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Où en est-on sur les licenciements ?

Partisan Magazine N°17 - Juin 2021

Quelques réflexions sur les licenciements dans les entreprises, de témoignages recueillis lors de la réunion contre les licenciements organisée par la CGT-TUI le 10 avril à Saint-Denis, de témoignages publics ou de militants et sympathisants de VP. Nous nous sommes parfois permis d’adapter le discours, pour faciliter la lecture, mais sans jamais trahir le sens de ce qui était dit.

La lecture de ces témoignages peut apparaître quelque peu sombre, mais selon nous elle reflète la réalité. La première qualité d’un communiste, c’est d’être matérialiste, de regarder la réalité telle qu’elle est et pas telle qu’on la rêve. C’est ce qui nous distingue de toutes les incantations actuelles à la mobilisation générale.
Mais être communiste, ce n’est pas non plus sombrer dans le découragement, c’est, dans cette situation difficile, de trouver les voies et moyens pour avancer malgré tout vers l’indépendance de classe du prolétariat, point de départ du redépart à l’offensive. Il faut comprendre pourquoi ça ne « prend pas feu » comme le regrette un camarade de la CGT-TUI…
Une ouverture en forme de réflexion avant notre plateforme emploi mise à jour comme support de notre travail !!

Lazare Razkallah, Secrétaire CGT du CSE de TUI (tourisme). Le problème, face aux plans de licenciements partout, c’est que ça ne s’embrase pas, ça prend pas feu, on ne réussit pas à convaincre. On a du mal à mobiliser au-delà des militants, on reste entre nous en fait, il n’y a qu’à voir les présents aujourd’hui. Il faut sortir de ça, convaincre les autres. L’emploi, ça ne semble pas être le truc N°1, ça m’interpelle et ça me gêne.

Ouvrier de maintenance RATP : Il se prépare, depuis des années, une énorme restructuration à la RATP, avec transfert au privé, Veolia, Keolis etc. de lignes et de contrats. Avec le Grand Paris, avec l’arrivée des bus électriques, tout va changer, ça va être énorme et ça va durer des années, avec un seul objectif, gagner en rentabilité et donc dégrader les conditions de salaire et de travail (horaires en particulier) des ouvrier.e.s. Là, ce qui est sûr, c’est que le virus, la direction s’en sert à fond pour tenter de briser les petits collectifs – par exemple empêcher les gens de discuter entre eux en imposant 2 mètres de distance à la pause clopes sous prétexte de gestes barrières (alors qu’elle impose la reprise de la vente des billets dans les bus, ce qui est évidemment une aberration sanitaire !!). C’est la pression, énorme partout, les attaques calculées contre les délégués combatifs, pour les casser. L’enjeu, c’est les restructurations – et donc les suppressions de poste qui vont tomber, après la forte mobilisation sur les retraites. Alors, répression de dingue contre les syndiqués, ils essayent de casser les collectifs pour que ce soit clean quand il va y avoir la privatisation.
En face, au niveau syndical, on tente de réagir, mais ce n’est pas facile, et l’hyper activisme de certains ne facilite pas les choses – renforcé par l’éclatement et la division des syndicats. Par exemple, moi, je suis délégué, et je suis littéralement noyé sous les messages syndicaux What’App – je peux en recevoir une vingtaine en 2 heures. Qui peut suivre ce rythme avec tout le reste, la vie de famille, les enfants ? Impossible, du coup, on zappe, on ne lit pas et cette pollution numérique contribue au repli et au découragement. Et puis l’optique générale, c’est l’accompagnement, éviter le pire en négociant les PSE, avec l’idée de vouloir bien faire mais qui rentrent carrément dans le jeu.
Il faut revenir au travail de fond, sur le terrain, pour préparer les restructurations à venir sur des bases de classe, sinon on va se faire manger tout cru.

Ouvrier 3x8 dans une papeterie en Belgique : je travaille dans une multinationale qui est en restructuration permanente, depuis des années, rachats, délocalisations etc. Alors là, on annonce 250 suppressions d’emplois, on ne sait pas trop si c’est la suite ou l’effet d’aubaine avec la COVID. On ne voit pas trop la différence entre l’avant et l’après virus, on est toujours par centaines dans les ateliers, il y a juste la rigidité sanitaire en plus, grosse pression autoritaire.
Les travailleurs baignent dans un climat de peur, de perte d’emplois. D’autant que pas mal de jeunes embauchés ne sont pas des habitués de la lutte de classe, ne se sont jamais frottés à l’instinct de classe, ce n’est plus une tradition (famille, amis…) D’autant que c’est l’insécurité permanente avec la précarité (CDD, intérim), ils n’ont plus le temps d’être encadrés par « les éléments radicaux ».
Il y a une forme d’impuissance face au capitalisme, face à la division mondiale du travail. Tu peux foutre le feu aux bagnoles de direction, séquestrer les cadres, ça ne changera rien. Planifier le taf est impossible sous le capitalisme. Ça, les travailleurs ont bien assimilé le machin. Y a juste la perspective d’une autre forme de société qu’ils n’entrevoient pas. Donc on négocie un peu de fric (primes extralégales) pour pouvoir se retourner un peu plus tranquillement, la pré-retraite ça marche aussi fort.
D’autant que les directions syndicales sont en plein dans cette logique, et qu’elles ont encore la confiance des travailleurs, malheureusement.

Syndicaliste SUD à Renault Lardy : on est en pleine restructurations. Renault veut se désengager des fonderies, veut sous-traiter la maintenance, étrangle les sous-traitants en tirant constamment les prix vers le bas. C’est une nouvelle attaque après les précédentes. Il faut savoir que sur le groupe en France, on est 14 000, dont 4000 à 5000 prestataires, l’externalisation c’est une tendance lourde. Et pourtant, il ne se passe pas grand-chose. Jeudi 8 avril, devant le siège, on était à peine 250 à 300, c’était un peu faible, et on a bien vu que les structures de la CGT (la coordination du groupe et la Fédération de la Métallurgie) n’ont pas fait le boulot, même si les banderoles étaient là. C’est sûr que l’ambiance n’est pas au top, mais si on ne fait rien, ça ne va pas changer ! A moins que l’ambiance soit telle que la mobilisation ne prend pas du tout…

Employé de restauration, dans un musée. Il y a un plan de licenciements sur plusieurs sites, mais c’est très difficile de mobiliser, d’autant qu’il y a plus d’un an qu’on ne bosse pas avec le chômage technique. Comment faire des AG, et quand on en fait, on est de moins en moins nombreux ? Comment faire grève dans ce contexte ? Pendant des années, le tourisme ça a marché à fond - c’est le socle de l’Hôtellerie Restauration, ça augmentait tous les ans, les travailleurs n’ont pas l’habitude d’être dans la merde, il paraissait toujours y avoir un avenir radieux. Et donc là, le ciel tombe sur la tête, on n’arrive pas à mobiliser, alors que ça va être l’hécatombe quand le chômage technique sera fini.
La seule issue c’est d’augmenter le rapport de forces, et en même temps on voit que c’est très difficile, qu’il y a une catastrophe en préparation.
Là, pour dire, on est assigné au tribunal pour « violation des clauses de confidentialité » autour du plan social, c’est n’importe quoi, c’est pour dire à quoi est prête la direction. C’est la même chose que les attaques pour « droit de grève excessif » comme il y a eu à CFE-Toray à Lacq ou à Ferroglobe en Savoie.
En ce sens, la loi dite de « sécurité globale », elle est là pour anticiper les révoltes futures, ça va être de plus en plus dur. Il faut s’y préparer, ça va être de plus en plus violent, dans la foulée des Gilets Jaunes, d’ailleurs on y a beaucoup participé.

Animatrice syndicale CGT-HPE. Pour compléter, dans l’hôtellerie et les magasins, c’est une boucherie qui se prépare. 700 suppressions d’emplois au Printemps, 254 au Méridien Etoile, 136 au Hyatt Etoile, 260 au Mariott rive gauche, 167 au Westlin Vendôme, fermeture du Westin Opéra 100 personnes, et ce n’est sûrement pas fini. PSE, plans de sous-traitance, tout est mis en œuvre pour une grosse restructuration du secteur de l’hôtellerie de luxe, et en plus Accor Invest vient d’annoncer le licenciement de 1900 travailleurs, dont près de 770 en France, sur fond de pandémie dont l’impact est évident. Et face à cela, à quelques exceptions près, on ne voit que silence et absence de réactions. L’US Commerce valide les négociations souterraines des PSE menées par des élus locaux pas très clairs sans même organiser de réunions pour les salariés, s’oppose même aux salariés du Westlin qui veulent s’opposer au PSE pour défendre l’emploi.
Il y un gros problème avec les directions syndicales réformistes, qui empêchent la mobilisation quand elle serait possible.

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