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Chine : 200 millions de sans-papiers
Partisan N°240 - été 2010
Apprenez deux mots de chinois, « hukou » et « mingong » (permis de résidence, et travailleur migrant), et vous êtes au coeur d’un problème important pour la classe ouvrière la plus nombreuse de la planète : la liberté de circulation n’existe pas à l’intérieur de la Chine. « Des papiers pour tous les sans-papiers » se dit : un hukou (urbain) pour tous les mingongs ! Ils sont environ 200 millions...
Le hukou est bien plus qu’une carte d’identité et plus aussi qu’un titre de séjour. C’est un document qui indique le nom, l’adresse, la situation familiale, mais aussi la religion, l’employeur... Il indique surtout la nature de la municipalité de résidence : rurale ou urbaine. Les droits sociaux, y compris pour l’école et le logement, en dépendent.
Il est interdit de quitter son lieu de résidence plus de trois jours sans en avertir la police. On peut obtenir aussi un hukou temporaire, mais difficilement, et en payant. Décrocher un hukou urbain, pour un travailleur de la campagne, revient à renoncer à son droit à une parcelle de terre agricole. Les familles paysannes se divisent donc le travail, les uns gardant la terre, et un membre de la famille partant à la ville, et restant le plus souvent dans l’illégalité.
Quelques régularisations
Certaines villes ont procédé à des régularisations, mais sous condition de critères : avoir un emploi stable et un logement décent. Shangaï en 1995, et Pékin en 1997 ont publié une liste des métiers autorisés pour les migrants : de l’immigration choisie ! En 1997, le Conseil d’Etat lance un projet pilote permettant le transfert des hukous ruraux dans 450 villes. Opération élargie à de nombreuses autres villes en 2001. Mais les conditions sont durcies. Il faut travailler dans l’industrie ou le tertiaire, être propriétaire de son appartement, payer un niveau élevé d’impôt, et avoir le niveau cadre !
Inutile de dire que la quasi-totalité des migrants restent « illégaux ». Ils risquent en permanence de lourdes amendes, ou même des rapatriements forcés dans leur lieu de résidence officiel. En principe, ces « ordres de quitter le territoire » ont été supprimés en 2003. Mais la ville de Canton les a rétablis en 2006...
Ils luttent...
Les ouvriers, ou les ouvrières, lancent des grèves spontanées, non pas inorganisées mais organisées sur le moment, souvent violentes, et portant sur des revendications de base, comme les retards de salaires (cause très importante), le niveau des salaires, le paiement des heures supplémentaires, la qualité de la cantine et des dortoirs... Spontanées – au sens où il n’y a pas d’organisation syndicale ou politique dans l’entreprise pour les préparer à l’avance – les luttes des travailleurs migrants essaient parfois de transformer l’organisation de grève (comité de lutte, groupe de délégués) en section syndicale de base. Une telle tendance est systématiquement bloquée par le gouvernement et sa police.
En se mettant en grève, les travailleurs prennent des risques considérables. Ceux qui sont arrêtés finissent fréquemment en prison pour plusieurs années. Aussi n’est-il pas étonnant que, une fois le travail suspendu, ils ne reculent pas devant le recours à la violence et les destructions. Entrer en grève, pour un travailleur chinois, c’est déjà brûler ses vaisseaux. Il ne s’y met donc que lorsque son exaspération a atteint un degré très élevé. La répression, le refus de la négociation et l’absence ou la faiblesse des médiations font le reste. Le débat sur l’utilité des syndicats est très présent dans les cercles gouvernementaux...
Conclusion
La situation des mingongs en Chine illustre bien le lien qui existe entre exode rural et immigration. « La bourgeoisie a soumis la campagne à la domination de la ville », écrivait Marx dans Le Manifeste. En entretenant une frontière administrative entre la ville et la campagne, la bourgeoisie chinoise transforme l’exode rural en immigration. Elle entretient ainsi la précarité, et la division entre travailleurs.
La classe ouvrière chinoise est aujourd’hui soutenue, comme les paysans en lutte, par de nombreux avocats, intellectuels, syndicalistes qui, dans leur critique de la dictature en place, revendiquent au fond un capitalisme plus démocratique et qui serait géré par eux. La classe ouvrière doit forger son indépendance de classe en se démarquant de ces « travailleurs » de « gauche ».
Marc Crespin
D’après « Luttes de classes dans la Chine des réformes (1978-2009) », de Bruno Astarian, Ed. Acratie.
| Chine 2006 (en millions de personnes) | ||
| Population totale | 1314 | |
| rurale | 737 | |
| urbaine | 577 | |
| Population active totale | 763 | |
| rurale | 480 | |
| urbaine | 283 | |
| Travailleurs migrants | 132 | |
| Effectifs entreprises d’Etat | 64 |
| Répartition des migrants par secteurs | |
| Industrie | 30,0% |
| Construction | 23,0% |
| Services | 10,0% |
| Commerce | 4,6% |
| Restauration | 6,7% |
| Autres | 25,1% |
| Nombre d’incidents de masse | |
| 1993 | 8 700 |
| 1994 | 12 000 |
| 1998 | 25 000 |
| 1999 | 32 000 |
| 2000 | 40 000 |
| 2002 | 50 000 |
| 2003 | 58 000 |
| 2004 | 74 000 |
| 2005 | 87 000 |
| 2006 | 90 000 |
| 2007 | 116 000 |
| 2008 | 120 000 |
La notion d’incident de masse recouvre les grèves, les manifestations, les émeutes, aussi bien en milieu urbain qu’à la campagne. C’est donc un indicateur très flou.
