on en chie tant au taff c’est pas à cause de notre métier mais de la façon dont on nous impose de le faire. Le travail n’est pas aliénant en soit mais il l’est sous le capitalisme etc… Tout le système repose sur la production de marchandise et l’extraction de plus-value qui en découle, en tant qu’ouvrier, nous sommes la clef de voute de tout leur système. Par conséquent en étant au centre des rapports de production, nous sommes aussi la solution au capitalisme. C’est vers cela que doit tendre notre travail de communistes dans la classe ouvrière. Après si tout est beau et facile en théorie, la mise en œuvre pratique de tout cela reste plus compliquée. Mais comme on dit, être révolutionnaire c’est pas faire un sprint mais faire un marathon. Alors faut être patient et... déterminé.

[1Ce sont les masses qui font l’histoire, et personne ne la fera à leur place. D’où notre attention pour ses aspirations, ses contradictions, mais aussi ses erreurs et ses limites. C’est ce que nous appelons "la ligne de masse".

[2C’est la part de la valeur créée par le travail que les capitalistes récupèrent une fois qu’ils ont payé à l’ouvrier juste de quoi reproduire sa force de travail : son salaire. La force de travail est, pour les capitalistes, une marchandise qui a la propriété magique de produire plus de valeur qu’elle n’en consomme. En achetant cette marchandise sous forme de salaire, ils empochent la différence : la plus-value. Marx l’appelait en fait la « survaleur ».

Soutenir par un don