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« Brigate Rosse » (Les Brigades Rouges)

Article de Partisan N°249 - été 2011

Il faut absolument que vous ayiez lu Moretti. « Principal dirigeant des Brigades Rouges pendant les années 1970 », dit la présentation. Et : « A l’heure où le monde semble s’installer de nouveau durablement dans une ère de turbulences et où partout les Etats mettent en place des législations d’exception au nom de la lutte contre le terrorisme, il importe plus que jamais de revisiter l’histoire italienne des années de plomb. »
Le livre est un long interview réalisé en prison. Trop de conneries ont été dites sur les BR, et Moretti veut que soit connue leur expérience réelle.

Premièrement, oubliez ce que furent Action Directe en France et la RAF (Fraction Armée Rouge) en Allemagne. Même si les membres des BR dans la clandestinité n’étaient que quelques dizaines, « fin 1978, les militants armés étaient un véritable mouvement de masse, ils étaient des dizaines de milliers, entre les combattants, ceux qui les soutenaient, les sympathisants actifs... » (p. 340). Le ministère de l’Intérieur italien confirme : il « estimait lui-même à plus de 100 000 les personnes susceptibles de fournir une aide matérielle, notamment un hébergement pour la nuit, aux membres des formations armées » (p. 13). « 5 000 personnes furent condamnées pour appartenance à ces organisations » (p. 14). Entre 300 et 400 se sont réfugiées en France.

Deuxièmement, c’est une aventure ouvrière. Née dans la continuité de mai 68. En Italie, il faut dire : 1968-69. Et la « fin du cycle de la lutte armée » sera déclarée par les BR... en 1987 ! Moretti s’interroge : « J’ai beaucoup réfléchi au fait que nous n’ayons jamais eu parmi nous d’intellectuels... Cela en dit long sur la nature des Brigades Rouges. Et aussi sur les intellectuels. » La lutte armée est née dans les grandes villes, presque de l’intérieur des usines, à Milan, Turin, Gênes...

Troisièmement, c’est un mouvement spontané. Un choix conscient mais dans la continuité de la lutte immédiate. C’est une radicalisation de cette lutte. « Nous avions compris que le mouvement s’en allait vers une défaite... Nous relancions donc le combat. » Vers un autre genre de défaite, il est vrai, et beaucoup plus répressive...
Pour comprendre cette radicalisation, ajoutons deux faits du contexte. «  Les bombes fascistes, qui furent un avertissement clair à la marée humaine, désarmée, descendue dans la rue depuis les universités et les usines » ; et « le coup d’Etat au Chili : que pouvait-on espérer de la démocratie si même ce socialisme tranquille et pluraliste avait été éliminé ? » (p. 25).

Et jusqu’à un certain point, la forme (armée) se substitue au contenu (la ligne politique). C’est la notion de « propagande armée » (p. 87). Le fait d’utiliser des armes serait, en soi, une propagande révolutionnaire. D’ailleurs, si Moretti affirme : « Nous nous étions engagés en affirmant que la guérilla urbaine était LA forme de la politique révolutionnaire de notre temps » (p. 278), il dit aussi : « La guérilla urbaine que nous avions définie comme la véritable politique révolutionnaire de l’époque moderne... » La « forme de la politique » devient « la politique ».

Le revers de la médaille, c’est que c’est un mouvement sans théorie, sans stratégie, sans analyse. « Le fait que, dans une société moderne, un véritable changement exige de mettre en relation des figures différentes ne nous a même pas traversé l’esprit ! » (p. 124). Même pour enlever un juge, il faut un minimum d’analyse du contexte politique. Or « cette action a été lancée à partir d’une analyse absolument erronée ; elle a quand même fonctionné parfaitement » (p. 119).

Bien évidemment, là où le balai n’est pas passé, la poussière reste ! Une analyse et une stratégie sont bien présentes, mais très « classiques ». C’est : la Gauche au pouvoir. « Envoyer la Démocratie Chrétienne dans l’opposition aurait été alors une véritable révolution en Italie » (p. 141). Mais le PC n’est-il pas devenu complétement réformiste et social-démocrate ? « Nous avions enlevé Moro pour créer une dynamique sur le plan politique, pour réactiver le conflit entre la gauche et le gouvernement » (p. 255). Cette fois, cela n’a pas du tout fonctionné...

Rossana Rossanda, l’une des deux journalistes qui interviewent Moretti, peut affirmer : « Les BR... communistes, mais ni marxistes, ni léninistes » (p. 42). Exemples. Quel est le rapport entre la guérilla urbaine et l’insurrection ? (Mao dirait : comment passer de la défensive à l’offensive stratégique ?). Moretti : « L’attaque du palais d’Hiver n’a jamais été notre objectif, mais ce n’est pas pour autant que nous avions abandonné l’idée d’une transformation révolutionnaire et, en cela, nous étions confrontés à tous les problèmes que les communistes n’ont jamais résolus. » (p. 124). Le rôle des ouvriers ? Quand le mouvement de lutte retombe, le rôle de la classe ouvrière devient nul. Moretti : « Je n’ai jamais cru que l’ouvrier puisse être le moteur de la transformation. De toute manière, il n’était possible de relancer la lutte qu’à l’extérieur de l’usine » (p. 95).

Et pour conclure le chapitre des limites, prenons la question du parti. Moretti : « Toutes les questions sur la création d’un parti nous étaient adressées, mais ce n’est pas nous qui allions les résoudre... » (p. 279).

N’en concluez pas que ce bouquin est nul. D’une part, comme on dit, il se lit comme un roman. Et si vous voulez savoir ce que signifie vivre dans la clandestinité, ou comment enlever un premier ministre, le séquestrer pendant près de deux mois, puis le descendre, tout ça sans vous faire prendre... Mais, plus sérieusement, ce livre décrit la vie d’une organisation révolutionnaire, sa recherche politique, et son impasse. Une dernière phrase de Moretti : « Quand d’autres nous demandaient ce qu’eux pouvaient faire, bien souvent nous ne savions pas quoi leur répondre sinon de nous rejoindre... Nous n’avons jamais été en mesure de diriger un mouvement de classe articulé. C’est une limite de taille » (p. 147).
Il faut absolument que vous lisiez ça, je vous le disais.

M.C.

Brigate Rosse, une histoire italienne. Mario Moretti, Ed. Amsterdam 2010, 19 euros.

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