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L’expérience des COBAS en Italie

Article de Partisan n°115 - Décembre 1996

L’origine des COBAS

Les COBAS sont nés à la fin des années 70, dans un contexte qui est le fruit de plusieurs évolutions de la situation de classe :

 


- La prolétarisation de certains secteurs de la Fonction Publique, l’Education Nationale notamment alors que les syndicats officiels étaient relativement absents de ces secteurs du fait de leur honteuse politique de collaboration aux institutions.
Le premier phénomène est dû à l’explosion de la scolarisation de masse dans les années 60 et plus généralement au phénomène plus général de prolétarisation qui, par vagues successives ne cesse d’investir les sociétés capitalistes. Soit dit en passant, on mesure aujourd’hui la réalité de cette évolution et non pas la constitution d’une "classe moyen-ne" croissante. La scolarisation de masse s’est traduite non pas par une élévation sociale générale mais bien par dévaluation générale des diplômes et par une prolétarisation des enseignants.
Ainsi, le premier COBAS fut celui des enseignants en lutte contre la précarité : des dizaines de milliers d’entre eux devaient attendre des années une hypothétique titularisation, de contrat en contrat successif (c’est la situation de nos maîtres auxiliaires en France). Ce premier COBAS devenu célèbre suite à une grande lutte contre cette forme de précarité se joignait ensuite à des "Comités de Lutte" assez importants dans le secteur hospitalier et dans l’énergie (équivalent de EDF).

 


- Les syndicats officiels, dans tous les secteurs, tournaient la page d’années de conquêtes pour accepter de se soumettre à la logique des sacrifices au service de l’économie nationale, en provoquant ainsi de larges contestations. N’oublions pas qu’en Italie la crise et le chômage frappent plus tôt qu’en France.

 


- Il y avait alors un large secteur de militants et sympathisants des organisations révolutionnaires qui cherchaient un engagement en refusant à la fois le parlementarisme et la lutte armée. Ils se sont alors orientés vers une "pratique de masse" et ont choisi de privilégier l’organisation de masse.

 


- A ce moment également se développait une poussée de fièvre corporatiste à partir de certains syndicats catégoriels "jaunes" (qui s’appuyaient sur les évidentes contradictions des syndicats officiels) qui est arrivée à toucher une partie des LOBAS. Ce phénomène devait creuser pendant quelques années un véritable fossé de méfiance entre certains secteurs de la Fonction Publique et la classe ouvrière qui leur reprochait l’utilisation égoïste d’une position avantageuse (impossibilité du licenciement, moindre coût des grèves pour les grévistes...) pour des luttes à leur seul bénéfice.

 

Il faut bien comprendre cette division entre les ouvriers et les fonctionnaires à cette époque. La classe ouvrière sortait d’une grande période de luttes qui avait bouleversé toute la société et imposé une véritable hégémonie ouvrière. Les fonctionnaires égale-ment avaient été touchés par cette influence, et avaient donc acquis une expérience de lutte et d’organisation. Mais à la différence des ouvriers qui savaient utiliser et faire pression sur les syndicats officiels (comme la constitution en 1969 des "conseils d’usine" sur la base de la démocratie directe), les fonctionnaires étaient tout à fait neufs et confrontés à des syndicats officiels pris dans le jeu du clientélisme et de la gestion des institutions. Il était donc presque inévitable qu’ils se tournent vers d’autres formes d’organisation, les COBAS, ou les syndicats jaunes.
Pendant quelques années, les évolutions ont donc été séparées et marquées par la méfiance réciproque.

Les divers COBAS

 

Les COBAS sont la formation historique, implantés dans l’éducation nationale et dans d’autres secteurs de la fonction publique. Ils sont le reflet moyen de l’analyse ici faite.
Le CUB-RdB (Confédération unitaire de base, représentants de base) est l’union de deux branches surtout implantées dans certains ministères. Leurs noyaux d’origines sont des groupes de jeunes précaires, surtout des ex militants du mouvement de masse des années 70. Il y a chez eux une nette coupure entre une pratique très économiste et un fond politique et idéologique qui reste très en retrait.
Les COBAS-SLAI (Syndicat des Travailleurs autorganisés) est le dernier arrivé et du point de vue de classe, c’est le plus intéressant, puisqu’il regroupe des COBAS surtout implantés dans les usines. Ils sont en fait le produit de la vague de 1992, et ont pris en exemple l’expérience la plus avancée qu’est celle d’Alfa Roméo de Milan, où une vieille et importante dissidence interne au syndicat a fini par se constituer en COBAS. Il faut remarquer que c’est le "syndicat majoritaire, avec 45% des délégués sur une usine de 6000 ouvriers, mais que c’est aussi une très brillante exception.
Le COBAS Alfa a conduit ces trois dernières années de bonnes initiatives pour souder la lutte entre différentes usines et secteurs. Par exemple, il est descendu face à une usine Pie dans le sud de l’Italie, pour intervenir dans sa lutte de résistance contre le chantage de Fiat qui exigeait des hausses de productivité ou alors menaçait de délocaliser la production dans d’autres usines en Italie ou ailleurs. Et cela alors que syndicats officiels, partis et même l’Église s’unissaient au chantage patronal ! La manifestation du COBAS Alfa a eu un effet très mobilisateur, provoquant la mise en place locale d’un autre COBAS.
Initiative très louable, quand on pense combien pèse ce type de chantage et de mise en concurrence entre ouvriers, pas seulement avec des pays lointains, mais à l’intérieur d’un même groupe, alors que les syndicats officiels ont montré leur rôle de larbins.

C’est l’ensemble de ces facteurs qu’il faut regarder pour comprendre l’expansion des divers COBAS dans les années 80, alors même qu’on assiste à un net recul de l’expression politique du prolétariat, des organisations et du mouvement révolutionnaire.
C’est dire que ces COBAS sont l’expression de la recomposition de certains secteurs du prolétariat (bien particuliers par ailleurs...) qui veulent lutter et résister, mais en décalage avec le mouvement ouvrier, lui-même en recul sous la pression de l’offensive des capitalistes tous azimuts déclenchée après la défaite ouvrière chez Fiat en 1980 et celle des organisations combattantes (Brigades Rouges en particulier) entre 1980 et 1982. Le développement des COBAS est donc un important phénomène de résistance, mais dans un contexte de reflux.

Parti et syndicat

Il n’empêche que le syndicalisme des COBAS a répondu à des questions qui étaient sans réponse ou qui réapparaissaient régulièrement. Au delà de ces réponses, ce sont des questions ouvertes et de vive actualité pour le mouvement de masse et le mouvement révolutionnaire.

 

En Italie (comme partout d’ailleurs, voir Notât en France) il arrive que des luttes de masse trouvent en face d’elles les bureaucrates syndicaux comme de véritables ennemis. De larges secteurs d’avant-garde cherchent alors à développer la richesse de leur combat en s’affrontant à eux, qu’il s’agisse du contenu et des mors d’ordre, des formes de lutte ou de l’organisation.
Mais il y a en même temps une nette tendance à surévaluer la richesse de cette lutte, à croire qu’elle va pouvoir accomplir toutes les tâches et tous les rôles. Ainsi les COBAS ne voient pas qu’une dynamique de masse est forcément très contradictoire et qu’il faut en tenir compte : qu’il faut assurer le lien avec l’ensemble du mouvement et de la classe et pas seulement avec la partie la plus avancée, au risque de se couper des larges masses. Ils ne voient pas que la fraction la plus avancée du mouvement doit bel et bien être organisée, mais à part, sur le plan politique, pour former une direction de classe à l’ensemble Ils ne voient pas que le syndicat doit rester un syndicat, même sur des positions de classe, pour la défense des intérêts des travailleurs, que l’on ne doit pas les charger de responsabilités qu’ils n’ont pas (celles d’un parti), au risque de rester marginalisés. On retrouve là un débat bien vivant, par exemple à propos de la CNT, mais plus généralement de toutes les tentatives se revendiquant du « syndicalisme révolutionnaire » ou de l’anarcho-syndicalisme. Même si un syndicat peut prendre des positions radicales, anticapitalistes, appeler à un changement de société, seul un parti communiste, regroupant la fraction la plus avancé des travailleurs peut élaborer ce projet et guider la révolution en tirant tous les bilans de l’histoire. Parce qu’un syndicat (fut-il « révolutionnaire ») ne peut pas s’assigner cette tâche sans se couper des masses.

 

Il faut aussi voir que les COBAS ont souvent été constitués sous l’impulsion déterminante de quelques "ex-révolutionnaires". Ceux-ci ont abandonné tous leurs espoirs passés, et même suivi certains discours à la mode sur la fin de la lutte des classes, la fin du politique, l’impossibilité de prendre le pouvoir et donc de faire la révolution etc... Comme beaucoup d’ex-soixante-huitards en France, ils ont donc fait le lien entre leur évolution et l’exaltation des mouvements sociaux, qui deviennent le fin du fin de la politique. Plus de parti, vive la lutte Plus de direction centralisée, l’éclatement et le manque de synthèse se transforme en une prétendue richesse des langages et des expériences.
De cette manière, on trompe les militants, et on les manipule au nom de la richesse de la lutte, en évacuant l’importance de la centralisation pour en faire une force en mesure d’affronter un ennemi aussi puissant que l’État bourgeois, quartier général de nos ennemis. Si on ne fait pas le lien entre ces luttes et cet objectif, la richesse des expériences se perd dans la confusion des diversités, dans le localisme, dans le corporatisme. Ce sont justement des caractères qui pèsent lourdement sur le parcours des COBAS.
Ils ont donc alimenté l’illusion que les COBAS pourraient à eux seuls suffire et ont souvent cherché à leur faire jouer un rôle beaucoup plus élevé qu’ils ne pouvaient assumer. Sous le discours "démocratique", cette confusion des rôles masquait en fait l’existence réelle d’une direction politique inavouée (c’est aussi ce qu’on constate, même en dehors d’un contexte de lutte, à la CNT).
Par ailleurs elle empêchait les COBAS de se transformer en véritable organisation de niasse et de répondre à leur objectif premier : rassembler largement, développer de larges liens, assurer la capacité de dialogue même avec les secteurs arriérés qu’on ne doit jamais abandonner mais stimuler dans leur évolution.

La démocratie directe

En ce sens, les COBAS prêchent la formation du "syndicat de classe" (en France on dirait plutôt : « syndicat révolutionnaire ») et tombent doublement dans un travers "syndicaliste".
D’abord, ils ont oublié toutes les expériences de l’histoire qui ont montré la nécessité absolue de deux niveaux d’une part celui des masses et de ses organisations, avec leur rôle et leurs limites, et celui de l’avant-garde en leur sein avec son rôle et aussi ses limites, qui doit intervenir séparément tout en évitant de se faire isoler.
Ensuite, comme tous les anarcho-syndicalistes ou apôtres du "mouvement", ils assimilent toutes les tâches et tous les rôles d’un processus révolutionnaire à l’autorganisation des masses. La conséquence négative immédiate, c’est une remarquable confusion dans les perspectives justement parce que dans le mouvement de masse coexistent des tendances bien différentes et même seulement des niveaux de maturation différents. Ce qui est tout à fait normal. On en arrive ainsi à lire dans un même document des objectifs de nature révolutionnaire voisinant d’autres de nature carrément réformiste (du style de la revendication d’une loi cadre pour la réduction du temps de travail de AC !)

 

Même l’opposition entre autorganisation des masses et bureaucratie est insuffisante. Elle repose sur l’illusion de résoudre "ici et maintenant" une contradiction qui nécessite un long travail révolutionnaire et même des transformations de la structure sociale après la prise du pouvoir. C’est à dire que ta difficulté de la pratique de la "démocratie directe" et de l’autorganisation ne réside pas seulement dans l’emprise bureaucratique des syndicats (ou des partis), mais qu’elle apparaît par la pression du système capitaliste sur les mentalités, parle développement spontané d’idées fausses ou réformistes. Il faut alors faire le tri, combattre les idées fausses, faire émerger les idées justes, défendre et faire gagner une orientation révolutionnaire. C’est à dire que sans processus communiste, vouloir résoudre la contradiction par la vertu de la seule "démocratie directe" est complètement illusoire. C’est sous-estimer gravement le niveau de pénétration de l’idéologie bourgeoise parmi les masses.
Par crainte des dérives bureaucratiques, les COBAS proposent une sorte de solution infantile de "pratique immédiate des objectifs", et proclament "la fin de l’État" et l’inutilité de la prise du pouvoir. On retrouve ainsi des positions proches de celles de la CNT et de l’ensemble des libertaires qui évacuent la difficulté de la prise du pouvoir avec des mots d’ordre du style : « vivons le communisme (libertaire) tout de suite ».

 

L’autre volet négatif, c’est bien sûr d’exalter toutes les différentes nuances existant au niveau de masse en renonçant à une synthèse, qui ne peut se faire qu’au plan politique. On en arrive à une véritable cacophonie. Aujourd’hui encore, même après la grande vague de luttes de 1992/1994 qui a vu un certain développement des COBAS ce mouvement est très divisé. Déjà en trois grands courants : COBAS, CUB-RdB, SLAI pour ne pas dire que ces sigles reflètent surtout une unité formelle et en fait une interminable variété de positions, jalouses de leur propre originalité,

 

Pour conclure, l’expérience des COBAS . contient un aspect positif et un aspect négatif : le positif, c’est d’être l’expression de réelles poussées radicales dans les masses et certains secteurs d’avant-garde, c’est un signe de la radicalisation anticapitaliste produite dans la crise. Le négatif, c’est la prétention à élever les COBAS au rang de nouvelle direction de la "lutte révolutionnaire", en prétendue synthèse de la lutte économique et politique.

 

Un lecteur italien

Les grandes grèves de 1992- 1994

 

La première est essentielle puisqu’elle a marqué une révolte de masse contre les syndicats officiels qui venaient de signer la suppression de l’échelle mobile des salaires (indexation automatique en fonction de l’inflation) et autres graves mesures de flexibilisation des salaires et du code du travail.
La colère a été à son comble, également du fait de la méthode : l’accord était signé quelques jours après le début de la période des congés. La révolte n’est donc arrivée qu’après les premières grèves de la rentrée, que les syndicats ont été obligés de suivre vu leur ampleur.
Seulement voilà : au premier jour de rassemblement, la grande masse des manifestants (un million dans toutes les villes d’Italie) a commencé à huer !es dirigeants qui prenaient la parole et à les bombarder de petits projectiles (boulons, tomates...).
L’important, ce qui a choqué !es bureaucrates, c’est qu’il ne s’agissait pas de la minorité « extrémiste » de toujours, mais de la grande majorité des manifestants et surtout des rangs des syndicalistes de base qui laissaient éclater leur ras le bol.

 

Dans ce climat explosif, les bureaucrates ont dû presque partout prendre la fuite et même le secrétaire général de la CGIL d’alors (équivalent de notre CGT) a essuyé un coup de poing au visage. Le choc a été énorme et la scène s’est reproduite pendant une bonne dizaine de jours, jusqu’à la grande manifestation nationale de Rome préparée par une campagne de presse, des partis, des institutions sur l’irresponsabilité de ces contestations.

 

Pour limpide qu’elle soit quant à son contenu et à sa détermination, la révolte ne pouvait pas résoudre en un jour la lourde réa-lité du mouvement ouvrier qui sortait d’une dizaine d’années de défaites et de reculs. Les mois qui suivirent, les syndicats remontèrent la pente, mais le point décisif était marqué : le roi était nu !

 

En 1994, la révolte a été plus classique et ressemble beaucoup au mouvement de novembre-décembre 1995 français, Par rapport à 1992, la grande différence a été que les syndicats n’étaient plus attaqués mais utilisés pour protéger et renforcer la mobilisation. On ne se battait plus contre un accord gouvernement - syndicats, mais contre des décrets gouvernementaux, ce n’est pas pareil. En fait, l’origine de la lutte a été spontanée, avec de grosses grèves sauvages dans certaines banlieues industrielles, où les cortèges ouvriers faisaient irruption dans les sièges syndicaux pour réclamer et imposer la couverture. syndicale et l’engagement à l’extension de la lutte.
En d’autres termes, ça n’a pas été un regain de confiance, mais bien une attitude de rapport de force avec une institution dont on se méfie mais dont on a besoin pour élargir et soutenir une lutte prolongée.

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