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DOSSIER : la Chimie est partout...

Partisan Magazine N°15 - Juin 2020

Pourquoi un dossier sur ce thème ? Cela peut paraître un peu étrange, mais c’est l’actualité qui nous l’impose, avec l’accumulation des scandales de santé publique, professionnelle et d’environnement qui font les uns après les autres la une de l’actualité – jusqu’aux tests et vaccins pour le coronavirus.
Pour nous, militants de Voie Prolétarienne, faire un tel dossier c’est montrer – un peu par le petit bout de la lorgnette – la nécessaire critique approfondie du mode de production capitaliste, dans tous les domaines de la production et plus largement de la vie sociale.
Alors, pour commencer, faisons un petit récapitulatif historique, en essayant d’éviter le catalogue trop indigeste !

A l’origine

La chimie apparaît très tôt dans l’activité humaine, comme connaissance empirique issue de l’observation de la nature. A côté de l’agriculture, des constructions, des mines, très vite la chimie apparaît comme une activité humaine à part entière, par la transformation de produits naturels pour obtenir de nouveaux produits et donc de nouveaux usages plus complexes.
On citera la métallurgie avec les alliages (les bronzes par exemple), les mélanges et pigments utilisés en poterie, les alcools et levains produits de l’agriculture, l’utilisation des éléments naturels tels que le soufre, le nitre, la chaux, l’argile, le naphte et l’apparition très ancienne du verre, et pour finir les aromates, teintures, encres, parfums et poisons – déjà la toxicité de certains produits naturels est connue, voire utilisée.
Ces techniques empiriques et pré-scientifiques, fortement empreintes de métaphysique (l’alchimie) se développeront tout au long des siècles, au fil de l’accumulation des connaissances observées. C’est le cas par exemple de la poudre noire, découverte en Chine au VIIème siècle, mais répandue en occident au XIIIème siècle.

L’apparition de la chimie scientifique

A partir XVI° siècle, comme dans tous les domaines, l’esprit scientifique et l’élaboration théorique prennent le dessus sur l’empirisme (le tableau périodique des éléments de Mendeleïev date de 1868). C’est essentiellement à partir de la deuxième moitié du XIXème siècle, début du XXème siècle que la chimie industrielle apparaît avec la victoire finale du capitalisme sur le féodalisme (c’est par exemple en 1863 qu’est créé le groupe belge Solvay) et c’est à la même époque que la chimie organique se développe largement.
La chimie industrielle de l’époque, c’est par exemple :
• Le traitement des déchets des abattoirs, pour la fabrication des engrais, des colles, des corps gras, des savons etc.
• Les phosphates, d’abord naturels (guano) puis industriels, utilisés comme engrais.
• Les armements, avec les poudres et explosifs (Nobel) ou les gaz militaires comme le gaz moutarde utilisé dans la Première Guerre Mondiale ou le Zyklon B dans les chambres à gaz.
• La carbochimie, à partir du charbon et des mines, autour de la production des gaz industriels (acétylène, benzène, polyéthylène), des acides sulfuriques, chlorhydriques et nitriques, des gaz de houille et goudrons, avec les procédés industriels qui se perfectionnent au fil des décennies (craquage, distillation). C’est également l’apparition des premiers polymères, comme la bakélite issue du benzène, ancêtres des plastiques. Le volet toxique de certains composés chimiques est désormais bien connu.

L’explosion de la Pétrochimie

Mais c’est après la Deuxième Guerre Mondiale qu’on assistera à la véritable explosion de la chimie industrielle qui représente désormais 7% du PIB mondial et 220 000 emplois en France [1]. Ce n’est plus aujourd’hui le charbon qui est le principal produit de départ des composés chimiques, mais le pétrole (voir l’article de Wikipedia sur la pétrochimie).
Aujourd’hui, les produits chimiques sont absolument partout dans notre vie, le plus souvent de manière invisible, mais de plus en plus souvent de manière problématique. Si les années d’après-guerre ont été des années d’expansion sans l’ombre d’une interrogation, autour du « progrès » comme ciment universel, le doute s’installe peu à peu avec l’accumulation des catastrophes et des scandales sanitaires.

Dans l’agriculture on trouve bien sûr le schéma classique intégralement lié à la chimie : engrais – semences sélectionnées – phytosanitaires – insecticides, plus les fongicides, le glyphosate, l’arsenic et autres saloperies… Des produits actifs au contact, on est passé aux produits systémiques (par absorption interne) et maintenant aux modifications génétiques des OGM, le tout sans aucune véritable garantie d’innocuité. Dans l’alimentaire, outre les conséquences des produits agricoles, c’est la multiplication des additifs, des conservateurs, colorants, des emballages et plastiques, dont on voit les conséquences par exemple dans les océans. Dans l’industrie, on constate l’envahissement des plastiques divers et variés (20 à 25% dans une automobile) et ça continue à augmenter comme dans l’électronique et l’informatique. On voit des composés chimiques de plus en plus complexes, sophistiqués et toxiques qui envahissent les productions nouvelles (batteries par exemple), dans les isolants, les traitements de surface (automobile, aéronautique, machines-outils), les nettoyants, huiles et graisses, additifs, lubrifiants, détergents, solvants et encres… D’ailleurs ces produits, qui peuvent être hautement toxiques, se retrouvent dans les services comme l’hôtellerie, le nettoyage, les hôpitaux etc. Dans la santé, pratiquement tous les médicaments sont issus d’une manière ou d’une autre de la pétrochimie, ainsi que les prothèses (implants mammaires), les instruments médicaux et appareillages. Dans le BTP, ce sont les goudrons et bitumes, les ciments, les enduits, les colles, peintures et vernis (dont on retrouve d’ailleurs les effets au niveau du relargage domestique), les plastiques et le PVC etc. Au niveau domestique, en plus de tous les produits précédents, on retrouve les produits d’entretien, les lessives, les savons et parfums, les cosmétiques, les textiles etc.

On pourrait enrichir encore ce petit inventaire. Il n’avait pour objectif que de montrer que si les scandales sanitaires se multiplient autour de la chimie, c’est bien entendu du fait de la place croissante de ce secteur dans tous les domaines de l’économie capitaliste.

Il faudrait rajouter les principaux monopoles français, deuxième puissance chimique européenne, que sont Total et Arkema, Air Liquide, Sanofi, Rhodia, Pierre Fabre, Biomérieux et bien d’autres…)

Quels enjeux ?

Une fois cette présentation faite, on peut poser les principales questions qui se posent à nous, et que nous allons essayer d’aborder dans ce dossier.

Comme toute marchandise dans l’économie capitaliste, les produits chimiques portent une contradiction dialectique : à la fois valeur d’usage (leur utilité réelle) et valeur d’échange (avec le profit en toile de fond), la complexité se renforce avec le double aspect de la valeur d’usage : à la fois positive et utile d’un certain côté, et nocive et toxique d’un autre, bien entendu de manière différenciée selon les produits. Et comme dans la société capitaliste c’est la valeur d’échange qui s’impose sur le marché, les aspects négatifs de la valeur d’usage sont soigneusement masqués, laissés de côtés, niés. D’où par exemple toutes les polémiques sur les produits Monsanto/Bayer…

La chimie capitaliste moderne produit des molécules de plus en plus complexes et de moins en moins contrôlables, qui se répandent dans tous les secteurs de la production. C’est ce que nous vivons avec les scandales sanitaires. L’acide chlorhydrique c’est assez simple (un atome d’hydrogène lié à un atome de chlore), et ses effets sont bien connus. Les molécules actuelles, non.

Les déchets s’accumulent de manière exponentielle et les déchets chimiques sont pour l’essentiel non dégradables et non recyclés. D’où la pollution des océans par les plastiques et la pratique purement scandaleuse de l’exportation des déchets vers les pays dominés.

Au travers de la chimie, c’est donc bien l’ensemble du mode de développement du système productif qui est en cause, l’ensemble du mode de production capitaliste, dans la mesure où les choix, les priorités sont le fait de la concurrence mondialisée dans le marché, pour augmenter sans fin le taux de profit au détriment des concurrents. Et tant pis si l’aspect négatif de la valeur d’usage l’emporte au détriment de la santé et de l’environnement, au travail ou dans toute la société.

L’enjeu n’est pas de savoir s’il faut revenir à l’âge des cavernes et d’interdire la chimie, évidemment non. L’enjeu, c’est d’apprécier l’utilité sociale réelle, de changer les choix et priorités, de réduire les risques au maximum, de supprimer les productions inutiles et dangereuses et donc de transformer en profondeur les processus de production. Une transformation véritablement « révolutionnaire », qui ne pourra avoir lieu qu’en mettant fin au règne du capital et des bourgeois, qu’en mettant en place une société socialiste qui débatte collectivement et décide des besoins prioritaires des plus exploités.

A lire : « la formation de l’esprit scientifique – Gaston Bachelard (1938) », pour comprendre comment on passe de la connaissance empirique, à la compréhension scientifique des lois théoriques fondamentales de la nature. Ce livre s’appuie sur de nombreux exemples pris dans la chimie.

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