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JRE : un antiracisme radical

Partisan N°112 - Septembre 1996

"Jeunes contre le Racisme en Europe" s’est constitué en 1992, pour une part suite à une scission survenue au sein des JCR, une organisation de la jeunesse liée à la LCR. C’est avant tout une organisation de masse antiraciste qui a développé son activité sur la défense des travailleurs immigrés, le combat contre l’extrême-droite et la dénonciation du "racisme d’état" incarné par l’arsenal juridique et répressif mis en place depuis 20 ans par les différents gouvernements successifs. En rompant avec la logique "réaliste de gauche" à propos de l’immigration, JRE n’a cessé de se démarquer de l’antiracisme consensuel, en dénonçant par exemple la campagne raciste autour de l’affaire des foulards en 1994 sous le masque de la laïcité, ou encore en s’engageant clairement aux côtés des sans-papiers de Saint-Ambroise pour la régularisation de tous les sans-papiers. Créé seulement depuis un peu plus d’un an, JRE Toulouse a su s’implanter rapidement sur la ville. « Partisan » les a rencontrés.

Pouvez-vous rappeler les conditions qui ont présidées à la création d’un groupe JRE sur Toulouse ?

JS : Si nous avons créé JRE sur Toulouse, c’est tout simplement parce qu’aucune organisation anti-fasciste existante ne répondait à nos attentes. La plupart des militants travaillaient déjà sur l’anti-racisme, dans le milieu étudiant notamment, mais jugeaient trop limité leur rôle à la périphérie des associations comme Ras l’front ou Reflex. On a éprouvé le besoin de s’organiser dans une organisation dont l’orientation était en phase avec nos conceptions : à savoir un anti-fascisme radical et anti-capitaliste.

L : A l’origine de JRE sur Toulouse, il y a une bande de copains dont la plupart se sont rencontrés à travers le militantisme à l’UNEF. Petit à petit le cadre syndical est apparu trop étroit pour pouvoir développer un anti-fascisme et anti-racisme radical. De plus pour certains, la construction de JRE permet d’être un palliatif, pas satisfaisant mais concret, à une activité politique plus globale.

Quels sont les analyses et les principaux axes de lutte développés par JRE ? Comment définiriez-vous la ligne de JRE ?

JS : La ligne de JRE est à la fois simple et originale. Face à un anti-racisme humaniste et récupérateur (dans le sillon du PS et de la « gôche »), nous nous battons sur des bases anticapitalistes et anti-impérialistes. Nous ne nous contentons pas de dénoncer le racisme, nous voulons combattre le système qui le génère et l’alimente : le capitalisme en crise. C’est ce qui entre autre permet à JRE d’être présent dans tous les pays européens et d’y combattre le même système. Cette orientation nous amène à nous intéresser à toutes les formes d’aliénations, l’anti-sexisme par exemple ainsi que la solidarité avec les peuples en lutte.
C’est une optique originale que nous définissons comme « radicale » par rapport à l’anti-racisme « officiel », car ni Ras l’Front, ni SOS ne remettent en cause le système économique et politique. Ces associations privilégient la respectabilité. Quant à Reflex, que nous connaissons bien, c’est une organisation qui défend une orientation assez semblable à la nôtre mais ses influences idéologiques (anarchistes ou libertaires) sont très différentes des nôtres.

L : JRE cite souvent une phrase de Malcom X "Vous ne pouvez pas avoir de capitalisme sans racisme". Ce n’est pas gratuit, Malcom X représente un anti-racisme qui se situe clairement contre le capitalisme et c’est le mérite de JRE que de situer également clairement son combat contre cette société pourrie.
C’est ce lien étroit que nous faisons entre le combat anti-raciste et l’anti-capitalisme qui fait notre force et notre différence. Ce n’est pas en réparant les ascenseurs dans les cités, comme le proposait naguère H. Désir et SOS que nous vaincrons le racisme. C’est en combattant le chômage et ce système, grand faiseur d’inégalités.
Un autre exemple permettant de situer JRE, c’est notre position lors des exclusions de jeunes filles portant le voile dans certains lycées du nord et de la région parisienne. JRE s’est opposé aux exclusions, dénonçant derrière ces mesures des attitudes racistes. Au nom de la laïcité, le gouvernement a développé une nouvelle campagne raciste contre les immigrés d’origine musulmane dont l’objectif était de promouvoir dans l’opinions l’amalgame « immigrés = musulmans = intégristes = terroristes ». D’ailleurs cette dénonciation a valu à JRE l’accusation de collusion avec les intégristes musulmans.

Concrètement, comment faites-vous ce lien entre anti-racisme et anti-capitalisme ?

L : La bourgeoisie attaque d’abord le maillon le plus faible de la classe ouvrière, les éléments les moins protégés, à savoir les immigrés. Par exemple, on parle beaucoup du rapport d’une commission parlementaire dont les conclusions prévoient de durcir les lois Pasqua, et entre autre de limiter l’accès aux soins médicaux pour les immigrés sans-papiers ; et comme par hasard les attaques contre le droit à la santé des travailleurs se multiplient. En attaquant le droit à la santé pour les sans-papiers, c’est l’ensemble des travailleurs que le pouvoir attaque.

Er : La question du racisme aujourd’hui est une question centrale dans le rapport de force entre la bourgeoisie et les travailleurs. Le racisme permet de diviser les travailleurs entre eux et de pouvoir mieux les attaquer séparément. Le capitalisme a transformé les travailleurs en marchandises et cherche à accroître la concurrence entre eux pour qu’ils vendent leur force de travail au meilleur marché. C’est la même chose au niveau international, le développement du racisme ici s’accompagne du chauvinisme et du nationalisme. Dans un contexte de concurrence exacerbée entre capitalistes, la bourgeoisie française (mais dans les autres pays c’est pareil) chercher à resserrer les rangs derrière elle ; au nom de sa guerre économique, elle prône l’union nationale et la communauté d’intérêts entre travailleurs et patrons français. L’ennemi devient l’ouvrier philippin ou brésilien. Dans ces conditions, le racisme, comme le chauvinisme, est une arme importante dans les mains de la bourgeoisie.
Notre orientation anti-capitaliste nous permet de montrer le lien qui fonde notre unité entre travailleurs de toutes nationalités, de mettre en avant ce qui nous unit et combattre le chauvinisme et la division entre travailleurs.

Quelles relations (s’il y en a) JRE Toulouse entretient avec les autres organisations anti-racistes / anti-fascistes ?

JS : Notre objectif n’a jamais été de nous placer dans la grande compétition que se livrent les organisations anti-racistes entre-elles. Nous prônons la pratique unitaire, mais en même temps nous tirons les leçons du passé. Si unité veut dire consensus et velléité hégémonique de quelques-uns, alors c’est non. Pour éviter cela, nous voudrions définir une charte anti-raciste "radicale" qui pose les bases concrètes d’une pratique unitaire constructive. N’ayons pas peur de le dire, nous ne ferons pas d’alliance avec les associations liées aux trahisons social-démocrates.

L : A Toulouse nous n’avons quasiment aucun rapport avec les autres organisations. Je crois que certaines ont peur de nous et de la (petite) place que nous avons prise. Pendant longtemps, Ras l’Front est restée la seule organisation à avoir une image d’anti-fascisme radicale, et ce à peu de frais. Maintenant, les militants, surtout les jeunes, radicalisés sur ce thème, commencent à faire la différence. Bien sûr nous n’avons pas de têtes d’affiche, comme G. Perrault ou d’autres intellectuels, d’ailleurs nous n’en voulons pas.
Un exemple : l’année dernière, lors de la manif du FN pour la fête de Jeanne d’arc, nous étions présents pour contester la rue aux fascistes, pendant que Ras l’Front, comme à l’habitude, organisait un "apéro anti-fasciste" à l’autre bout de la ville. Notre activité tout au long de cette année les a obligés à se joindre à la contre-manifestation cette année. Ce dont on se félicite !

Er : La question des alliances est une question importante et nous en avons débattu à plusieurs reprises. Certaines associations mettent le "mot" unitaire à toute les sauces et en font un préalable indépassable à toute initiative. Etre unitaire, oui, mais pour quoi faire et avec qui ? Si c’est pour s’allier avec ceux qui, hier au gouvernement ont pris les premières mesures de répression à l’égard des immigrés, il ne faut pas compter sur JRE. Si c’est pour abaisser le contenu de nos revendications et de nos axes de lutte, inutile non plus de compter sur nous. Et puis, plus pratiquement, nous avons fait l’expérience d’organiser des initiatives auxquelles d’autres voulaient s’associer, et c’est finalement JRE qui prenait en charge la totalité des tâches matérielles. Ce qui les intéressaient c’était d’avoir leur signature au bas des tracts et des communiqués de presse.
La question de l’indépendance est très importante. Il faut être capable de mener ses propres actions, de développer ses propres axes de lutte, sans chercher à tout prix à être unitaires au risque de s’y perdre.

Depuis 1 an, on voit toute une mouvance, principalement issue du milieu étudiant, se rapprocher de JRE. Comment analysez- vous ce phénomène ?

L : C’est vrai que JRE a recruté depuis 1 an, et pas seulement dans le milieu étudiant d’où est issu le groupe initial, mais aussi des salariés, des précaires... C’est aussi une richesse de JRE. Mais ce phénomène est également à mettre en relation avec une certaine repolitisation de toute une fraction de la jeunesse, principalement dans le milieu étudiant et lycéen. C’est encore diffus, confus même, mais on sent que l’état d’esprit a changé par rapport aux années 80. On l’a vu lors des mobilisations contre le CIP et en décembre 95.
De plus, bien souvent, cette repolitisation passe d’abord par une prise de conscience anti-raciste, une envie d’agir sur ce terrain ; un groupe comme JRE, indépendant et développant une ligne claire, en rupture avec les organisations anti-racistes satellites du PS, à une place à prendre.

JS : On nous a longtemps bassiné avec « l’apolitisme » de la jeunesse. Beaucoup ont vu dans le militantisme associatif une alternative à la dépolitisation. Je pense que cela peut mener à une impasse en amenant une multiplication et l’atomisation des luttes partielles. Or, que ce soit la question du logement, du sexisme ou du racisme, c’est toujours le même système qu’il faut combattre. C’est cet écueil que nous avons voulu éviter en développant une orientation résolument politique, « révolutionnaire » diront certains. Nous nous efforçons, y compris dans JRE, de faire déboucher l’anti-fascisme radical, dans lequel se reconnaissent de nombreux jeunes, sur une politisation plus globale.

Les organisations anti-racistes/anti-fascistes ont déserté les quartiers populaires depuis plusieurs années. A Toulouse, à part SOS qui est longtemps resté relativement implanté au Mirail et influent sur la ville, il n’y a pas de riposte anti-raciste organisée dans les quartiers populaires. Comment analysez-vous ça ? Et JRE dans tout ça ?

L : Il faut être très modeste là-dessus. Tout le monde s’est planté depuis des années, et il n’y a pas de solutions toutes faites. Pour ce qui est de l’influence d’SOS sur Toulouse, c’est vrai qu’elle est réelle mais cela tient surtout à quelques personnalités. Quant à JRE, on essaie d’aborder un travail de quartier, mais on voit bien que c’est difficile, que c’est un travail de longue haleine.

JS : Il est évident que c’est plus facile de militer à la fac ou dans les lycées que dans les quartiers. Mais si on délaisse les quartiers populaires alors on n’est pas conséquent dans notre travail politique et on ne fait pas vraiment d’anti-racisme. C’est pourquoi nous faisons un effort tout particulier en direction de la jeunesse non scolarisée des quartiers populaires, les premiers concernés par le racisme, le chômage, la galère et l’application des lois et plans sécuritaires.

Er : Suite au flicage de plus en plus serré des quartiers populaires à Toulouse (voir Partisan 109) nous avons mis en place une commission « quartiers » qui s’efforce de développer notre intervention. Nous avons fait un tract distribué dans 2 lycées professionnels qui dénonçait l’implication des élus de Baudis dans le flicage des quartiers, le travail souterrain du FN et les objectifs du plan Vigipirate dont on sait bien qu’il est inutile pour prévenir les attentats islamistes et très efficace dans la chasse aux sans-papiers et aux jeunes en général.
Devant les difficultés que nous avons à nous adresser à une jeunesse exclue, isolée, en galère permanente, nous savons parfaitement que nous nous lançons dans un travail de longue haleine et qu’il faut bien réfléchir à notre intervention. C’est ce que nous nous efforçons d’élaborer actuellement.

L’image d’un groupe radical anti-fasciste peut être assimilée à une image « violente », à un groupe de « chasseurs de skins ». D’ailleurs la tentation peut être forte chez certains, excédés par les exactions des skins de vouloir riposter « au coup pour coup ». Quelle est votre position là-dessus ?

JS : Quand on parle « d’anti-fascisme radical », on pense à la violence. Pour résumer notre position, on peut dire que sans être LA solution, la violence fait partie de la solution. Le travail politique est le plus important, mais le droit à l’autodéfense doit être assuré contre la violence fasciste, et il faut y être préparé.

L : Mettre la politique au poste de commande, voilà mon crédo. C’est à dire, ce qui sert le plus à la prise de conscience des « masses ». Nous avons souvent le débat là-dessus dans JRE - Toulouse. Pour moi courir derrière les skins, ça peut faire plaisir, mais cela n’est ni efficace, ni politique. De plus les fachos ont un rapport à la violence différent du nôtre, et pouvons-nous l’assumer ?
Il n’empêche, nous ne sommes pas des pacifistes, nous devons défendre nos militants, nos initiatives et parfois être offensifs. Tout est une question de rapport de force et d’efficacité pour le développement de la mobilisation anti-fasciste. La violence peut être nécessaire.

A Toulouse quand on parle « anti-fascisme », on pense tout de suite au SCALP. Que retenez-vous de l’expérience du SCALP à Toulouse ?

L : Le SCALP avait une image radicale, et en ce sens on peut voir des points communs avec l’anti-fascisme que nous prônons. Mais c’est le seul lien qu’on peut faire. Le SCALP n’avait pas une véritable intervention politique de masse et n’envisageait pas d’en avoir. Le fait d’ailleurs que sur Toulouse il n’en reste rien (à part les anciens combattants) prouve un échec patent.

Er : Il faut d’abord préciser que le SCALP dont on parle ici, constitué à Toulouse dès 84 à la suite du premier succès électoral du FN à Dreux, n’a rien à voir avec les autres groupes qui ont repris le sigle par la suite et qui sont en partie liés à REFLEX. Le SCALP de Toulouse, qui a duré jusqu’en 1991 à une histoire bien particulière et a eu un écho, entre 84 et 88, qu’on n’a pas connu ailleurs.
Cela dit c’est vrai qu’en terme d’analyse ou d’intervention politique, il n’y avait pas grand-chose. Au-delà de l’activisme contre les meetings du FN, le SCALP n’a jamais mené de travail anti-raciste sur des positions clairement politiques. L’exemple le plus frappant, c’était le refus de s’adresser à la jeunesse immigrée sous prétexte que les quartiers étaient tenus par les islamistes. C’était une méconnaissance incroyable des quartiers populaires, typique des conceptions politiques des militants du SCALP de l’époque.
Outre certains aspects spécifiques, l’analyse qu’on peut faire de l’échec du SCALP sur Toulouse rejoint celle qu’on peut faire de l’Autonomie en général : activisme, spontanéisme, pas d’unité politique et manque de politisation globale.
Cependant, lorsque le SCALP s’est constitué en 1984, c’était sur le refus de l’anti-racisme « officiel », au moment de la création de SOS. Ça c’était positif ; face au rouleau compresseur réformiste qui a largement contribué à casser le mouvement beur, il y avait à Toulouse un groupe capable de mobiliser des milliers de personnes sur des bases radicales, mêmes si elles étaient floues.

Quel bilan vous faites de l’activité de JRE à toulouse ? et les perspectives...

JS : Sans auto-satisfaction mal placée, notre bilan est plus qu’honorable. Notre principale réussite c’est que malgré notre création récente, nous n’avons jamais été à la remorque des autres associations ; nous avons su organiser sur nos bases des initiatives qui ont été des succès. Nous nous sommes rendus compte aussi, et on ne s’y attendait pas, que JRE dérangeait les officiels de l’anti-racisme humanitaire et autres professionnels de "l’apéro anti-fasciste". Au moins, ceux qui s’apprêtent à aider le PS à se refaire une virginité politique, savent désormais qu’existe sur Toulouse un groupe dynamique qui refusera les compromissions et les magouilles politiciennes de toute nature.
Pour l’année à venir, nous allons continuer dans la voie que nous avons commencé à tracer et chercher à développer notre travail dans les quartiers, ce qui est l’une de nos principales ambitions.

L : Cette première année nous avons réussi à dépasser le noyau initial et à organiser d’autres personnes dans un travail anti-fasciste. Un an après sa création, JRE s’est implanté sur Toulouse et on peut dire que l’association est connue et reconnue.
Nous avons montré aussi que nous étions capables d’organiser des initiatives conséquentes, comme un meeting à la fac de droit suite à une agression fasciste, et que nous étions porteur d’une ligne politique claire. Il nous faut maintenant structurer davantage l’association et appliquer les axes que nous avons défini en congrès local, au nombre desquels le travail en direction des quartiers populaires prend une place importante.

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