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Vous avez encore faim ?

Partisan n°153 - Décembre 2000

Vache folle, bœuf ou veau aux hormones, canard pourri ou poulet à la dioxine. L’eau du robinet imbuvable dans un nombre croissant de départements du fait des élevages intensifs de porcs et donc de la présence de nitrates, d’hormones, d’antibiotiques et d’antistress animaux dans les eaux. Les OGM de soja et de maïs qui envahissent sournoisement les rayons des magasins, particulièrement dans les aliments préparés (biscuits, sauces, desserts, plats cuisinés...). Plomb, mercure ou cadmium dans les légumes ou les graisses animales. Vins frelatés. Listeria dans les produits dérivés du lait. Poissons ou volaille nourris aux résidus d’égouts. Sans parler de ce qu’on ne connaît pas encore...
Bon appétit à tous ! Vous avez encore faim ?

 

Au début du siècle, il y avait encore entre 20 000 et 50 000 morts par an du fait de l’hygiène insuffisante dans le domaine de l’alimentation. Aujourd’hui, c’est de bien d’autre chose qu’il s’agit, du fric et du profit qui dégradent tout.

Mangez bio ou achetez Lidl ?

Il faut reconnaître que depuis des dizaines d’années les paysans de la Confédération Paysanne dénoncent les dangers de ce qu’ils appellent une agriculture productiviste. Mais aujourd’hui, on a passé un cran. L’affaire de la vache folle et de l’apparition des dérivés de la maladie chez l’homme (la variante de la maladie de Creutzfeld-Jacob), fatale et incurable a provoqué une véritable psychose, chez les enfants et leurs parents.
Ce n’est pas un hasard si les cantines scolaires sont au premier plan. Chacun sait qu’on y mange tellement mal que la suspicion y est la règle pour les parents. Aussi, même si c’est parfaitement irrationnel, la pression a été terrible pour interdire la viande de b ?uf. Mais on aurait tort de penser qu’il s’agit simplement du boeuf. Derrière toute cette psychose, c’est l’alimentation en général qui est remise en cause. On nous fait manger de la merde, il y en a des conséquences graves, et maintenant ça se voit !

 

Mangez bio ! avancent les Verts à l’offensive (jusque dans les conseils d’école). Réaction louable déjà à l’oeuvre dans certaines villes, (en attendant d’ailleurs les premiers dérapages sous le label bio). Mais la question qui se pose est toute simple : qui va pouvoir se permettre de manger bio, alors que les produits sont quand même bien plus chers ? Que se passe-t-il déjà aujourd’hui ? Où vont s’approvisionner les smicards, les RMIstes, tous ceux dont le salaire est misérable ? Ils vont déjà dans les magasins de merde, le hardiscount, les magasins comme Lidl où l’on vend les pires des produits à très bas prix. Sans même parler bio, pourquoi ces millions de personnes ne vont pas acheter de la nourriture un minimum consommable ? Parce qu’elle est déjà trop chère.
Manger bio ? C’est le mot d’ordre de ces couches petites-bourgeoises intermédiaires qui peuvent se le permettre.
Le poulet à la dioxine et les OGM pour les uns, l’entrecôte bio pour les autres ?

Les limites des écolos et de la Confédération paysanne

Ecolos et agriculteurs progressistes ont parfaitement raison de remettre en cause la "malbouffe" comme dit José Bové (et voilà longtemps qu’ils le font !). Ils ont même tout à fait raison de proposer une nourriture saine, équilibrée et de qualité, produite par une agriculture raisonnée ou biologique. Mais leur solution est un peu courte et paraît très angélique...

 

Tout d’abord pour des raisons de prix, et donc de salaire. Il n’est pas possible de mettre l’alimentation entre parenthèse, sans considérer ce qu’elle est, une partie d’un budget familial, en particulier pour les ouvriers, chômeurs et autres catégories défavorisées. Et si les salaires sont faibles, c’est pour répondre aux exigences de la guerre économique mondiale, de l’ensemble des capitalistes présents en France. Il y a là un problème, comment on fait ?

 

Ensuite, on oublie soigneusement un élément très important. La France est le deuxième pays agroexportateur mondial, et le premier relativement à sa population. Comme l’écrivait joliment la revue patronale L’Usine Nouvelle, "les paysans sont les fantassins d’une guerre économique mondiale", ce qu’ont parfaitement compris les gouvernements successifs. Ainsi la loi de modernisation de l’agriculture de 1995 avait comme objectif explicite de "fixer l’adaptation de l’agriculture aux nouveaux enjeux internationaux et communautaires, et de garantir la compétitivité et la capacité exportatrice de l’agriculture". On ne saurait être plus clair.
Tout le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire est un secteur clé du développement de l’impérialisme français, de cette mondialisation au service des bourgeois français. Pour le commerce extérieur, pour l’arme alimentaire qu’elle représente, c’est tout un pan de l’économie qui est en jeu. Contester la malbouffe, c’est comme si on demandait d’arrêter la fusée Ariane ou les avions Airbus.
Côté exportations, ce sont les céréales, les produits laitiers, les viandes (par exemple les poulets dans les émirats arabes). Ce sont aussi deux géants, Danone et BSN, présents aux quatre coins de la planète.
Côté fournisseurs, ce sont les géants chimiques et pharmaceutiques ou fabriquants de semences pour qui le marché s’élève à 150 milliards de francs. Il y a là Elf Atochem, Aventis, Novartis, Ciba, Monsanto, BASF etc...
Il y a aussi tous les fabriquants de matériel agricole, machinisme ou informatique.
Et puis il y a les sociétés annexes, qui se sont construites sur la base des succès de la politique agricole française et européenne. C’est en particulier le cas de la restauration collective, (entreprises, écoles, hôpitaux et maisons de retraites) qui servent la bagatelle de 3,5 milliards de repas par an ! SODHEXO est ainsi devenu le leader mondial sur la base de base produits alimentaires industriels à très bas prix.

 

On le voit, la malbouffe, ce n’est pas seulement la "dictature de quelques grands groupes", c’est tout un système.
Contester la malbouffe, c’est contester les salaires et donc la compétitivité des entreprises, les orientations économiques du pays, les exportations, la place de la France dans le monde. C’est un choix anti-impérialiste aux vastes conséquences, avec des ennemis nombreux et puissants, qu’ils soient dans les entreprises ou les gouvernements. La première qualité d’un contestataire, c’est de ne pas se voiler la face et de reconnaître exactement la valeur de l’ennemi, pour bien savoir comment le combattre et donc savoir mener le combat jusqu’au bout.

Revenir à la raison pour manger correctement

Revenir à la raison en termes alimentaires, c’est revenir à une agriculture raisonnable, désintensifiée (sans revenir bien sûr à l’âge de la pierre ou la traite à la main...), avec des produits de bases naturels et contrôlés (alimentation animale), réduire massivement l’usage de produits chimiques. C’est donc arrêter les exportations (ce qui ne pourra que favoriser le maintien d’une agriculture dans les pays dominés), garantir la sécurité et l’hygiène alimentaire. Cela suppose une autre logique, d’autres priorités au service des besoins de la population et non plus des profits ; cela suppose une restructuration majeure de l’économie, non seulement de l’agriculture, mais de tout le secteur agroalimentaire, donc des reconversions importantes. Bref cela suppose d’éliminer les règles du jeu actuelles, de la guerre économique et du profit, d’en établir d’autres ; donc d’éliminer la couche sociale de bourgeois dans les affaires ou en politique qui en profitent. Cela suppose ce que nous appelons le pouvoir des travailleurs, qu’il faut nous préparer à prendre, par la force s’il le faut.
En attendant que les conditions en soient réunies, nous ne sommes pas impuissants. Nous pouvons nous battre :
Pour les salaires, le plus souvent bloqués par les 35 heures Aubry, pour la hausse radicale des minima sociaux, pour le droit à manger correctement et sans risques : pas de revenu inférieur à 8500 F net !
Dans les associations de consommateurs pour dénoncer tous les produits toxiques, pour exiger l’affichage de la composition exacte des composants.
Dans les industries chimiques pour dénoncer publiquement l’élaboration de nouveaux produits de merde.
Autour de la restauration collective (surtout écoles ou entreprises) pour exiger une alimentation de qualité, pourquoi pas bio, bien entendu sans augmentation de prix pour les consommateurs.

 

Alors, en lien avec la lutte contre l’exploitation, nous commencerons à jeter les bases d’une contestation totale de cette société pourrie dont l’égout et la folie sont les symboles. Alors nous saurons mieux sur quoi nous battre, comment et contre quels ennemis. Alors, même si c’est encore lointain, nous commencerons à préparer un autre futur, le nôtre.

 

A.Desaimes

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