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Hommage au camarade Raymond Duberne

Partisan N°246 - Avril 2011

Le camarade Raymond nous a quittés. Il avait 78 ans, dont 62 de militantisme révolutionnaire. De 1949 à 2011, il aura vécu en acteur passionné l’histoire complexe des mouvements révolutionnaires français.
Fils d’un maçon parisien et d’une paysanne auvergnate « montée à la ville », il était déjà – comme il aimait à le souligner en plaisantant — « une incarnation de l’alliance entre la classe ouvrière et la paysannerie si chère à Lénine ». Ses parents n’ont pas une conscience de classe très développée. Cette conscience, il se la forgera tout seul dès son entrée dans le monde du travail, à l’âge de 16 ans, comme ouvrier typographe. La France coloniale commence à s’enliser en Indochine, mais Diên Biên Phu est encore loin et l’opinion publique s’intéresse plus à la reconstruction du pays qu’au déclin de l’empire. Raymond ramasse « l’Huma » dans les poubelles car il n’a pas le sou. Il n’est pas aux J.C. mais soutient le Parti communiste dans son opposition à la « sale guerre ». Il a choisi son camp définitivement : ce sera toujours celui est opprimés et des exploités.
Le colonialisme français agonise spasmodiquement ; l’Algérie succède à l’Indochine. En 1954, Raymond est employé à la librairie Gibert de Strasbourg-Saint-Denis. Il en profite pour parfaire, en autodidacte, sa culture littéraire et politique. C’est aussi l’époque où il fréquente des étudiants qui travaillent avec lui, les retrouvant régulièrement dans les cafés de Réaumur-Sébastopol ou de Saint-Michel. Ces derniers feront partie des différents cercles de réflexion d’obédience trotskiste qui se forment à la veille du 20e congrès du P.C.U.S. et préfigurent la contestation révolutionnaire du stalinisme des années 1960. Raymond ne sera jamais stalinien, ni même « autoritaire ».
Il est jeune, ouvrier et non diplômé : il est mobilisé et doit effectuer son service en Algérie. La découverte sur le terrain de la réalité de la négation sanglante de toutes les valeurs héritées de la Résistance le convainc qu’il faut tout faire pour arrêter la guerre coloniale et permettre au peuple algérien d’accéder à son indépendance. Il condamne la frilosité du P.C.F. qui feint de croire à la « citoyenneté pleine et entière des indigènes » dans le cadre de la République. Sur les conseils de ses amis trotskistes, il entre pourtant au P.C.F. pour pouvoir participer aux comités de lutte contre la guerre que le Parti se décide à mettre en place après 1956.
Néanmoins, l’invasion de la Hongrie et le 20e congrès du P.C.U.S. renforcent son anti-stalinisme. A l’intérieur du P.C.F. il va découvrir l’opposition pro-chinoise. Convaincu que le trotskisme, malgré ses critiques pertinentes du stalinisme, reste enfermé dans un ouvriérisme européocentriste qui méconnaît les luttes de libération nationale et leurs bases rurales, il s’intéresse aux expériences socialistes du « tiers-monde » : Chine, Vietnam, Cuba, Albanie et surtout Algérie. Exerçant le métier de correcteur de presse depuis sa démobilisation, c’est tout naturellement qu’il propose ses talents à la jeune république algérienne. Comme des milliers de militants enthousiastes, il deviendra un « pied rouge », travaillant à Alger comme correcteur pour la revue Révolution africaine, aux côtés de Siné et Jacques Vergès.
Rentré en France après le coup d’Etat de Boumediene, en 1965, il sera exclu du P.C.F. en 1966 à la suite des purges staliniennes qui visent les éléments « gauchistes » du Parti : trotskistes de la J.C.R. ou maoïstes de L’Humanité nouvelle. Il va alors poursuivre son engagement dans la mouvance « ML » au sein de la CGT du Livre (syndicat des correcteurs), préparant activement les grandes grèves de mai 1968. Il adhère au P.C.M.L.F. après les événements de mai. Ce seront ensuite les combats difficiles du reflux révolutionnaire des années 1970. La mort de Mao et la voie réactionnaire engagée en Chine à sa suite, l’élection illusoire de Mitterrand et les capitulations successives de la gauche française vont le conduire vers une pensée nouvelle à l’époque : l’écologisme.
Son engagement maoïste — dont la lecture assidue de Samir Amin — l’ont convaincu que toute contestation sérieuse du capitalisme est avant tout une contestation de son mode de production autant que celui des rapports sociaux qu’il détermine. Les propositions alternatives des « Verts » du début des années 1980 le séduisent. Il y voit le meilleur antidote au poison consumériste que l’idéologie dominante instille au prolétariat pour l’enchaîner définitivement au système qui le conduit à sa perte. Aucun « autre monde ne sera possible » sans une révolution personnelle face aux aliénations du quotidien, pensait-il. La déception consécutive à l’opportunisme petit-bourgeois des Verts le détachera de ces derniers. Il s’investira essentiellement dans le « mouvement social » né du vide politique des années 1990 : lutte des sans-papiers, féminisme, défense des acquis sociaux. Son « réformisme radical » l’aura finalement ramené à ses premières amours ; il adhère au N.P.A. où il soutiendra la ligne de gauche opposée à tout compromis avec le P.S. et le Parti de Gauche. Quelques jours avant sa disparition, il participait aux manifestations de soutien aux révolutions arabes en cours, y voyant le sursaut tant attendu des « damnés de la terre ».
Si un jour un autre monde est enfin possible, ce sera grâce à des gens comme toi ! Salut camarade !

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