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La face cachée de la crise malienne

Réunion-débat à Lyon

Le 12 janvier dernier, coup de tonnerre : le gouvernement de Hollande se lance dans une nouvelle aventure néocoloniale et guerrière de la Françafrique. Fallait-il s’aplatir devant le consensus quasi-général des politiques et même de la communauté des immigrés maliens, en faveur de l’intervention militaire française au Mali ? A Lyon, des militants de VP, du Mouvement Alternatif Africain, de Futur Rouge, et de l’OCL ont répondu non… Ensemble, nous avons organisé et tenu une réunion publique le 16 mars.

 

GARE À LA PROPAGANDE DE GUERRE DU GOUVERNEMENT ! VP INTRODUIT LE DÉBAT. Le rouleau compresseur de la propagande impérialiste a été mis en route il y a déjà plus d’un an, pour faire croire que la France nourrissait de nobles intentions à l’égard du peuple malien et des peuples africains. Foutaise ! La France se moque autant des intérêts du peuple malien que de ceux des sans-papiers maliens qu’elle maintient ici dans la surexploitation… La propagande de guerre de Hollande nous sert des analyses simplistes pour faire avaler une guerre qui durera longtemps, qui met en oeuvre des moyens militaires puissants, et qui dépasse les frontières du Mali, dans un contexte où quasiment toutes les forces se prétendant de gauche applaudissent au barrage ainsi opposé au « terrorisme djihadiste ». Il y a un véritable devoir des anti-impérialistes et des communistes de rétablir la vérité sur les intérêts en jeu.

 

LES OBJECTIFS ANNONCÉS PAR LE GOUVERNEMENT EN CACHENT D’AUTRES ! C’EST LE SENS DE L’INTERVENTION DE NOTRE CAMARADE AFRICAIN. La guerre de Hollande pour sécuriser les populations maliennes ? Non, c’est pour sécuriser les richesses minières de toute la zone sahélienne qui intéressent la France et ses entreprises. Voir Areva au Niger avec ses mines d’uranium d’Arlit et d’Imouraren. C’est rien moins que l’avenir de l’industrie nucléaire française qui est en jeu. Pas d’intérêts français au Mali ? Archifaux. Outre les intérêts économiques avec l’uranium de Faléa et le pétrole attendu du soussol du Nord Mali, il y a la base militaire de Tessalit que l’armée française a reprise, véritable enjeu stratégique pour l’influence française dans la zone. De plus, les intérêts français se défendent aujourd’hui dans un contexte de concurrence exacerbée avec la Chine notamment. La France cherche à reconquérir un terrain où elle était en train de perdre, l’ancien président ATT lui ayant plusieurs fois fait faux bond. La France veut des élections pour instaurer la démocratie au Mali ? Archifaux. La France a toujours fait ou défait les présidents et les élections en fonction de qui servirait le mieux ses intérêts, exemples de la Côte d’Ivoire, du Tchad, du Burkina, du Niger, présentés à l’appui.

 

LA MENACE DES GROUPES DITS DJIHADISTES SERT DE FAIRE-VALOIR À L’INTERVENTION. POUR NOUS, C’EST UN PRÉTEXTE. QUE REPRÉSENTENT VRAIMENT CES GROUPES ? C’EST L’INTERVENTION D’UN CAMARADEDE ‘FUTUR ROUGE’. Avec des histoires et des buts bien différents les uns des autres, avec des objectifs maffieux et de brigandage qui l’emportent sur les objectifs liés à l’intégrisme religieux mis en avant par la propagande, AQMI, Ansar Eddine, le MUJAO, le MNLA menacent certes les diverses populations du Nord Mali, mais ces groupes sont loin de représenter le bloc terroriste que la propagande nous présente. Leurs divisions les rendent plus vulnérables que ce qu’on nous dit. De plus, dans tous les cas, certaines sphères du gouvernement malien, mais aussi les alliés des Occidentaux comme le Qatar, l’Algérie, et les Occidentaux eux-mêmes entretiennent des relations complexes avec eux, tantôt complices, tantôt ennemis. C’est particulièrement vrai pour le MNLA qui, depuis toujours, entretient des relations certes mouvementées mais dans l’ensemble bonnes avec la France. Ne pas oublier qu’une partie des armes utilisées par les rebelles proviennent des stocks de l’OTAN envoyés en Lybie.

 

BEAUCOUP DE QUESTIONS ONT SURGI AU COURS DU DÉBAT. La principale : Comment les populations locales du Mali peuvent-elles remettre la main sur leurs richesses dans leur propre intérêt ? Le pouvoir au peuple, comment y arriver ? Les nationalisations, comme en Bolivie avec Morales, est-ce une solution ? Quelle démocratie pour les populations africaines ? Le modèle démocratique bourgeois des occidentaux fait faillite avec des alternances dont on voit bien qu’elles sont fausses. Alors que doivent inventer les démocrates et les révolutionnaires d’Afrique quand tout ce qui leur a été vendu jusque-là comme solutions dites démocratiques a échoué ?
L’opposition aujourd’hui au Mali, c’est qui ? Quel sort est et sera réservé aux opposants maliens de la présence militaire française ? Une partie de la réponse est venue après, avec le refus du visa Schengen à Aminata Traoré (*).
L’armée malienne, qu’est-ce que ça représente ? Quel est le rôle du Qatar ? Comment nous opposer à autant de forces ennemies et à l’impérialisme qui lamine les pays qu’il domine depuis si longtemps ?
Pour finir, l’intervention résolument optimiste de notre camarade africain pour qui les peuples africains finiront inévitablement par gagner même si les obstacles et les sacrifices continueront de jalonner l’histoire de leur libération.
Soulignons encore que tous les participants nous ont fait part de l’intérêt qu’ils ont trouvé au partage des informations que nous leur avons apportées.
A nous de faire revivre le souffle de la solidarité internationaliste qui unit les intérêts de tous les peuples, les intérêts des travailleurs de France à ceux des peuples malien et africains !

Troupes françaises hors du Mali et d’Afrique !
Droit du peuple malien à disposer de ses ressources et de lui-même sans ingérence étrangère !

Correspondance VP et Mouvement Alternatif Africain (Lyon)

 

(*)« Les Maliennes et les Maliens opposés à l’intervention française doivent pouvoir venir en France s’exprimer ! ».

 

Mali : le Front de Gauche n’est pas contre.

 

L’Assemblée nationale vient de « débattre » ce 22 avril de la continuation de l’intervention française au Mali lancée en janvier sans que le gouvernement ait alors eu besoin de son avis. Tous d’accord ! Zéro vote contre. Le Front de Gauche s’est contenté de —s’abstenir. Dans le pays, la vague médiatique de janvier passée, la question est reléguée au dernier rang des préoccupations alors que la France joue pourtant un rôle de premier plan dans la mise en place d’une nouvelle force de paix de l’ONU, en plus de prévoir son propre maintien avec une force militaire indépendante. A nous de travailler pour récréer la force de frappe anti-impérialiste indispensable pour faire avancer les intérêts des peuples du monde et des travailleurs de France !

Lire la déclaration d’Aminata Traore ci-dessous

FEMMES DU MALI
Indignons-nous et agissons ! Tout de suite

 

Je rends hommage à Stéphane Hessel qui reconnait à tout être humain le droit à l’indignation face à l’ordre injuste et violent de notre monde.
Je suis une femme malienne indignée par l’humiliation infligée à son pays au nom de la démocratie libérale et la croissance sans le développement, l’emploi et le revenu.
De mon point de vue, il n’y a pas une crise malienne en tant que telle, exigeant la tutelle politique et militaire de la France qui s’appuie sur la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union Africaine (UA) et l’Organisation des Nations Unies (ONU). La situation du Mali est l’une des expressions tragiques de l’échec du modèle néolibéral.
Logiquement, lorsqu’un élève exemplaire s’écroule de manière si spectaculaire, ses maitres à penser doivent se poser des questions. Mais ces derniers ne s’interrogent pas sur leur modèle et ne se laissent pas questionner sur les conséquences des politiques économiques qu’ils imposent. Les femmes africaines sont formatées pour décrypter les inégalités liées aux rapports entre hommes et femmes à l’intérieur de leurs sociétés et jamais au-delà.
Je rends également hommage à Hugo Chavez, un autre homme de courage et de dignité, que son peuple, avec qui, il a su faire corps, pleure aujourd’hui. Le Président Hugo Chavez ne s’est pas enrichi, mais a accordé la priorité à la satisfaction des besoins sociaux vitaux des Vénézuéliens (éducation, santé, logement, retraite…) en y consacrant l’argent du pétrole.
D’élections en élections, nous cherchons au Mali, mais en vain, des dirigeants qui se soucient de leurs concitoyennes au lieu de chercher à plaire aux investisseurs étrangers et à vendre notre or et nos terres agricoles à notre insu.
Nous sommes confrontés, en Afrique, à la crise des valeurs que Stéphane Hessel et Hugo Chavez, que j’ai eu le privilège de connaitre de près, incarnent à mes yeux : le respect de la dignité humaine et la volonté politique d’écouter et de répondre aux questions légitimes que les peuples se posent.
Le pétrole, qui a permis à Hugo Chavez de disposer des moyens de sa politique sociale, est, précisément, la richesse énergétique dont la convoitise nous a value l’intervention de l’OTAN en Libye, dont les arsenaux ont fourni aux séparatistes et aux islamistes les armes de la conquête des régions de Kidal, Gao et Tombouctou.
Nous sommes, à présent, confrontés au monde global, dans sa complexité, ses mensonges, ses crises et ses violences.
Les puissances occidentales, qui ont transformé la résolution 1973 du Conseil de Sécurité visant à protéger les populations de Benghazi en mandat de renverser le régime de Mouammar Kadhafi et de le tuer, ont créé les conditions de la victoire militaire des séparatistes et des islamistes sur l’armée malienne, l’occupation du nord et par conséquent les violences faites aux femmes et la destruction des mausolées. Mais les Maliennes ne le savent pas. La coopération bilatérale, multilatérale et internationale s’est empressée de monter des programmes de dénonciation des violences faites aux femmes en évitant de dire qu’elles sont des victimes collatérales de la guerre en Libye.
Le coup d’Etat du 22 mars 2012, qui résulte, d’une part, de fragilités internes, souvent induites par les programmes d’ajustement structurel et, d’autre part, de la déstabilisation de la Libye est érigé en cause principale de la percée des islamistes et de l’effondrement de l’Etat.
La grille de lecture dont la « communauté internationale » s’est dotée est à l’origine de sanctions économiques injustes qui aggravent la situation des couches sociales vulnérables, en l’occurrence, les femmes et les enfants. La plupart des décisions sont arrachées à des pouvoirs publics étranglés par les sanctions.
Présentée comme inéluctable, la guerre contre le terrorisme a été déclenchée le 11 janvier 2013 avec l’opération Serval. Un accord quasi unanime, mais tragique pour le peuple malien entoure cette intervention. Je ne crois pas, pour ma part, que, plongée dans une crise économique, financière et budgétaire particulièrement aigüe, la France puisse, au nom de l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale, voler au secours du Mali. Les masques sont, du reste, vite tombés avec l’opposition du MNLA à la participation de l’armée malienne à la libération de la région de Kidal que la France cautionne.
Le Mali vient, en réalité, d’être embarqué dans l’impréparation et le manque total de considération pour sa classe politique ou ce qui en reste et de son peuple dans la « guerre contre le terrorisme ». La France veut en découdre avec AQMI sur le sol malien, en prenant appui sur les Etats et les armées africains. Elle y est presque parvenue. Sauf que mis à part le Tchad et quelques autres pays, l’Afrique n’en a pas les moyens.
« La guerre légitime, légale, rapide et propre » que le Président par intérim, Dioncounda Traoré, prétendait mener à bien, avec l’appui de la « communauté internationale » est déjà dans l’impasse. La France qui le sait, envisage de se retirer et impose unilatéralement la transformation de la Mission Internationale de Soutien au Mali (MISMA) en force de maintien de la paix. Les djihadistes font preuve, à Gao, Kidal et dans l’Adrar des Ifoghas, d’une résistance farouche qui ne surprend que ceux qui ne veulent pas méditer les enseignements de l’Irak, de l’Afghanistan et de la Somalie.
Jean Christophe Rufin rappelle à juste titre que, la guerre contre le terrorisme est « une croisade mondiale qui n’a pas de fin, qui justifie tous les engrenages et qui, compte tenu de l’ampleur du problème, ne peut aboutir à une victoire ». Et les femmes maliennes sont dans l’engrenage avec le déploiement possible de quelques dix mille casques bleus et l’arrêt de la plupart des activités économiques et des transformations des efforts de développement en effort de guerre.
Ce 8 mars 2013 est pour moi l’occasion d’insister sur les risques que les choix et les décisions des dominants nous font courir. Je rends hommage à toutes les femmes, mères, épouses, tantes, sœurs et autres parentes de soldats maliens, français, tchadiens, nigériens, nigérians, sénégalais…ainsi que les parents des otages qui ont les yeux tournés vers le nord de mon pays et qui craignent pour la vie d’un être cher.
La peur des mères et épouses des soldats maliens est à la dimension de l’état de dénuement et d’impréparation de notre armée. Par ailleurs, les soldats ne se battent pas que contre les fanatiques. Les milliers de chômeurs, d’affamés et de désespérés qui deviennent des rebelles, des convoyeurs de drogue et nouvelles recrues du djihadisme sont eux aussi nos enfants
Pendant combien de temps, les dominants vont-ils continuer à ouvrir des fronts et des plaies en jurant, la main sur le cœur, par la démocratie, les droits de l’Homme, la responsabilité de protéger les civils et de défendre les femmes contre les violences ?
La guerre est une violence extrême contre ces femmes. Mettons un terme à la militarisation du Mali en engageant la bataille des idées pour des alternatives aux fondamentalismes religieux, économique et politique.

 

Aminata Traoré

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