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La crise ? Ce n’est qu’un début !

De la situation actuelle

La première partie de cet article de Tom Thomas et sa dernière page ont été publiées dans Partisan Magazine n°7 de février 2017, pages 19 à 23 [1]. Il nous a paru utile de proposer à la lecture le corps de l’exposé, d’autant que, concernant l’éclatement de la bulle financière avec ses conséquences économiques, sociales, et politiques, la seule incertitude, c’est son échéance. Les sous-titre et intertitres sont de Partisan Magazine.

Nombre d’économistes officiels ont été amenés à constater, dans le plus grand désarroi, qu’aucun des remèdes supposés mettre fin à la crise ne fonctionne, bien qu’ils soient tous appliqués avec une ampleur exceptionnelle et une brutalité sans frein. Mais leur sagacité s’arrête, pour les moins aveugles, à ce constat dépité que cela signifie que leurs prescriptions ne s’attaquaient nullement aux racines de cette crise. C’est que, abominant Marx pour le contenu et les conséquences révolutionnaires de son œuvre, ils ignorent du même coup, par intérêt et idéologie de classe, ce qu’est le capital, ce que sont ses contradictions, comment elles évoluent en antagonismes, et donc ignorent le vrai remède à cette crise : d’où leur désarroi.

Vérifions d’abord succinctement la réalité de l’application entêtée des remèdes appliqués avant d’en voir les résultats.

1) Ampleur exceptionnelle de l’accumulation des dettes. Selon la CNUCED (ONU), l’endettement de tous les acteurs économiques (Etats, collectivités locales, entreprises, ménages) a progressé de 57.000 milliards $ de 2007 à 2014 (soit + 40%) pour atteindre un cumul de 199.000 Mds $. Lequel sera dépassé en 2015 puisque la politique des principales Banques Centrales (FED, BCE, Japon, Angleterre, etc.) continue à être d’inonder les marchés de liquidités. Il s’agit, notamment des programmes dits de « Quantitative Easing » (QE) par lesquels les dites banques rachètent massivement des titres d’Etat [2] (et aussi, hors QE, d’entreprises). Ou encore, autre forme de création monétaire massive, elles ont offert, et offrent toujours, aux banques des crédits quasi gratuits en quantité quasi illimitée. Tout ceci peut se résumer en quelques mots : une gigantesque émission monétaire.

2) Continuation des offensives généralisées d’aggravation de l’extraction de la plus-value sous sa forme absolue. Là il s’agit de faits systématiques, au nom de la « rigueur », de la « compétitivité », de la « mondialisation », de cette « réalité » qui est celle des lois du capitalisme, sur lesquels il n’est pas besoin de revenir ici tant ils sont le vécu immédiat des prolétaires, celui de la dégradation sans cesse accrue de leur quotidien : baisse des revenus salariaux et prestations sociales, augmentation de la quantité de travail à fournir (aussi bien en intensité quotidienne et annuelle qu’avec le recul du départ en retraite) pour ceux qui en ont un, multiples mesures dites de « flexibilité », « suppression des rigidités du droit du travail » (quand il y en a un !), chômage de masse (partiel et total), etc. « Vos sacrifices d’aujourd’hui sont nos bénéfices de demain, et vos miettes d’après la saint glin-glin ».

3) Dégradation particulièrement brutale de la situation des peuples des pays dominés par les principales puis¬sances impérialistes. La concurrence décuplée par la crise oblige les multinationales à accentuer leurs pres-sions sur leurs sous-traitants dans les pays à bas coûts salariaux pour qu’ils les abaissent encore davantage [3]. Cela jusqu’à provoquer des masses de morts chaque année, connues (comme, par exemple, dans les effondrements d’immeubles des sous-traitants du textile au Bengladesh), ou, pour la plupart, passées sous silence (maladies létales, famines, pollutions, etc.).
A cela s’ajoute que beaucoup de ces pays se situent dans la chaîne mondialisée et segmentée de valorisation des capitaux comme simple fournisseurs de matières premières. Leurs prix s’effondrant avec la crise, c’est une paupérisation accrue de ces peuples qui en découle, tandis que s’y exacerbent les rivalités entre différentes fractions bourgeoises, s’appuyant souvent sur différentes communautés ethniques ou religieuses, pour le partage de ce qui reste du butin de l’exploitation de ces matières premières. Rivalités qui, avec l’aggravation de la crise, dégénèrent en conflits armés, qu’exploitent, après les avoir souvent stimulés eux-mêmes, les différentes puissances impérialistes elles-mêmes rivales. D’où des guerres, mélanges de guerres civiles et impérialistes, d’ampleur et de létalité grandissantes.

Restons-en à ce bref et sommaire panorama des actes des fonctionnaires du capital pour tenter de surmonter la crise. Et constatons, avec eux d’ailleurs, qu’effectivement rien n’y fait : la croissance (la valorisation du capital, son accumulation) ne repart pas. Ceci alors même que tous les économistes officiels se félicitaient de ce que les conditions qu’ils avaient déclarées être celles de la reprise étaient réunies. Par exemple en Europe ou au Japon : crédit abondant et quasi gratuit, monnaies faibles facilitant les exportations, cours des matières premières, et notamment du pétrole, effondrés. Mais cet exceptionnel « alignement des planètes, selon leur expression, n’a nullement provoqué ce boom de la croissance que leurs théories économiques promettaient. Bien au contraire. Observons en effet maintenant quelques-uns des résultats auxquels ces fonctionnaires sont parvenus.

DETTE ET KRACH

Commençons par l’émission monétaire massive. Où sont passés, à quoi ont servi ces monceaux d’argent émis par les Banques Centrales ?

Il n’est pas très difficile de le savoir : les économistes officiels le savent eux-mêmes puisque cela fait partie des phénomènes apparents à la surface que sont les mouvements et rapports des choses (prix, salaires, profits, taux de change, rapports offre/demande, etc.) à quoi se bornent leurs études. Ces milliards sont allés, via le système financier, dans les caisses des Etats à titre d’emprunts pour combler leurs déficits budgétaires, dans celles des banques dont les bilans devaient être purgés des créances irrécouvrables, et aussi dans les entreprises, les plus grosses surtout, qui empruntaient quasi gratuitement cette manne. Mais là (pas plus que dans les mains des banques et des Etats) ils n’y ont guère été transformés en investissements productifs, ce qui était un des buts de l’émission monétaire. Ils y ont essentiellement servi à gonfler artificiellement (c’est-à-dire sans que cela corresponde à une augmentation de la plus-value) les revenus versés aux actionnaires, aussi augmentés [4] du fait que la plus grande part de la plus-value obtenue n’a pas été reconvertie en investissements (en capital additionnel) mais distribuée sous forme de dividendes. Un autre usage de ces milliards, fort prisé des financiers et rentiers, a consisté à ce que les entreprises rachètent leurs propres actions pour les annuler, ce qui augmente mathématiquement le bénéfice par action et fait monter, ou freine la descente de leur cours boursier, mais n’alimente évidemment pas la croissance (c’est au contraire une destruction de capital, un désinvestissement). Ainsi, par exemple, environ 70% des énormes flux de liquidités émises par la FED (banque centrale US) ont servi à alimenter les dividendes et rachats de titres. Mais ce ne sont pas des manœuvres pouvant se répéter longtemps. Une autre partie de ces flux mondiaux alimente une concentration accrue du capital par le biais de fusions/acquisitions mobilisant des dizaines de milliards de dollars. Ce qui ne crée évidemment aucune capacité de production supplémentaire, mais des gigas mastodontes qui accroissent le caractère oligopolistique du capitalisme mondial et la concentration des richesses dans un nombre d’individus de plus en plus petit et toujours plus riches.

Finalement, le plus caractéristique de tout ça, et qui inquiète les économistes officiels eux-mêmes, c’est la dégradation massive et généralisée de l’investissement destinés à accroître les moyens de production, c’est cette stagnation de l’accumulation du capital qu’impliquent ces opérations financières. Pour prendre l’exemple des USA, première puissance mondiale, en 2014 les 500 premières entreprises US (classement Standard and Poor’s 500) ont fait 1000 Mds $ de bénéfices opérationnels, et en ont reversé 903,6 Mds à leurs actionnaires sous forme de dividendes (350,4 Mds) et de rachats d’actions (553,2 Mds). Donc 90% des bénéfices n’ont pas été réinvestis, mais distribués. Ce qui prolonge une tendance qui accompagne l’aggravation de la crise depuis longtemps (ce ratio ressort en moyenne à 85% depuis 1998).

Ainsi les flux de liquidités émises par les Banques Centrales, par l’usage qui vient d’en être rappelé (sans parler ici des trafics illégaux, maffias, corruptions, et autres spéculations frauduleuses en constantes et spectaculaires augmentations), ont pour résultat la création d’une nouvelle bulle de capital financier fictif, et bien plus gigantesque encore que la précédente qui a éclaté en 2007. Il va de soi en effet que la valeur de titres de dettes des Etats, comme celle de titres boursiers, soutenue par cette immense création monétaire ex-nihilo et non par la création d’une réelle richesse, n’est qu’une valeur fictive, ne correspond qu’à du capital financier fictif.

C’est au point que cette fictivité apparaît parfois, pour une part, ouvertement. Par exemple quand des Etats ne sont plus capables de rembourser leurs dettes (Grèce pour le cas le plus récent), ce qui est d’ailleurs en réalité le cas de presque tous qui font de la cavalerie [5] pour le masquer. Ou, autre exemple, si on regarde le gonflement des cours boursiers qui, malgré les manœuvres citées ci-dessus pour doper les dividendes, ont amené le rendement des actions [6] à des niveaux historiquement faibles. Les CCR sont deux à trois fois supérieurs à ce qu’ils étaient avant 2007. On assiste alors à des phénomènes paradoxaux, tel que, par exemple, sur les trois années 2012-2014 les bénéfices des entreprises de la zone euro ont chuté de 7% environ quand, dans le même temps, le cours des actions a augmenté de 40%. Ou encore, le rendement des actions des 500 premières entreprises US (Standard and Poor’s) a été de 1,87% en 2014 contre une moyenne de 4,41% sur les 130 dernières années. C’est évidemment cette dégradation des taux de profit qui entraîne celle des investissements rappelée plus haut.

Cette énorme bulle de capital fictif ne pourra, sous peu, qu’aboutir au même résultat que les précédentes : le krach. Il y aura néanmoins deux éléments nouveaux concernant cette bulle et son krach : 1°) son ampleur, qui est, elle, sans précédent 2°) l’impossibilité pour les Etats d’empêcher qu’il ne tourne immédiatement en débâcle généralisée du système financier puisque leurs Banques Centrales ne pourront plus utiliser la planche à billets du fait que, justement ce krach sera non seulement la constatation de l’inanité de ce moyen, mais, bien pire encore, qu’il a été un remède qui n’a fait que reculer un peu les échéances au prix d’une formidable aggravation du mal par le gigantesque accroissement de la masse de capital fictif et parasitaire auquel il a donné lieu. Comme si on avait voulu soigner un drogué en lui donnant toujours plus de drogues. Jusqu’à l’overdose fatale donc !

Or, puisque ce système financier est inhérent autant qu’indispensable au système capitaliste moderne, dont le crédit est un fondement, son écroulement sera un séisme généralisé. Monceaux de créances irrécouvrables, faillites en chaîne, effondrement des monnaies, destructions massives de capitaux, misère et chômage décuplés seront au programme, ainsi que leurs conséquences : conflits sociaux exacerbés, guerres, dictatures. Cela du moins si un mouvement révolutionnaire organisé pour l’abolition du mode de production capitaliste ne s’y oppose pas. Ce qui, hélas, ne semble pas pouvoir advenir suffisamment rapidement D’ailleurs ce « programme » catastrophique se développe déjà partout comme le montrent par exemple la multiplication des guerres au Moyen Orient en Afrique, l’augmentation considérable des dépenses militaires partout dans le monde [7], la suppression rapide des droits démocratiques là où ils existaient encore un peu, la montée des théofascismes religieux (islamique, mais aussi, depuis longtemps, sioniste, ou encore, moins sanguinaire pour le moment chrétien) comme des néofascismes « traditionnels ». Tout cela sont des signes évidents de la sénilité du capitalisme, que l’analyse de sa crise a mise à jour, qui, en pleine déliquescence, ne peut se survivre (ne peut reproduire le capital, le procès de valorisation) que dans sa putréfaction s’aggravant en permanence, du moins tant qu’une révolution politique ouvrant la voie vers une société communiste vraie n’y mettra pas un terme.

AUSTÉRITÉ, PRODUCTIVITÉ, INFLATION

Les politiques dites « d’austérité » d’augmentation de l’extraction de la plus-value sous sa forme absolue, rappelées ci-dessus, entrent évidemment dans le cadre de ces politiques fascisantes ou déjà fascistes. Observons donc maintenant les résultats de ce deuxième type de « remède » à la crise après l’avoir fait de la politique monétaire.

Il s’agit de ce que les économistes officiels, pas toujours dupes des recettes faciles et miraculeuses de la planche à billets, rappellent être la nécessité d’un « retour aux fondamentaux », « aux réformes structurelles », à savoir à l’extraction d’une réelle plus-value pour valoriser et reproduire le capital (et la société capitaliste). Ils adjurent les Etats, avec le chœur des capitalistes actifs [8], de mettre en œuvre de vastes « réformes structurelles », c’est-à-dire qui dégradent profondément le rapport salarial au détriment des salariés. Or ces politiques « d’austérité » [9], de « flexibilité », d’intensification du travail, de destruction des droits des travailleurs et de leurs « acquis » sociaux, sont inefficaces à relancer la production de plus-value et la croissance de l’accumulation du capital, pour plusieurs raisons :

1) La réduction de la masse salariale qu’entrainent les mesures d’austérité, stimulée par l’utilisation de la hausse du chômage, de l’immigration, des délocalisations qui accroissent, à l’échelle mondiale, la concurrence pour la vente de la force de travail, aboutit évidemment à abaisser la consommation, et donc la production. Ainsi ce que doit impérativement faire, obligé par la concurrence, chaque capital pour survivre dans cette crise, c’est-à-dire abaisser ses coûts de production, finit par nuire à l’ensemble du capital global.
2) Dans le capitalisme contemporain, la faiblesse de la masse salariale relativement à l’importance du capital fixe (machinerie) dans le procès de production de la plus-value rend beaucoup moins efficace que dans le passé, quant à cette production, l’élévation du taux d’exploitation des prolétaires encore employés (ceci d’ailleurs quelles que soient les modalités d’extraction de cette plus-value, absolue ou relative).
3) Cette exploitation se fait beaucoup plus ouverte, visible et brutale quand les moyens utilisés sont ceux de l’extraction de la plus-value sous sa forme absolue [10]. Donc elle suscite des résistances également plus fortes et plus violentes de la part des prolétaires (et autres couches populaires). Ce qui ne veut pas dire cependant spontanément ni nécessairement anticapitalistes, car, sous l’effet de l’idéologie dominante, (qui a de fortes bases matérielles sur lesquelles s’appuie la propagande bourgeoise, qui dispose de sa possession dictatoriale de tous les médias de masse et d’une flopée d’intellectuels stipendiés pour sa diffusion), nombreux, et même très majoritaires pour le moment, sont les prolétaires qui placent encore leurs espoirs dans l’utopie d’un « autre » capitalisme, d’un autre gouvernement (de type FN pour certains) qui renforcerait l’Etat et saurait l’utiliser pour contraindre le capital, nommé « l’économie », à servir « les hommes », le peuple, la nation, la patrie !

Cependant, il est un autre résultat de ces politiques d’austérité, positif celui-là, qui concerne particulièrement les pays développés : la confirmation de la disparition d’une base importante de l’hégémonie de cette vieille idéologie dite « de gauche ». Comme rappelé ci-dessus, c’est celle qui existait quand le capital était dans une phase de croissance fondée sur des gains de productivité suffisants pour permettre d’augmenter les profits tout en concédant, plus ou moins en fonction de la pression gréviste, des améliorations du niveau de vie matériel des travailleurs. Ce qui nourrissait leur espoir d’une amélioration graduelle de leur condition par la seule voie de la lutte salariale, de la médiation des appareils syndicaux et du vote « de gauche ». Or la confirmation de l’analyse des caractéristiques historiquement spécifiques du fondement de la crise de reproduction du capital, telle qu’elle a été faite ci-dessus, confirme aussi l’inanité de cet espoir. En effet, les gains de productivité ont été laminés car, du fait de leurs rendements décroissants, ils intéressaient beaucoup moins les fonctionnaires du capital. Ce qu’ont enfin fini par reconnaître de nombreux économistes officiels : « la faible croissance est essentiellement due à la grande faiblesse des gains de productivité, de l’ordre de 0,6% par an seulement » [11] ; « il n’est désormais plus possible de nier le ralentissement de la productivité, ressort premier du dynamisme économique » [12]. On connaît bien la cause essentielle de cette situation : le haut degré de mécanisation de la production déjà atteint qui, ayant considérablement réduit la part du travail vivant productif de plus-value relativement à celle de la machinerie, rend finalement de moins en moins intéressant, en terme de rendement financier, un nouvel accroissement de la mécanisation puisqu’il coûterait trop par rapport à l’économie de main d’œuvre qu’il permettrait C’est toujours ce phénomène d’évanescence de la valeur, que nous avons affirmé comme la caractéristique fondamentale de la situation du capitalisme contemporain, qui est confirmé par cet effondrement structurel des gains de productivité. Et tout ce mouvement n’est pas terminé puisque, poussés par une concurrence exacerbée [13], les capitalistes sont malgré tout obligés d’automatiser encore un peu les procès de production même si cela ne leur procure finalement que des rendements décroissants. C’est que, l’installation de robots dans les usines est facilitée par le fait que leur coût diminue tout en étant plus efficaces. C’est que la diminution de la valeur concerne aussi bien celle des moyens de production que celle des biens de consommation (donc de la valeur de la force de travail, de plus employée en moindre quantité du fait de la robotisation). D’où cet apparent paradoxe : l’abaissement de la valeur des facteurs de la production (machinerie, approvisionnements, main d’œuvre) n’entraîne ni augmentation de la plus-value (sauf entreprise particulière et provisoirement, sous forme de plus-value extra), ni reprise de la croissance. Cela contrairement à toute l’histoire du capitalisme jusqu’à cette crise. Paradoxe qui est en fait la confirmation de ce que les difficultés de la valorisation ne trouvent leur explication que comme étant la conséquence de l’évanescence de la valeur.

Des futurologues voient le proche avenir ainsi : « le parc de machines devrait croître de 10% par an dans les 10 prochaines années » (Le Monde, 30/09/15) et « les coûts de production baisser de 20 à 25% » en Chine, « d’un tiers » aux USA, Allemagne, Corée du Sud, etc. « Un rapport de l’université d’Oxford concluait que 47% des emplois américains disparaîtront dans les 20 prochaines années à cause de la robotisation. Cette sombre prédiction est confortée par les 44% des sociétés américaines qui ont réduit leurs effectifs depuis 2008 en automatisant leurs méthodes » (Les Echos, 09/06/15). « Selon une étude qui fait autorité, 50% des emplois sont menacés de numérisation » (D. Cohen, une des stars médiatiques française de l’économie, in Libération 04/09/15). Et le numérique, ça coûte pas cher ! Toutefois, 1) toutes ces prévisions sont celles de « spécialistes » qui se sont très souvent trompés, et 2) qui le peuvent encore ici parce qu’ils oublient que, dans les dix prochaines années, le système capitaliste sera dans de telles difficultés et déboires, s’il n’a pas été renversé avant, qu’il n’aura sans doute pas pu mettre en œuvre tous ces potentiels développements robotiques. Lesquels ne touchent pas que les secteurs industriels ou agricoles, mais aussi les prolétaires du secteur dit « tertiaire » (communications, finance, commerce, administration, etc.)

Quoi qu’il en soit de l’ampleur de cette robotisation, le phénomène d’évanescence de la valeur est ainsi avéré par ces économistes officiels, bien qu’ils ne le sachent pas tout, comme Mr. Jourdain ne savait pas qu’il faisait de la prose.

Il est encore avéré par un autre fait : une inflation proche de zéro des prix nominaux des marchandises alors même qu’une émission aussi massive de « liquidités » aurait dû, en toute logique selon la théorie économique officielle, la faire croître considérablement [14]. Ce qui n’a pas eu lieu puisque les flux de la création monétaire ne sont pas allés dans l’économie « réelle », mais dans les titres financiers (hyper inflation de capital fictif).

D’ailleurs cette inflation quasi nulle des prix nominaux est en fait le résultat actuel d’une diminution continue de l’inflation depuis cinq ans environ, c’est à dire d’une tendance à la déflation. Au point qu’il arrive à des financiers, chose jamais vue, de placer leur argent à des taux d’intérêt nominaux négatifs auprès d’emprunteurs considérés comme sûrs, toujours solvables (Etats, Banques Centrales). Le mieux que ces créanciers espèrent, c’est que ce rendement négatif, par exemple -0,5%, soit inférieur à la déflation qu’ils perçoivent et escomptent déjà : si celle-ci est, par exemple, de 2%, ils considéreront, à juste titre, bénéficier d’un taux réel de 1,5%. Or déjà environ 35% de l’encours des obligations dites souveraines (celles des Etats) offraient de tels rendements négatifs début 2015. Cette tendance déflationniste est suffisamment nette pour que certains économistes commencent à s’alarmer de la « vague déflationniste qui déferle actuellement sur la planète […] (et qui) menace d’installer le monde dans une ère glaciaire » [15]. Car elle signifie effectivement la dévalorisation des capitaux, réels et fictifs, la destruction de nombre d’entre eux, l’explosion du système des crédits, avec des dettes devenues d’autant plus irremboursables que leurs montants à l’échéance seraient augmentés par cette déflation.

Evidemment, les prix peuvent varier en fonction de l’offre et de la demande. Et une reprise momentanée de la croissance pourrait créer de l’inflation, notamment à partir d’une hausse des prix des matières premières (pétrole, gaz, minerais, etc.), laquelle hausse laminant davantage consommation et profits ne durerait pas. De toute façon la tendance de fond est bien déflationniste puisque, comme nous l’avons vu, les coûts de production et la valeur des marchandises ne cessent de baisser avec les perfectionnements de la machinerie. D’ailleurs, cette tendance s’accélère avec la crise puisque l’exacerbation de la concurrence qu’elle implique ne laisse subsister, dans chaque branche, que les entreprises qui y ont les plus bas coûts de production, notamment salariaux. Cette tendance déflationniste, n’est pas autre chose qu’une autre manifestation de cette érosion, de cette évanescence de la valeur en général.

Tom Thomas

[2La seule BCE en rachète pour 60 milliards d’euros par mois depuis mars 2015, et s’est engagée à le faire au moins jusqu’en 2016. La monnaie ainsi émise n’est évidemment que de la monnaie de singe.

[3La société chinoise Foxconn, plus d’un million de prolétaires employés, s’est rendue célèbre pour ses « performances » dans ce domaine (voir « La machine est ton seigneur et ton maître », édition Agone). Mais c’est loin d’être la seule, ni même la pire

[4Ceux-ci peuvent aussi augmenter, pour les entreprises ayant des filiales à l’étranger, du fait des variations de taux de change (ce qui explique par exemple une hausse d’environ 5% des profits des entreprises du CAC40 en 2015). Mais nous n’en parlerons pas ici du fait qu’au niveau du capital global c’est un jeu à somme nulle.

[5Emprunter à nouveau pour rembourser ce qui arrive à échéance.

[6Mesuré par les CCR, coefficients de capitalisation des résultats (ou PER, price eaming ratio), i.e. les rapports cours/bénéfices par action.

[7Voir l’article de Jules Dufour "Le grand réarmement planétaire"

[8Managers, chefs d’entreprises, par distinction des capitalistes « passifs », les financiers, rentiers.

[9Qui ne s’appliquent évidemment pas aux vastes castes politiciennes et médiatiques, ni aux innombrables, et toujours proliférantes, et toujours plus avides castes de hauts fonctionnaires, publics ou privés, du capital, ni aux paradis fiscaux, ni aux évasions fiscales (l’ancien chef du Luxembourg, grand spécialiste dans ce domaine, a même été nommé à la tête de l’Europe !), ni etc.

[10cf T. Thomas « La crise, laquelle ? Et après ? » Editions Contradictions, p85-94

[11Patrick Artus, Les Echos 28-29/05/2014

[12M. Vittori, Les Echos 07/10/2015

[13Et par la possibilité d’obtenir une « plus-value extra », c’est-à-dire temporaire, comme résultat d’une avance technologique (donc temporaire) sur leurs concurrents.

[14Ce qui était d’ailleurs, et est encore recherché par les Etats, l’inflation étant un moyen de se débarrasser des dettes en les remboursant ainsi en « monnaie de singe » tandis que le pouvoir d’achat des salaires diminue subrepticement. Toutefois une inflation trop forte ruinerait cette autre fonction de la monnaie qui est de représenter et conserver la valeur dans le temps. En effet cela ruinerait alors le système du crédit et par là le système capitaliste contemporain qui repose sur le crédit. C’est pourquoi, écartelés entre les avantages et les inconvénients de l’inflation des prix des marchandises, les économistes officiels la souhaitent « limitée », de l’ordre de 2 à 4% par an. Un peu, mais pas trop, voilà toute leur science ! Or, peu importe car, comme nous l’avons vu, l’hyper inflation de capital financier fictif ruine déjà le système capitaliste contemporain.

[15G. Maujean, Les Echos, 21 /09/15.

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