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Inde : il y a 30 ans la révolte des Naxalites

Partisan n°121 - Juin 1997

L’insurrection paysanne

C’est dans ce contexte que vers 1952, l’organisation syndicale paysanne Kisan Sabha, contrôlée dans cette région par le parti communiste indien (marxiste) PCI(M), un parti révisionniste, s’est implantée dans la région et a commencé à se développer sensiblement malgré la répression. A la veille des élections générales de 1967, deux dirigeants locaux du Kisan Sabha, Sanyal et Santhal, ont décidé avec leur syndicat de ne plus obéir aux directives de la direction du PCI(M), qui appelait à préparer les élections.
A la place, ils renforcent le syndicat, préparent les luttes militantes, politisent... C’est ainsi que le 3 mars 1967, il y a 30 ans, un groupe de paysans occupe le terrain qu’un propriétaire foncier avait usurpé, près de Naxalbari. Les paysans plantent des drapeaux rouges et déclarent que ces terres appartiennent au Kisan Sabha. La répression sera immédiate, mais en fait celle-ci provoquera une des plus grandes insurrections d’ouvriers agricoles que l’Inde a connue. La lutte se radicalisera. Des gros propriétaires fonciers, des usuriers seront attaqués, et leurs terres seront expropriées, des fusils seront récupérés. Des rebelles déclareront la zone "libérée". 90 % des villages libérés s’organiseront en groupe de défense armés, notamment contre les milices des propriétaires-terriens. Les comités auront un programme en 10 points, incluant la destruction des structures féodales des villages à travers une réforme agraire de redistribution de toutes les terres.

Les maoïstes contre le révisionnisme

Depuis 1964, une opposition interne au PCI(M) s’était constituée, sur une ligne maoïste. Le PCI(M) participait alors au gouvernement, dans un Front uni, et détenait les ministères de l’Intérieur et de l’Agriculture ! Le déclenchement de l’insurrection déstabilise totalement le PCI(M). Et comme on pouvait s’y attendre, il décide le 21 juin 67 d’envoyer les forces de répression contre les "agitateurs". Un millier de personnes sont arrêtées et la rébellion étouffée. Mais un large mouvement de soutien s’est entre temps développé dans toute l’Inde. Le 28 juin, une émission de Radio-Pékin éclate comme une bombe : "l’ouragan de la grande révolution du peuple indien ne peut que se déclencher". La radio dénonce aussi le gouvernement du Bengale Ouest comme "l’outil des réactionnaires indiens pour décevoir le peuple et refroidir son esprit militant". Le PCI(M), qui veut garder ses liens avec le Parti Communiste Chinois, est alors complètement désemparé, et en proie à d’intenses luttes internes.

 

Du soutien dans toute l’Inde à la révolte de Naxalbari, un mouvement naît, celui des "naxalites". Pour les révolutionnaires indiens, sa stratégie est celle de la guerre populaire contre les "quatre montagnes" : l’impérialisme, le révisionnisme soviétique, le féodalisme et le capitalisme bureaucratique. L’Inde est caractérisée comme un pays semi-colonial et semi-féodal. La révolution doit s’appuyer principalement sur les paysans, établir des bases rurales, et les utiliser pour encercler les villes. La paysannerie est l’alliée la plus puissante du prolétariat et ce dernier doit s’intégrer à ses luttes.

La révolte de Calcutta

Dans les années qui suivent, le mouvement naxalite continue d’exister, avec ses temps forts et ses temps morts. En 1969 a lieu la création du parti communiste indien (marxiste-léniniste) PCI(ML) qui représente et dirige le mouvement naxalite, pendant que le PCI(M) s’enfonce toujours plus dans la trahison et le révisionnisme. En avril 1970, une grande révolte étudiante et lycéenne se revendiquant des naxalites a lieu à Calcutta. Elle dure un an et s’attaque à toutes les manifestations de la culture bourgeoise, les réminiscences du colonialisme anglais et les symboles des grands dirigeants nationaux bourgeois, comme Gandhi. A la même époque, le PCI(ML) s’autocritique sur son attitude vis-à-vis du mouvement ouvrier qu’il avait jusqu’alors négligé. Il entreprend -un travail politique dans les usines, fonde des cellules clandestines, et déclenche à certains endroits des opérations de guérilla urbaine. Au moment de la guerre avec le Pakistan, fin 1971, de nombreux militants naxalites seront arrêtés et assassinés par le gouvernement d’Indira Gandhi.

 

Cependant, le courant majoritaire du PCI(ML), dirigé par Charu Mazumdar, ne comprendra jamais le rôle central de la classe ouvrière. Ce parti s’enfoncera à son tour dans le révisionnisme. Mais aujourd’hui encore, de nombreux mouvements se revendiquant des naxalites sont actifs en Inde, bien qu’on n’en entende quasiment jamais parler. Les tentatives révolutionnaires de chaque peuple de la Terre ravivent l’espoir de construire un monde sans exploitation.

 

Marc Roux

 

Cet article est principalement basé sur le livre de P. Gavi intitulé Le Triangle Indien, éditions du Seuil, 1972.

 

Pour plus d’infos, voir le Comité de Soutien à la Révolution en Inde

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