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« Racisme : la responsabilité des élites »

Le racisme a une histoire

Le racisme théorisé au 19ème siècle, qui hiérarchisait « scientifiquement » les races, a servi à justifier la domination et les humiliations de la période coloniale. Les représentations des races ont, depuis, changé. Le projet politique correspondant, qui justifiait des mesures discriminatoires pour combattre les colonisés (ou les juifs) comme menace, est désormais interdit en France par la loi.
Nous sommes à l’ère du racisme post-colonial. Les « élites » (les guillemets sont de moi) n’auraient, selon elles-mêmes, plus rien à se reprocher, ne tombant pas dans les propos et comportements racistes de certains au sein des couches populaires. Ces « élites » ont pourtant leur responsabilité propre dans la persistance d’un racisme nouveau. Elles détiennent le discours public et les moyens de communication qui vont forger les représentations qu’une société se donne d’elle-même.
Avant les années 1980, le discours de la gauche était fondé sur le clivage patrons/ouvriers, et celui de la droite sur français/étrangers. Selon l’historien, si le langage ethnique a remplacé le langage de classe, la responsabilité en revient en particulier aux responsables du gouvernement socialiste qui, en 1982/83, a abandonné les travailleurs immigrés de l’automobile en lutte contre les restructurations, pour privilégier le terme et la génération de « beurs ». Etiquette qui renforce, au passage, le stigmate de « français pas comme les autres » ! La gauche elle-même est ainsi passée de la classe à l’ethnie. Les formes contemporaines du racisme se traduisent désormais par la stigmatisation de groupes qui cumulent toutes les formes de rejet, en raison de leur situation sociale et des stéréotypes les visant.

Tout comme le racisme, l’anti-racisme a une histoire

Vigoureux et efficace jusqu’aux années 1960, l’anti-racisme du front anti-fasciste des années 1934, puis l’anti-racisme reliant ce combat au combat ouvrier de lutte sociale, est désormais inefficace, selon Noiriel. Les récupérations diverses pour des causes contradictoires ont affaibli et réduit à un discours moral les propositions anti-racistes .Les mobilisations anti-FN des années 1980 n’ont pas éliminé cet adversaire. Au contraire, les thèses sur l’immigration et l’identité nationale sont désormais reprises au sommet de l’Etat. (Rappelons que le livre est écrit sous Sarkozy, mais le changement ne semble pas d’actualité après quelques mois de Hollandie).
L’idéologie et le discours de droite ont établi, depuis la révolution iranienne de 1979, un lien entre l’intégrisme islamiste et la violence dans les banlieues. A gauche, face au discours sécuritaire contre « le danger terroriste », on a privilégié l’éducation laïque et les valeurs républicaines. Mais en 2012 (5 ans après ce livre), l’on voit bien les ambiguïtés de la cause laïque reprise en mains par Marine Le Pen qui en fait son étendard !

 

Il faut renouveler notre grille de lecture en caractérisant les préjugés contemporains pour mieux les combattre. Tous les discours fondés exclusivement sur la logique et la raison n’y suffiront pas. Reconnaître l’humiliation et le sentiment d’indignité dont souffrent les habitants des quartiers populaires stigmatisés par un discours public, tel celui de Sarkozy sur « les moutons égorgés dans les appartements » en 2007 ; et depuis, sur « la viande hallal à la cantine », etc. Sans oublier l’affaire récente des caricatures de Charlie !
Mais ne pas ignorer l’impact désastreux de tous les reportages sur les victimes de discrimination raciale, sur les populations pauvres et marginalisées qui souffrent terriblement de la crise, sans appartenir à ces minorités.

Pour conclure

On revient alors (sans avoir épuisé la richesse de ce livre) sur les nouvelles pistes de l’anti-racisme : Noiriel définit le racisme contemporain comme « la politisation de la stigmatisation ». Il souligne combien pèsent les catégories administratives multipliées et imposées par l’Etat aux individus : on peut penser au racisme spécifique subi par les sans-papiers ! Il envisage la nécessaire auto-critique des intellectuels qui doivent aider à élaborer de nouveaux outils pour aider les militants à agir contre l’intolérance. Il critique la direction prise par la petite élite issue de l’immigration qui anime le militantisme post-colonial : ceux-ci privilégient ce qu’ils ont en commun avec leurs proches (l’origine ethnique) en occultant ce qui les sépare (la position sociale). Et il propose, en fin de compte, de renouer avec un Nous ouvrier, qui englobe les victimes du capitalisme en France, qu’elles soient ou non issues de l’immigration.
Lectrice et militante marxiste-léniniste, je ne peux qu’être en accord avec cette tâche de construction d’une unité de classe.

 

B.C.

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