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Cuba : un faux socialisme

La mort récente de Fidel Castro [1] est l’occasion de revenir sur certains points cruciaux de la politique menée à Cuba depuis qu’il a pris le pouvoir avec les guérilleros en 1959.

Deux ans de guérilla ont suffi pour mettre à bas le régime corrompu de Batista, qui gérait Cuba comme l’arrière-cour des États-Unis : corruption, trafics, prostitution, pas d’industrie... La population des campagnes a soutenu la lutte de guérilla mais y a peu participé. La population des villes encore moins. Le Parti communiste, très révisionniste et compromis avec Batista, non plus !

Les premiers temps de la révolution ont vu une politique sociale et internationaliste s’affirmer, d’autant plus qu’après les nationalisations des sociétés américaines, les USA ont jeté tout leur poids pour éliminer ce danger révolutionnaire à leurs portes : blocus de l’économie (il durera 55 ans) ; tentative d’invasion et d’assassinats de Fidel ; campagnes de mensonges et de désorganisation de l’économie...). De son côté, le nouveau pouvoir cubain se consacre à l’éradication de la misère : baisse des loyers.de l’eau, de l’électricité et du prix des produits de consommation courante ; campagne d’alphabétisation et de scolarisation ; politique de santé gratuite et formation médicale ; liens et encouragements aux mouvements révolutionnaires dans le monde et en particulier en Amérique latine, indépendamment des partis officiels d’opposition corrompus. Le point culminant sera la Tricontinentale en 1966, réunion des mouvements de libération d’Asie, d’Afrique et d’Amérique à La Havane.

Mais l’URSS comprend très vite qu’elle a une place à prendre à Cuba pour gagner une image mondiale d’anti-impérialisme occidental. Soutiens politique, économique et militaire la rendent vite indispensable. Le premier accord économique date de 1960, après que les États-Unis eussent rompu les accords commerciaux qui les liaient à Cuba, suite aux nationalisations. Le projet de développement économique initié est aussi inspiré par l’URSS, surtout dans le domaine agricole. Et l’économie s’intègre au COMECON et prend place dans cette répartition internationale du travail. Cuba fournit sucre, produits exotiques et médicaments, à prix avantageux, contre du pétrole et des machines (souvent ringardes ou défectueuses, (mais les dirigeants doivent se plier à ces mauvaises manières). Castro qui s’était fait admirer pour son opposition résolue à l’impérialisme américain remet ainsi le sort de Cuba dans les mains de l’impérialisme soviétique et il en paie le tribut politique : soumission complète aux besoins des dirigeants russes ; louanges de l’URSS et des pays d’Europe de l’Est, jusqu’au soutien à l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968 ; soumission au camp révisionniste dans la rupture sino-soviétique et aux PC révisionnistes d’Amérique latine ; envoi de contingents armés cubains en Angola quand la présence armée russe n’est pas possible (thème abordé dans le texte de 1976 du RCP USA qui suit [2]).

Ce soutien, qui tourne à l’échange d’une domination contre une autre, montre ses effets pervers quand il prend fin avec la chute de l’URSS. En 1990, tous les contrats profitables à Cuba sont rompus et commence la période dite « spéciale » où l’économie chute de 40%, la pauvreté revient et le pays est exsangue. Il mettra plus de 15 ans à encaisser le coup, poussant la jeunesse à rêver ou risquer l’exil. Aujourd’hui, la situation maté¬rielle de la population s’est améliorée : parce que l’éco¬nomie nationale est passée dans le giron de l’armée qui la contrôle globalement ; parce que la petite entreprise privée a été rétablie (services, transports, hébergement et restauration). Enfin parce que les investissements, touristiques en particulier, ont été développés, permettant à l’île de survivre en faisant exploiter sa population par les multinationales européennes et canadiennes (les cigares et rhums cubains par exemple). Vous retrouverez en supplément sur notre site des commentaires d’un lecteur sur notre brochure « Cuba : la révolution est bien loin » qui développent bien cet aspect [3].

Mais plus que l’état de pauvreté ou de richesse matérielle (on peut être esclave et bien nourri, ou bien nourri et soigné dans le capitalisme, comme dans les pays nordiques !), ce qui pose problème, c’est l’intégration au modèle soviétique de « socialisme » (qui n’a plus rien de soviétique justement, au sens de conseils de travailleurs prenant en main de façon croissante la gestion des entreprises et des collectivités). Ainsi de la collectivisation et des nombreuses marottes successives que Fidel Castro a imposées à la population, passant d’un échec à l’autre. Les travailleurs n’ont aucun pouvoir de décision. Syndicat (CTC) et structures de base du pouvoir (CDR) sont des courroies de transmission d’un pouvoir très centralisé et inatteignable. Les multiples erreurs d’orientation dans les domaines économiques, agricole et industriel, sont hors d’évaluation critique par les travailleurs. Citons la légalisation du dollar, annulée par la suite mais remplacée par le peso convertible, au cours du dollar. Qui n’a pas accès à cette monnaie venue des touristes ou des versements d’exilés vit dans la pauvreté avec le seul peso intérieur (créant ainsi deux types de population et une course à cette monnaie convertible). Des conceptions (plus ou moins de libéralisme ou de dirigisme étatique) s’affrontent au sommet de l’État, mais la population en est tenue à l’écart, malgré son niveau de politisation élevé (qui a bien chuté au fil des mensonges, répressions et monolithisme d’État). Car la conception du Parti-État, reprise de celle de l’URSS des années 30, domine et fait ses ravages : concentration du pouvoir par le Parti, pas de rôle des masses, erreur sur les objectifs de la révolution : peu de changement des rapports de production, craindre la créativité des masses tout en appelant à leur mobilisation sur des objectifs venus d’en haut, poussant la population au vol et au mensonge pour survivre... (citons le mot d’ordre proclamé pendant des années : « Nous sommes heureux ici », pour contrer le désir d’exil de tant de jeunes Cubains désenchantés par la réalité sans perspective qu’ils vivaient).
Notre conclusion : une révolution, nationale et démocratique, a bien eu lieu dans les années 60. Mais la soumission au « bloc de l’Est », avec armes et bagages politiques, l’a empêché de réaliser la révolution socialiste qui aurait dû suivre. La faute au blocus américain ? Cela n’a sûrement pas aidé mais ce sont dans les causes internes, les conceptions mises en œuvre, qu’il faut chercher les réponses... A contre-courant de tous les laudateurs aveugles ou intéressés du régime, tels que Mélenchon.

[1Voir à ce sujet notre déclaration du 29 novembre 2016 : http://ocml-vp.org/article1694.html

[3disponible ici : http://ocml-vp.org/article789.html

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