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En 1899 déjà : réforme ou révolution
Partisan N°249 - été 2011
La première percée électorale du socialisme en France date de 1893. Elle pose la question du « ministérialisme » et de l’abandon de la politique révolutionnaire. Une cinquantaine de députés se réclamant du socialisme entrent alors à la Chambre parmi lesquels Jean Jaurès élu à Carmaux et Jules Guesde élu à Roubaix.
Au banquet de Saint-Mandé, le 30 mai 1896, devant Guesde, Brousse, Vaillant et Jaurès notamment, Millerand déclare que « nul socialiste n’a jamais rêvé en effet de transformer d’un coup de baguette magique le régime capitaliste : le socialisme consiste en la substitution nécessaire et progressive de la propriété sociale à la propriété capitaliste, affirme-t-il. Pour y parvenir, il faut écarter la violence et ne compter que sur le suffrage universel. »
Trois ans plus tard, le même Millerand devient ministre dans le gouvernement de Waldeck-Rousseau, avec l’approbation des « possibilistes » et de nombreux indépendants. Pour la première fois, se pose au mouvement ouvrier la question de la participation d’un socialiste à un gouvernement bourgeois. Jean Jaurès approuve l’entrée de Millerand dans le cabinet Waldeck-Rousseau, au nom de la « défense républicaine ». Vingt-cinq des élus socialistes à la Chambre votent en faveur du gouvernement Waldeck-Rousseau, sept s’abstenant. Ce gouvernement de « défense républicaine » investi le 26 juin 1899 comprend pourtant dans ses rangs, le général de Galliffet, « le fusilleur de la Commune » ! Millerand demeure Ministre du Commerce et de l’Industrie de 1899 à 1902. Il finit par rallier complètement la réaction.
Jules Guesde condamna alors le ministérialisme comme une politique de compromission avec la bourgeoisie et défendit la lutte de classe comme le seul moyen pour la classe ouvrière de mener le combat pour son émancipation : « Le Parti socialiste, parti de classe, ne saurait être ou devenir, sous peine de suicide, un parti ministériel. Il n’a pas à partager le pouvoir avec la bourgeoisie dans les mains de laquelle l’État ne peut être qu’un instrument de conservation et d’oppression sociales. Sa mission est de lui arracher, pour en faire l’instrument de la libération et de la révolution sociales ».
Néanmoins, en 1896 au banquet de Saint-Mandé, les guesdistes approuvent le compromis tracé par Millerand : « Nous n’avons jamais critiqué en public le Credo de Saint-Mandé, expliquent-ils, parce que son élasticité et son vague pouvaient être utilisés pour attirer au socialisme une partie de l’élite de la bourgeoisie que n’avait pu entamer notre propagande très précise ». Significativement la participation de Millerand au pouvoir ne poussent nullement les guesdistes à remettre en cause le processus d’unification relancé en novembre 1898.
Pour beaucoup d’élus socialistes des deux tendances qui siègent au Parlement, dans les conseils municipaux, la révolution apparaît comme un objectif lointain. Leur activité quotidienne se limite aux réformes, à un programme minimum, sans lien avec le programme maximum, celui de la révolution.
Le ministérialisme occupe l’essentiel du congrès socialiste au gymnase Japy, du 2 au 8 décembre 1899. Les sept cents congressistes adoptent deux motions. La première note qu’il « y a des cas où la participation d’un socialiste au pouvoir bourgeois peut être favorablement examinée, soit lorsqu’une crise grave menace les libertés politiques, soit lorsque la propagande et l’action du Parti socialiste ont conduit à maturité une importante réforme ». Seule restriction : l’élu doit obtenir « l’assentiment formel du parti » et lui rendre compte de son action. À l’inverse, la seconde condamne toute participation à un gouvernement bourgeois.
Photo : Jules Guesde
