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La révolution bolchevique - 2ème partie

De mars 1921 à fin 1923

Ce texte est issu d’une série d’articles de Partisan n°123-124-125 (octobre à décembre 1997) à l’occasion des 80 ans de la Révolution bolchevique. Nous proposons ici la 2ème partie.
En lien en bas de l’article la 1ère partie ainsi qu’une annexe sur la lutte entre deux voies au sein du Parti bolchevik (1917-1923), article paru dans Partisan n°130 (Mai 1998)

3ème partie : mars 1921 - fin 1923

A partir de 1921, le fin de la guerre civile offre à la Révolution une trêve militaire, mais laisse le pays anéanti. Le lutte des classes n’en continue pas moins, acharnée, exacerbée par la montée en puissance visible de la nouvelle bourgeoisie. La période révolutionnaire de 1921 à 1923 est marquée par des luttes décisives peur le pouvoir. Un tableau d’ensemble de la société soviétique après six années de révolution s’esquisse.

La Nouvelle Politique économique (mars 1921-avril 1929)

Au sortir de la guerre civile, l’effondrement de la production industrielle et agricole et la désintégration partielle du prolétariat sont devenues catastrophiques. En mars 1921, le parti bolchevik opère un virage politique : « la Nouvelle Politique économique » (la NEP). Il n’est plus seulement question d’un infléchissement poli-tique comme lors du « communisme de guerre. La NEP représente une orientation politique inédite : « des concessions et une retraite » imposées par l’urgence de la situation.

 

Mars - septembre 1921

 

La NEP marque un repli dont les objectifs immédiats sont économiques :
• Stimuler le rôle du marché pour apaiser les paysans tout en restaurant le pouvoir d’achat des salaires ouvriers.
• Assurer une reprise de l’activité économique en développant le capitalisme privé sous le contrôle de l’État, dans le cadre de la domination du capitalisme d’État.
De mars à septembre 1921, il s’agit de mettre en place la NEP, considérée comme un "retour" au capitalisme d’État du printemps 1918. C’est-à-dire, pour les aspects les plus nouveaux, la concession d’entreprises à des capitalistes, le développement de coopératives de petits producteurs et de petits capitalistes, le bail à un entrepreneur capitaliste d’établissements industriels, commerciaux ou minier appartenant à l’État, etc. Les anciennes mesures du capitalisme d’État sont maintenues : recrutement de capitalistes et de techniciens bourgeois pour diriger les entreprises d’État, maintien des rapports de production et de la division du travail capitalistes dans ces entreprises (système de Taylor "à la soviétique", hiérarchie capitaliste d’autorité et de salaires), etc.

 

À l’automne 1921, il devient vital de recentrer la NEP par la mise en oeuvre d’une réglementation par l’État du commerce et de la circulation monétaire, « la liberté des échanges » (commerce et petite industrie) en particulier. Ces mesures n’annoncent aucune renonciation au rôle dominant du capitalisme d’État, bien au contraire ; il s’agit de mettre en place de nouvelles réglementations étatiques et d’élargir des contraintes administratives sur le marché. Bref, il s’agit d’une mainmise accrue de l’État soviétique sur l’économie dans le cadre strict de la politique constante de renforcement du capitalisme d’État poursuivie depuis 1918. Pour Lénine, le capitalisme d’État russe géré par le pouvoir des Soviets ne serait plus "capitaliste" au sens habituel du terme. De plus en plus e contre-lé par l’État prolétarien e, il serait de mieux en mieux "retourné", il ne pourrait pas « débarder le cadre et les conditions qui lui ont été fixés par le prolétariat, les conditions qui sont avantageuses pour le prolétariat ».

 

Septembre 1921 - fin 1923

 

La NEP n’est pas seulement un repli après l’échec du « communisme de guerre ». C’est aussi une tentative pour mettre en place une forme durable d’alliance économique entre le prolétariat et la paysannerie sous la dictature du prolétariat. Derrière la NEP se profile ainsi une forme d’alliance politique, l’Alliance ouvrière et paysanne. Le Plan coopératif proposé à partir de janvier 1923 se fonde sur le principe de libre consentement des paysans travailleurs : le passage à la coopération, suppose l’absence de contrainte. Comment obtenir cette adhésion ? Par le développement industriel (environ 6 600 tracteurs sont livrés aux paysans moyens en 1924) et la « révolution culturelle » à la campagne : culture générale et politique, parrainage de la paysannerie par le prolétariat urbain ; près de 1,5 million d’ouvriers des villes y participent dans les villages en 1924-1925. Mais dans les faits, le Plan coopératif reste à l’état de projet et les paysans riches en sont parfois même les premiers bénéficiaires.

 

1923-1929

 

Dans le domaine économique, la NEP est un échec relatif pour l’agriculture. Globalement, la production agricole ne retrouve son niveau de 1913 que dans les années 1925-1927. Un chiffre clé donne la mesure du problème vital de l’agriculture soviétique : en 1927, la quantité de céréales disponible sur le marché reste encore deux fois inférieure à ce qu’elle était en 1913. Le ravitaillement des villes demeure un casse-tête continuel jamais résolu.
Si l’on s’en tient aux seuls chiffres de la production industrielle, le bilan de la NEP peut sembler assez satisfaisant : en 1926, le niveau de-production de 1913 est presque retrouvé. En réalité, la politique industrielle est incohérente. Les nepmen comme l’ensemble des nouveaux capitalistes soviétiques se soucient moins d’investissements à long terme que de profits immédiats. Le rythme modeste de la croissance industrielle entraîne la persistance d’un chômage endémique (an moins 2 millions de chômeurs citadins en 1927).

Noms et sigles

 

Armée rouge : de 300 000 hommes en mai 1918, les effectifs de l’Armée rouge passent à 800 000 hommes à la fin 1918, puis à 5,5 millions à la fin 1920. L’Armée rouge n’est pas une armée prolétarienne, mais une armée populaire de volontaires sous la direction politique du parti bolchevik ; elle ne dépend pas des Soviets.
BP : bureau politique du Comité central
CC : Comité central d’un parti communiste (organe dirigeant du PC(b)R)
Koulak : paysan riche, le koulak est un « exploitant agricole » généralement engagé aussi dans diverses activités capitalistes ou de pure spéculation (location de machines agricoles, commerce, usure, etc.). En 1922, les koulaks représentent environ 7% de la population paysanne et 21% du produit agricole. En 1928, ils sont estimés à 4% ou 5% de la paysannerie, mais produisent environ 25% du total agricole.
Nepmen : nouveaux bourgeois issus de la NEP (bourgeoisie bureaucratique d’État ou nouveaux capitalistes de l’industrie ou du commerce). Les nepmen de la ville sont les alliés de classe objectifs des koulaks du village et, si les koulaks ne vendent guère de blé à l’État, à partir de1922-1923 ils en vendent aux nepmen !
PC(b)R : Parti communiste (bolchevik) de Russie (nom officiel du parti bolchevik adopté au VIIème Congrès, en mars-avril 1918).
Conseil des commissaires du Peuple : « gouvernement des ouvriers et des paysans »
Présidé par Lénine, le premier Conseil est uniquement composé de dirigeants bolcheviks. A la fin de novembre 1917, cinq SR de gauche participent au gouvernement. Un gouvernement de coalition composé de 11 bolcheviks et de 7 SR de gauche est ensuite formé le 12 décembre 1917 et se maintient jusqu’à la fin février 1918. Mais l’opposition totale des SR de gauche avec la politique bolchevique de « paix séparée sans condition » aboutit à la rupture avec le pouvoir soviétique suivit d’une tentative de coup d’Etat (juillet 1918).
Désormais, le gouvernement présidé par Lénine est exclusivement composé de dirigeants bolcheviks. En droit, ses membres sont désignés par le Comité central exécutif. En fait, dès le30 octobre 1917, le gouvernement prend undécret (en principe provisoire) par lequel il s’accorde le pouvoir législatif. Le pouvoir gouvernemental (le Conseil des commissaires) est donc de fait entre les mains du Parti bolchevik et, progressivement, de son CC, puis de son BP.
Tchéka : Commission extraordinaire de lutte contre la contre révolution, la spéculation et le sabotage (créée le 20 décembre 1917, présidée par des Dzerfinskl).
La Tchéka ne dépend pas de Soviets : c’est « un Etat dans l’Etat ». Jusqu’en juillet 1918, elle est largement au main des SR de gauche (la vice présidence, entre autres). En avril 1918, la Tchéka institue ses propres tribunaux composés de 3 juges ; à partir du 17 septembre 1918, elle peut légalement condamner et exécuter sans en référer aux tribunaux révolutionnaires. Le 6 février 1922, la Tchéka est dissoute et remplacée par le GPU (Guépéou).
Conseil supérieur de l’économie nationale (créé le 14 décembre 1917) : pendant l’hiver 1917-1918, il est en charge du contrôle ouvrier. Durant le « communisme de guerre », il s’occupe surtout des plans opérationnels courants. Son rôle se réduit au début de la NEP, puis s’accroit après 1925.
Comité central exécutif (organe issu du Congrès des Soviets ouvriers et soldats) : le Comité élu au soir de l’insurrection d’octobre 1917 reflète la composition du Congrès : 62 bolcheviks, 29 SR de gauche et 10 autres socialistes. Ses effectifs sont ensuite accrus de 100 délégués de l’armée et de 50 délégués des syndicats : le nouveau comité ainsi constitué le 15 novembre 1917 comporte plus de 350 membres et constitue le « Comité central exécutif des Soviets de députés d’ouvriers, de paysans et de soldats ». Il remplit les fonctions du Congrès entre les sessions et désigne les membres du Conseil des commissaires (le gouvernement). Mais, moins de 3 mois après octobre, le Comité central exécutif se trouve dessaisi de tout pouvoir exécutif au profit du gouvernement et donc du CC et du BP du Parti bolchevik. Il n’est plus qu’une chambre d’enregistrement sans pouvoir politique.

Bref tableau de la Révolution russe en 1923

À la fin de 1923, après six années de révolution, un certain nombre de traits spécifiques des luttes de classes en URSS et de la société soviétique sont déjà bien en place, sinon définitivement figés ; sur quelques questions clés, les dés sont d’ores et déjà bel et bien jetés.

 

Le prolétariat classe "introuvable"

 

De 1918 à 1923, la famine, la guerre civile, l’intervention étrangère et la révolution ont fait 12,5 millions de victimes. C’est la classe ouvrière qui ale plus souffert. Saignée à blanc, elle ne représente plus, à la fin de 1921, qu’environ 6% de la population de l’URSS (dont moins de 1% d’ouvriers d’industrie). En tant que classe, le prolétariat industriel est devenu quasiment "introuvable". Lénine l’explique : le prolétariat industriel] chez nous, [...est déclassé, c’est-à-dire qu’il a été détourné de son chemin de classe et a cessé d’exister en tant que prolétariat. (...] Étant donné que la grande industrie capitaliste est minée et que les fabriques et les usines sont immobilisées, le prolétariat a disparu ». Nombre d’anciens ouvriers ont péri, d’autres ont été absorbés par les appareils de l’État (administrations, armée, parti, syndicats, etc.), d’autres encore ont rejoint la campagne en raison du chômage et de la famine. Simultanément, des éléments de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie urbaine ont pénétré la classe ouvrière. En 1923, le prolétariat russe a ainsi subi des transformations profondes. Le parti bolchevik, qui comptait plus de 6096 d’ouvriers dans ses rangs au printemps 1917, n’en compte plus que 4495 en 1923 ; plus de 97% de ses membre ont adhéré après Octobre et moins de 2% avant février 1917.
Dans une société, la solidité de la dictature du prolétariat n’est pas principalement déterminée par la "quantité", ni par le nombre relatif d’ouvriers. Mais le pouvoir politique d’une classe ne s’exerce que de manière concrète : il est évident que la "disparition physique’ de la classe ouvrière soviétique ne peut rester sans incidence sur ses capacités d’exercice de la dictature. En outre, jour après jour, mois après mois, le prolétariat a été inexorablement et très administrativement dépossédé de son pouvoir poli-tique (au sein des appareils de l’État soviétique) et économique (rapports de production, division sociale du travail, organisation du procès de production, etc.) : par la persistance des anciennes habitudes, par les nouveaux privilégiés, par la bureaucratie d’État... bref par la couche bourgeoise naissante et les rapports bourgeois en général.
Les comités d’usines et les Soviets ouvriers, fer de lance de la Révolution d’Octobre et organes étatiques de la dictature du prolétariat n’existent plus ou ne représentent plus rien. Le prolétariat est ainsi devenu "introuvable° comme classe sociale et comme classe révolutionnaire.

 

Le processus de contre-révolution bourgeoise en URSS

 

La bourgeoisie d’État soviétique est le produit des luttes de classes et des conditions économiques, politiques et sociales de 1917-1923. Elle est déjà en germes dans les mesures mises en place durant le « communisme de guerre », puis prend forme et consistance avec la NEP. En 1918, les bolcheviks sous-estiment le danger d’une contre-révolution d’exploiteurs qui ne s’approprieraient pas les moyens de production de manière individuelle, privée, mais en bénéficieraient collectivement, par l’intermédiaire et de l’intérieur de l’État soviétique. Et, ce qui n’était encore en 1918 qu’un danger potentiel résultant du rôle dominant du capitalisme d’État, se métamorphose naturellement après 1921 en une tendance sociale profonde et durable en voie de consolidation. En 1923, la nouvelle bourgeoisie soviétique (les privilégiés du régime, les nepmen entre autres) a fait sa jonction avec la bourgeoisie de l’ancien régime ; elle se constitue à partir de la bureaucratie d’État en une couche sociale dominante dont les contours se précisent de plus en plus. À par-tir de l’économie capitaliste héritée du tsarisme, une contre-révolution blanche classique aurait rétabli par la violence les rapports bourgeois ordinaires. La Révolution d’Octobre victorieuse ayant remplacé la propriété privée par l’appropriation collective d’État, la nouvelle bourgeoisie ne pouvait prendre k dessus de la même manière et reconstituer une classe de propriétaires privés. Le processus de contre-révolution s’est donc développé furtivement, "administrativement", camouflé à l’intérieur de l’État et au sein même du parti bolchevik, en son nom et au nom du socialisme. La nouvelle bourgeoisie qui la mène marche ainsi au pouvoir sans conflit ouvert avec le prolétariat, en s’appuyant :

 

1° Sur la base économique des rapports de production dominants du capitalisme d’État, établis depuis 1918 puis renforcés par la NEP.

 

2° Sur les appareils de l’État, où sen-racine une classe de propriétaires collectifs des moyens de production.
En 1923, la machine administrative de l’État soviétique s’épanouit sur les survivances de l’État tsariste. Elle représente un gigantesque corps de fonctionnaires (multipliés par ICt depuis 1913) en croissance continue. Plus des deux tiers des membres du parti occupent des fonctions de ’responsabilité" leur conférant des privilèges de classe, une certaine autorité et divers avantages matériels.
Cette contre-révolution n’en est pas pacifique pour autant. Pour parvenir à ses fins, elle doit éliminer les acquis de la Révolution et plusieurs centaines de milliers d’opposants politiques, tant au sein des organes de direction du parti bolchevik que parmi les masses révolutionnaires (ouvriers des comités d’usines, des Soviet, des syndicats, etc.).
Il faut en tirer la leçon. La politique mise en œuvre pour détruire en priorité "l’ennemi principal" (la petite production, le capital privé) a développé un "autre" ennemi tout aussi dangereux (le capital d’État) : l’ennemi est le capitalisme sous toutes ses formes et dans tous les domaines, économiques, politiques et idéologiques.

Deux courants politiques dans la Révolution russe (1917-1923)

 

Les anarchistes
Avant Octobre, puis après la victoire de la contre-révolution bourgeoise en URSS, l’anarchisme (ou « communisme libertaire ») a pu passer pour plus radical, plus révolutionnaire que le bolchevisme. La raison est simple : à la différence du réformisme et de l’opportunisme, l’anarchisme n’a jamais répudié l’usage de la violence et de l’insurrection.
Les rapports du parti bolchevik avec les anarchistes témoignent d’une volonté de coopérer avec tous les courants révolutionnaires. Mais cette coopération est compliquée par l’extrême variété des tendances anarchistes, malgré leur mot d’ordre commun : « Tout le pouvoir aux Soviets locaux [ou libres] ». Jusqu’en avril 1918, les anarchistes développent librement leur action, notamment à Petrograd et à Moscou. En avril 1918, la Tchéka détruit des sièges anarchistes à Moscou. En juillet 1918, certains anarchistes participent à la tentative de coup d’état des SR et en septembre, un groupe anarchiste attaque le siège du parti bolchevik à Moscou. Durant la guerre civile, une partie d’entre eux combat dans l’Armée rouge, tandis qu’une autre entrave la lutte par ses cris contre la discipline militaire et son défaitisme. De 1918 à 1920, Lénine s’efforce donc de maintenir de bons rapports avec les courants anarchistes dans le prolétariat : la politique vis-à-vis d’eux vise à mener la lutte contre les thèses anarchistes en évitant la répression. Mais la Tchéka développe sa propre logique et la répression est bien là...
Une tendance « paysanne » du mouvement anarchiste (violemment anti-bolchevique) est particulièrement bien implantée en Ukraine : Makhno y dirige une armée paysanne contre les armées blanches, la Makhnovchina. L’Armée rouge et la Makhnovchina mène alors un combat commun contre l’armée de Wrangler. En novembre 1920, les anarchistes « makhnovistes » rompent leurs accords avec le pouvoir des Soviets et la Makhnovchina est ensuite rapidement liquidée par l’Armée rouge.
En mars 1921, l’insurrection de Kronsdadt entraine de nouveaux affrontements avec les anarchistes, suivi d’une répression accrue. En apparence, les anarchistes retrouvent ensuite une certaine liberté d’expression. C’est vers la fin de 1927 que les dernières organisations anarchistes sont disloquées.

 

Les SR de gauche
Bien que la Révolution soit dirigée à la fois contre la bourgeosie et contre la politique de compromis des partis démocratiques (SR, mencheviks), le parti bolchevik ne les traite pas, au départ, comme des partis contre-révolutionnaires. Non seulement ils ne sont pas interdits, mais le parti bolchevik tente de les faire participer au gouvernement après Octobre. Après la rupture avec eux, les pourparlers continuent avec les SR de gauche, qui se sont séparés du parti SR pendant la guerre et exercent une forte influence sur les paysans moyens pauvres et moyens.
Les SR de gauche n’acceptent d’entrer au gouvernement (5 SR de gauche) que le 14 novembre 1917 (après leur congrès constitutif). Un gouvernement de coalition est formé ultérieurement le 12 décembre1917 (11 bolcheviks et 7 SR de gauche), mais ne dure que jusqu’à la fin février de 1918. Malgré leur opposition radicale à la paix de Brest-Litosvk, la « collaboration » des SR de gauche avec les organes du pouvoir soviétique (Soviets paysans, Congrès des Soviets, Comité central exécutif etc.) se maintient d’octobre 1917 à juillet 1918. La rupture ouverte a lieu au Ve Congrès des Soviets (juillet 1918) devant 1132 délégués (dont 754 bolcheviks et 352 SR de gauche). Une de leur dirigeante y appelle à l’action terroriste et, le lendemain, une fraction des SR tente un coup d’État à Moscou. Leur parti est en fait divisé. Ceux qui s’associent aux activités contre-révolutionnaires sont expulsés des Soviets ou arrêtés, mais ceux qui continuent à y travailler ne sont pas inquiétés avant 1922.

 

Le parti bolchevik
Il constitue l’organisation la plus importante. L’ampleur et les enjeux des luttes politiques en son sein nécessitent des développements particuliers. Les courants et tendances qui s’affrontent dans le parti bolchevik de 1917 à 1923 seront donc présentés dans un texte ultérieur.

 

L’oeuvre prolétarienne de la Révolution russe, la réalité et les mythes

 

Pour Lénine en 1921-1922, cette œuvre se ramène à trois points principaux :

 

1)Sortie révolutionnaire de la guerre impérialiste mondiale ; dénonciation et mise en échec de la boucherie organisée par les deux groupes de rapaces impérialistes.
2)Création du régime des Soviets, forme de réalisation de la dictature du prolétariat. L’époque du parlementarisme démocratique bourgeois est terminé. Un nouveau chapitre s’ouvre dans l’histoire : l’époque de la dictature du prolétariat.
3)Construction des bases économiques du régime socialiste. Dans ce domaine, le principal, l’essentiel n’est pas achevé. Si l’on peut plus ou moins s’accorder avec Lénine sur les deux premiers points, le troisième tient de l’illusion, d’un mythe entretenu demis 1918. La Révolution russe fut certes bien une révolution prolétarienne, mais jamais elle ne put véritablement ébaucher la construction des bases économiques du socialisme.

 

Elle a pu écraser l’absolutisme tsariste et les anciennes formes de production, mais seule, elle ne pouvait pas parvenir à entamer la construction économique concrète du socialisme en Russie.
L’écrasement de la révolution en Europe, entre autres, rendait l’entreprise irréalisable. De 1918 à 1923, l’URSS voit au contraire se construire les bases économiques d’un capitalisme d’État inédit, cru et sans masque. Très rapidement, la situation objective et la poli-tique du parti bolchevik font évoluer le pouvoir des Soviets vers uns État are sens propre ». En 1923, l’État soviétique n’est pas socialiste ; ce n’est pas un Etat en voie d’extinction ; ce n’est même plus l’État d’une dictature prolétarienne. Pourtant, il ne s’est accompli aucune transformation ou déviation qui aurait écarté la Révolution d’une mythique voie idéale vers le socialisme comme l’affirment par exemple les trotskystes. La nouvelle bourgeoisie qui se constitue en 1923 est le fruit d’une maturation amorcée en 1918. La prise du pouvoir par cette bourgeoisie n’est pas non plus une fatalité historique, le sort de la Révolution n’était pas écrit à l’avance : son histoire est celle de la lutte des classes en URSS et à l’échelle mondiale.
Ce n’est pourtant pas là l’essentiel. Malgré ses erreurs et ses échecs et par ses erreurs et ses échecs, la Révolution russe représente une expérience bien plus riche encore que la Commune de Paris, un héritage exceptionnel pour la lutte du prolétariat mondial contre le capital. Son impact est toujours aussi vivant et ses prolongements théoriques et pratiques constituent une source inestimable d’enseignements plus actuels que jamais pour le mouvement ouvrier révolutionnaire (Conseils, contrôle ouvrier, destruction de l’État, dictature du prolétariat, rôle d’avant-garde du parti, etc.).

 

Jean Labeil

 

Pour en savoir plus
John Reed, 10 jours qui ébranlèrent le monde (mars 1919), Le Seuil, 1996
Bibliographie
Charles Bettelheim, Les luttes de classes en URSS – 1ère période 1917-1923, 2ème période 1923-1930, 3ème période 1930-1941 (2 tomes), Seuil-Maspéro, 1974, 1977, 1984
Edward H. Carr, La révolution bolchévique (1917-1923), 3 volumes, EDI, 1969-1974
Robert Linhart, Lénine, les paysans, Taylor, Le Seuil 1976

 

A propos du précédent article de Jean Labeil sur la Révolution russe

 

Jean Labeil affirmait dans la conclusion de l’article paru dans le numéro 125 de Partisan « qu’en 1923, l’État soviétique n’est pas socialiste », « que ce n’est pas un État en voie d’extinctions et enfin que "ce n’est même plus l’État d’une dictature prolétarienne ». II a surpris nombre de lecteurs habituels qui n’y ont pas reconnu les positions antérieures de VP. Le fait d’avoir publié cet article sans avertissement et sans rappeler les positions qui ont été collectivement arrêtées par l’organisation et fixées dans sa plate-forme est une erreur qui pouvait laisser croire que la conclusion de l’article était partagée par VP.
En effet, cette appréciation de la nature de l’État soviétique en 1923 n’est pas celle que VP fait dans sa plate-forme. Pour VP, le triomphe contre révolutionnaire d’une nouvelle bourgeoisie d’État n’est pas consommé en 1923, mais dans les années 30. Notre plate-forme affirme bien que les tendances à la constitution d’une nouvelle bourgeoisie existaient dans les années 20, mais aussi qu’erres ne s’étaient pas alors consolidées à la tête du parti et de l’État en une ligne irréversiblement bourgeoise. Les faits rapportés par Labeil, permettent justement de montrer l’ampleur des conceptions que nous jugeons aujourd’hui erronées et dangereuses dans le parti. Mais nous ne partageons pas sa conclusion qui induit que plus aucune force n’existait ni dans le parti, ni dans l’État, ni dans les avant-gardes ouvrières, qui puisse entraver le développement de la bourgeoisie d’État. Les derniers combats de Lénine et la nouvelle politique économique visaient pourtant à rompre avec une politique qui avait coupé le parti, non de Pavant garde ouvrière, mais de sa masse. Le bilan de cette période que Jean Labeil n’aborde pas reste à faire, La lutte des classes avait-elle tranché en 1923 définitivement en faveur de la nouvelle bourgeoisie ? Nous ne le pensons pas aujourd’hui.

 

Le jugement de Labeil sur l’État n’est pas plus sévère que celui que portait Lénine dans le dernier texte qu’il dicta avant sa paralysie totale : « Mieux vaut moins mais mieux ». « Le plus nuisible, disait-il, serait de croire que le peu que nous avons suffit ou encore que nous possédons un nombre plus ou moins considérable d’éléments pour édifier un État vraiment neuf, et qui mérite véritablement le nom d’appareil socialiste, soviétique, etc. Non cet appareil nous ne l’avons pour ainsi dire pas, et nous possédons ridiculement peu d’éléments pour le créer ». Lénine comptait encore pour construire cet État-nouveau « sur les ouvriers exaltés par la lutte pour le socialisme », et sur l’expérience, « les éléments de connaissances », acquis dans la lutte.
Nous partageons évidemment l’appréciation de Labeil sur la portée historique de la Révolution russe qui « malgré ses erreurs et ses échecs, et par ses erreurs et ses échecs eux-mêmes, Il Représente une expérience plus riche encore que celle de la Commune de Paris, un héritage exceptionnel pour la lutte du prolétariat mondial contre le capitalisme. Son impact est toujours aussi vivant et ses prolongements théoriques et pratiques constituent une source inestimable d’enseignements plus actuels que jamais pour le mouvement ouvrier révolutionnaires.

 

Toutefois cette évaluation (ou réévaluation) de la révolution bolchevique ne peut pas dans une organisation se taire en dehors d’un débat collectif nourri par un travail théorique auquel les articles de Labeil doivent utilement contribuer. Cela ne doit pas se faire dans la précipitation, sous la pression des "révélations" médiatiques sur les "crimes du communisme". La tentation peut être forte, qu’au lieu d’une évaluation politique collectivement établie et fondée par un travail rigoureux, chacun dresse sa propre évaluation au prétexte qu’il faut répondre à tout prix L’absence de rappel des positions de l’organisation laissait le champ libre à de telles interprétations qui ne sont pourtant pas celtes qu’induit l’article.
Pour l’heure l’organisation achève un travail d’étude et d’évaluation de la révolution chinoise. Nous avions conscience en rédigeant notre plate-forme que « de ce processus (la révolution russe] nous n’avions pas encore tiré toutes les leçons ». Mais à chaque jour suffit sa peine. Ce bilan est à poursuivre, Mais pour l’instant les leçons générales que tire VP de l’expérience révolutionnaire mondiale, et de la Russie en particulier, sont encore suffisantes pour répondre aux taches de l’heure et pour éclairer ceux qui veulent en finir avec le capitalisme sur la nature des tâches de la transition.

 

Le CD

 

Les autres documents de ce dossier :

 

La révolution bolchevique - 1ère partie : De janvier 1905 à mars 1921

 

Annexe : La lutte entre deux voies au sein du Parti bolchevik (1917 - 1923)

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