Vous êtes dans la rubrique > Archives > En avant pour la régularisation de tous les sans papiers !
En avant pour la régularisation de tous les sans papiers !
Partisan N°233 - Avril 2009
La lutte des sans papiers connaît, depuis un mois, un développement important avec les occupations lancées à l’initiative de la direction confédérale de la CGT, l’appui d’autres syndicats (CFDT, Solidaires, FSU, UNSA) et d’associations (Droits devant, Femmes Egalité, RESF, Autremonde, LDH, Cimade). La lutte avait été relancée par les collectifs de sans papiers après l’expulsion brutale de la CSP 75 des locaux de la Bourse du travail en juin 2009. Pendant ce mois de novembre, outre le mouvement impulsé par la CGT, les syndicats et associations, les revendications des sans papiers s’expriment dans plusieurs actions. D’abord celle du DAL (manifestation du 5 novembre au siège de l’OIT, pour dénoncer leur racket par de l’Etat : cotisations sociales et impôts perçus sans contrepartie), puis celle de la CSP 75 et des CSP qui appellent à manifester le 14 novembre pour la régularisation de tous les sans papiers. Le 29 novembre, c’est l’UCIJ (Unis contre l’immigration jetable) qui sera dans la rue avec les comités. Ces actions dispersées témoignent de la mobilisation croissante des sans papiers, en même temps qu’elles posent nombre de questions politiques.
L’ « acte II » de la CGT est-il une répétition de l’ « acte I » ? Aujourd’hui 4600 travailleurs sont engagés dans les occupations. Parmi ceux-ci 2800 étaient, fin octobre, des grévistes, dans leur grande majorité, isolés (intérimaires ou non), les autres étant des sans papiers mis au chômage, des travailleurs au noir. Par rapport à celui engagé en 2008, le mouvement actuel présente plusieurs caractéristiques positives importantes. D’abord, il ne s’agit plus d’occupations visant à forcer des patrons à soutenir une démarche de régularisation en s’appuyant sur une circulaire (d’ailleurs annulée par le conseil d’Etat), mais des occupations de lieux de travail (boites d’intérim, chantiers, restaurants, sièges de chambres patronales) qui visent à faire pression sur le gouvernement pour obtenir une circulaire de régularisation de portée générale. L’adversaire est donc bien le gouvernement, non des patrons particuliers et en ce sens la lutte a une portée plus politique. Ensuite le mouvement repose dans sa dynamique et son organisation sur les sans papiers. Les militants CGT sont peu nombreux sur le terrain. Chaque jour de nouveaux sans papiers s’y agrègent. Il s’agit plus d’une lutte de « guérilla » que d’une lutte de position. Expulsés d’un lieu d’occupation, les sans papiers se reportent sur un autre. Enfin, la CGT et les syndicats ont dû élargir la base revendicative du mouvement qui ne s’en tient plus aux seuls travailleurs employés, mais concerne les intérimaires, les chômeurs, les isolés, les travailleurs au noir,… Pour autant la CGT n’a pas abandonné ses positions chauvines quant aux conditions de régularisation des sans papiers. La lettre adressée à Fillon au début du mouvement motivait toujours les régularisations par les besoins de « l’économie française ».
Alors, que poursuit la CGT ?
L’initiative, préparée dès la rentrée par des réunions animées par Raymond Chauveau, émane de la direction confédérale. Pourquoi celle-ci a-t-elle décidé d’engager ce mouvement qui mobilise fort peu ses militants, et alors que dans les affrontements de classes elle adopte systématiquement une position d’accompagnement des « réformes » proposées par la bourgeoisie ? Un premier motif peut être trouvé dans sa volonté d’effacer l’image déplorable donnée par l’expulsion musclée des sans papiers de la Bourse du travail, en pleine préparation de son 49e congrès. Le second, qui est peut être plus profond, est la manifestation de l’évolution de la stratégie de la Direction confédérale. Elle a déserté la lutte contre les licenciements. Le mot est même absent du rapport d’orientation du congrès. En période de crise, face au capital, soit elle s’écrase en acceptant sa logique, soit elle travaille au renversement du capitalisme. La seconde option n’est pas celle de la Confédération. Le lecteur de Partisan n’en sera pas surpris. Mais une organisation syndicale, ses dirigeants, ses permanents ne peuvent exister face à la bourgeoise que s’ils ont un rôle d’encadrement du mouvement social, de traduction (très souvent trahison) de ses aspirations et de négociation de ses revendications. La marge est étroite dans le domaine économique en période de crise. Le terrain social et démocratique reste plus ouvert et permet à la direction confédérale de s’imposer comme un interlocuteur « représentatif » nécessaire à la bourgeoisie dans la gestion des conflits sociaux. L’initiative prise par rapport aux sans papiers doit être vue dans ce cadre.
Le mouvement des sans papiers n’intéresse la direction de la CGT que parce qu’il lui offre cette opportunité. Elle ne pousse pas ses militants à s’y engager plus. Elle laisse les occupations s’auto-organiser à la base pour autant qu’elle garde le contrôle absolu sur la direction politique du mouvement et les négociations avec le gouvernement, qui se poursuivent depuis plusieurs semaines. Cette volonté de maîtrise politique se traduit de plusieurs façons. La première est d’exclure les délégués des sans papiers des négociations. Le représentant des travailleurs, « c’est moi », a dit Raymond Chauveau au cours d’une réunion. La deuxième est d’exclure du mouvement tous ceux qui pourraient contester l’orientation et les pratiques de sa direction actuelle. La CGT a refusé l’accès à une réunion d’information à Montreuil aux camarades du comité de sans papiers de Vitry. Enfin, maintenant, elle met en garde des délégués contre « ceux qui voudraient les manipuler ».
Les sans papiers sont-ils manipulables… par la CGT ?
La tactique de la CGT est risquée pour elle. En effet le mouvement est porté par une profonde aspiration et par la volonté de régularisation de tous les sans papiers. Mêmes si les délégués les plus politisés sont conscients que dans le rapport de force actuel (pas d’extension aux régions, appui limité des autres travailleurs, divisions entre organisations), un compromis est inévitable. Ils ne sont pourtant pas prêts à accepter une circulaire qui ne ferait que nettoyer et homogénéiser les pratiques antérieures, qui serait en retrait par rapport à certains acquis des mouvements précédents (durée de présence, intérimaires…) et qui ne prendrait pas en compte les aspirations de ceux et de celles qui sont actuellement en lutte quelle que soit leur situation.
La volonté d’autonomie grandit dans le mouvement. Mais, ce que les directions syndicales se sont vues imposer par les ouvriers en grève dans les décennies précédentes (organisation en comité de grève, participation de représentants de celui-ci aux négociations), la CGT le refuse aux sans papiers. Cela sent le paternalisme colonial à plein nez. La coordination autonome des travailleurs est une aspiration forte, même si elle est encore minoritaire. Ne doutons pas, quelle que soit l’issue de ce mouvement, qu’elle le sera encore dans la lutte qui se poursuivra pour la régularisation de tous les sans papiers. Ils ne sont pas manipulables !
CGT, CSP, associations… le poids des divisions !
L’éclatement organisationnel du mouvement s’explique par beaucoup de facteurs : orientations de la CGT, passif de l’expulsion de la Bourse du travail, « orgueil » d’organisation à la CSP 75… Mais au fond il ne fait que traduire deux choses : l’absence d’autonomie politique du mouvement et d’une autonomie traduisant une orientation de classe. Par exemple, si la CSP 75 défend son autonomie, elle ne cherche pas à s’adresser aux autres travailleurs, qu’elle ne voit qu’au travers des syndicats. Par ailleurs, avec les soutiens démocrates et réformistes, elle accorde beaucoup de poids aux médias, aux personnalités politiques et aux partis institutionnels. Si le PCF a déserté les réunions de soutien, le PS y est maintenant présent. Beau renforcement de la lutte !
Et VP là dedans ?
Voie Prolétarienne, le Blog Où-va-la-CGT animé par nos camarades, ses militants dans les syndicats sont engagés depuis longtemps aux côtés des sans-papiers pour leur régularisation. Nous avons dénoncé l’expulsion de la CSP 75 par la CGT en désignant ses racines politiques, alors que d’autres adoptaient des positions mi-figue mi-raisin ou restaient silencieux. Nos camarades participent activement à la lutte du comité de sans-papiers de Vitry (voir Partisan précédent), éconduit tant par la CSP 75 que par la CGT parce qu’il bousculait leurs conceptions politiques. Nous soutenons enfin des travailleurs impliqués dans les occupations de la CGT.
Nous sommes visés par « l’accusation de manipulation ». Nos camarades militants à la CGT sont évincés des réunions d’information. Expliquons donc notre politique. Disons d’abord que cette attaque reflète surtout la conception que les dirigeants de la CGT ont du rapport à ces travailleurs. Immigrés, ils ne peuvent être que « manipulables ». Communistes, nous pensons que si les travailleurs, immigrés ou français, doivent pouvoir un jour diriger la société, il faut que dès aujourd’hui ils aient un rôle dirigeant dans leurs luttes. Cela ne peut être spontané. Ce rôle est à construire et à conquérir par ces travailleurs. Et ils ne le peuvent que s’ils s’organisent sur des bases de classe et si cette organisation est guidée par le savoir, la connaissance. Le rôle des communistes est, dans cette lutte comme dans les autres, de permettre aux travailleurs conscients du mouvement non seulement de se coordonner, mais encore de débattre et de se former, pour exercer pleinement leur rôle dirigeant dans la défense de la régularisation de tous les sans papiers. Dans la défense des intérêts de classe de tous les exploités.
GF