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Partager le travail, c’est travailler autrement

Partisan Magazine N°13 - Mai 2019

Le partage du temps de travail est pour nous, communistes, une question de premier ordre car elle touche à la conception même du travail, à sa fonction, aux rapports sociaux de production. Mais de quel partage et de quel temps de travail parlons-nous exactement ? Dès 1830, la revendication de la journée de douze heures a donné lieu à de nombreuses luttes sociales. A cette époque, on travaille entre 15 et 17 heures par jour, y compris les enfants. Aujourd’hui la durée hebdomadaire légale de travail est fixée à 35h. Mais on travaille souvent plus. Sans compter les heures supplémentaires non déclarées, qui rendent difficiles l’identification du temps de travail réel. Depuis la loi Travail de 2016, un accord d’entreprise peut prolonger la durée du travail de 44 à 46 heures !

Les baisses successives du temps de travail qu’on connu les travailleurs sont terminées depuis les années 2000, au moins pour les ouvriers et les employés. Dans certains secteurs comme l’automobile, on assiste même à une augmentation. Les accords de compétitivité signés à PSA en 2016 par tous les syndicats hormis la CGT sont un belle arnaque : à salaire égal, le temps de travail augmente ! A l’usine Smart de Hambach en Moselle, la direction a prétendu consulter le personnel pour un retour aux 39h seulement compensé à moitié, avec un supposé maintien de l’emploi. Alors que le chômage est élevé, beaucoup de travailleurs voient bien qu’il seraient plus juste de partager le travail. Mais les capitalistes ne le voient pas du même œil...

Travailler moins, pour travailler plus dur !

Pour les capitalistes, il n’est pas question de partager réellement le travail. Cela n’est pas leur intérêt. Le capitalisme, de par sa nature même, obéit à une logique qui lui est propre, celle de l’accumulation et de l’accaparement maximal du surtravail des ouvriers [1]. Voilà un raisonnement typique : « Oui mais si on travaille moins, à production égale, il faudra embaucher, la masse salariale s’accroîtra, l’entreprise produira trop cher et coulera ». Du point de vue du patron, cela se comprend. Mais une des premières mesures d’un pouvoir prolétarien serait justement de réduire la part de la plus-value dans la production, c’est à dire la part de valeur que l’ouvrier produit mais qui ne lui revient pas sous forme de salaire mais qui sert à financer les hauts revenus des patrons, tous les emplois parasitaires créés par le capitalisme (publicité, marketing, etc), les propriétaires, les flics, l’armée, etc.

La solution du patron, c’est plutôt de nous faire travailler plus dur. Les réductions du temps de travail à 39h du gouvernement PC-PS sous Mitterrand et des 35h sous Jospin, se sont accompagnées d’une intensification du travail qui a permis à la bourgeoisie d’en rattraper rapidement le coût (un an et demi dans le cas des 35h). Dans les années 2000, certaines industries ont ainsi augmenté les cadences, en augmentant par exemple le nombre de secondes de travail accompli par minute. Une seconde pour les bourgeois mais un coût sans précédent pour la vie, le corps et l’esprit des ouvriers.

Les bourgeois font mine de se diviser sur la question : la droite parlementaire réclame l’abrogation des 35h. La « gauche », elle, plaide pour une application effective des 35h, met en avant les créations d’emploi comme argument de choc. Mais pour nous qui subissons l’exploitation au travail, soyons clair, ce n’est pas là l’essentiel. Tous font mine d’oublier l’intensification du travail comme contrepartie de la baisse du temps de travail. On peut d’ailleurs critiquer l’article paru dans la Cause du communisme n°5 en 1982 [2] parce qu’il présente le « travailler moins » comme une « simple » réduction du temps de travail. L’intensification ne concerne pas que les ouvriers, mais plus largement les prolétaires, les employés et techniciens, qui sont concernés par l’augmentation de la charge de travail et la polyvalence. Il y a d’un côté ceux qui continuent à crever du travail et de l’autre ceux qui crèvent de ne pas en avoir. Et l’exploitation demeure.

Mais de quel travail on parle ?

Les réformistes parlent de diminuer le temps de travail mais accompagnent tranquillement les réformes anti-ouvrières du capitalisme en crise. Tout au plus parlent-ils d’améliorer les conditions de travail, le rendre moins pénible, « l’enrichir »… mais sans remettre en cause l’exploitation capitaliste, l’aliénation, la division entre travailleurs manuels et intellectuels, avec un tri social effectué de plus en plus tôt par l’éducation nationale ; les disparités entre les villes et les campagnes ; les rapports de domination homme/femme.

Premier exemple, le travail des femmes. Les femmes sont sujettes à une division inégale des tâches domestiques et consacrent ainsi toujours plus de temps aux tâches domestiques qu’au travail salarié. Par ailleurs, les contrats à temps partiels sont passés de 8,6% à 19% des salariés en trente ans (1982-2013), depuis le début des mesures d’aménagement du temps de travail et concernent désormais plus de 4 millions de salariés – très majoritairement des femmes. Ces dernières affirment à 43% subir cette organisation de travail en temps partiel.

Autre exemple, la flexibilité. Parler de « temps de travail » en général, ça réduit la notion de temps à la seule durée légale, laissant de côté les autres dimensions (horaires, rythme, prévisibilité…). Les ouvriers sont plus concernés que la moyenne par le travail de nuit (14 %) et les horaires alternés (15 %) (chiffres INSEE). On assiste depuis une décennie à la montée des horaires atypiques, c’est-à-dire qui ne correspondent pas à la norme d’emploi à plein temps et en semaine. Les 35h ont introduit l’annualisation du temps de travail, c’est-à-dire la flexibilité pour tous, et une réduction du temps de travail (RTT) pour quelques-uns. Flexibilité, temps partiel, heures supplémentaires… on est tributaire des ordres du patron, sans prise sur sa propre vie. C’est ce que Marx appelait le travail aliéné. Mais pour changer cela, pour « travailler autrement », il faut contester toute la logique du capital !

Travailler autrement : un exemple

Travailler autrement, c’est déjà limiter le travail de nuit aux missions qui le nécessitent socialement : la santé, les transports, etc. C’est également supprimer le travail à la chaîne, et tous les modes d’organisation du travail proprement inhumains, au sens propre du terme, dans la mesure où ils détruisent non seulement le corps, mais aussi l’intelligence humaine et le cerveau.

Travailler autrement, cela demande d’arracher le pouvoir à la bourgeoisie, pour s’approprier la distribution du surtravail, le réduire au strict minimum, partager le travail entre tous, supprimer les emplois nuisibles et parasitaires. C’est tous les rapports de production que nous voulons transformer, produire des valeurs d’usage plutôt que « produire pour produire ». Les ouvriers chinois, du temps de la révolution culturelle, nous ont montré qu’une autre voie est possible : la suppression de la propriété privée du capital, cela n’est pas suffisant pour garantir une réelle transformation des rapports sociaux et de la division du travail. Les mesures prises pendant la révolution culturelle allaient dans le bon sens, de ce point de vue là. Suppression des primes et stimulant matériels qui favorisent le rendement individuel et les inégalités, participation des ouvriers à la gestion de l’usine et des cadres au travail productif, formation d’ouvriers-techniciens et surtout : groupes de triple union, université ouvrières à l’usine et groupes d’étude et de réflexion politique sur le temps de travail.

Les groupes de triple union, formés par des ouvriers, des techniciens, des cadres, permettaient un moyen de mettre localement les connaissances ouvrières au service de la transformation du travail. Le but de ces groupes était l’innovation, tant pour l’amélioration des conditions de travail que pour accroître la quantité et perfectionner la qualité de la production.

Les universités ouvrières étaient un moyen pour commencer à réduire à réduire les différences manuels/intellectuels et donner aux ouvriers la possibilité matérielle se s’emparer des questions « intellectuelles » et scientifiques. Un ouvrier intellectuel est la meilleure garantie pour la transformation du travail – dans son usine mais surtout au niveau social. Car il ne s’agit pas seulement de bien connaître « son » usine pour savoir comment transformer l’organisation du travail locale. Il s’agit avant tout de maîtriser les connaissances intellectuelles qui permettent de repenser tout le processus de production. Cela exige aussi que la classe ouvrière dirige la société, c’est-à-dire que les ouvriers contrôlent et agissent politiquement.

Les groupes d’étude politique : pour réaliser cette dernière condition (le contrôle et l’action consciente de ouvriers) encore faut-il leur donner les moyens d’intervenir politiquement, les moyens de se former. C’est pour cela que ces groupes qui se réunissent en dehors et à l’intérieur du temps de travail avaient pris forme.

Les moyens scientifiques existent pour la transformation immédiate des conditions de travail. Les moyens politiques existent aussi, potentiellement, pour transformer le travail de fond en comble. On le voit déjà dans la pratique et les aspirations de la classe ouvrière. A nous de nous appuyer sur ces potentialités pour montrer que cette "utopie" de "travailler tous, moins, autrement" est possible et nécessaire.

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