Vous êtes dans la rubrique > Archives > Pénibilité : La responsabilité des réformistes

Pénibilité : La responsabilité des réformistes

Partisan N°239 - Juin 2010

Paradoxe : Les suicides et les maladies qui accompagnent la souffrance au travail sont les résultats d’une réorganisation capitaliste du travail et de la société lancée dans les années 70, en France, sous le prétexte de répondre aux aspirations du mouvement de mai 68 à l’amélioration des conditions de travail elles-mêmes. La bourgeoisie a retourné « l’amélioration des conditions de travail » contre la santé !

En effet, le CNPF (le Medef de l’époque) a opéré une remise en cause de l’organisation taylorienne du travail désignée comme principal facteur du malaise des OS et de la grande vulnérabilité de l’organisation des entreprises. Celles-ci n’ont-elles pas été paralysées 3 à 4 semaines durant en 68 ? Et cette vulnérabilité ne s’est-elle pas révélée de nouveau dans les conflits durs des années suivantes ? Autour d’Antoine Riboud une aile moderniste du CNPF engage une réforme des conditions de travail : en surfant sur les aspirations individuelles à être mieux respecté, entendu et responsabilisé, le patronat vise l’atomisation de la classe ouvrière. L’Etat lui apporte son soutien en favorisant les pratiques contractuelles entre patrons et salariés : des « contrats de progrès » sont signés qui touchent certains aspects des conditions de travail. La mode est à l’enrichissement des tâches puis au « lean manufacturing » : initié au Japon puis aux USA celui-ci gagne progressivement la plupart des entreprises, suscitant peu de contestation de la part des principaux syndicats (hormis le CAW canadien), et dégageant des sureffectifs et d’énormes baisses de coût.

C’est un véritable remodelage de la classe ouvrière qui s’est ainsi opéré avec la complicité des réformistes. Jusqu’alors, les salariés en France étaient largement animés par la conviction d’un antagonisme irréductible entre eux-mêmes et leur patron, par une identité de classe, motrice d’actions communes pour changer l’ordre des choses. Aujourd’hui, on exige d’eux qu’ils s’identifient à leur emploi, tel que leur direction le définit, qu’ils adhèrent aux objectifs patronaux et qu’ils acceptent de se dévouer à leur service. Pour imposer cette politique de la table rase et de l’amnésie, la bourgeoisie a mené une guerre idéologique et langagière, visant à faire disparaître la notion d’ouvrier (remplacée par les termes d’« opérateur », « pilote » ou « conducteur d’installations »), d’usine, de patron, et aussi celle de conflit : les « partenaires sociaux » sont là pour trouver des solutions consensuelles... Avec l’aide de la gauche au pouvoir, une nouvelle idéologie s’est fait jour, dans laquelle il n’y a plus de divergence d’intérêts irréductible, les exploiteurs deviennent de respectables entrepreneurs et les intérêts collectifs cèdent le pas aux intérêts individuels. En 1982, les lois Auroux renforcent la négociation au sein de l’entreprise et donnent au salarié un droit individuel d’expression au sein de groupes d’expression. Elles alimentent l’illusion que la démocratie entre dans l’entreprise. La crise économique et le chantage à l’emploi favorisent l’adhésion à cette idéologie.

La souffrance au travail est un des résultats de ce recul idéologique et politique du monde du travail. Ces 40 ans d’histoire sont une nouvelle démonstration du danger social et humain des réformes –ici la réforme des conditions de travail- lorsque la classe ouvrière en laisse la direction à la bourgeoisie.

Un sympathisant

Soutenir par un don