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L’accaparement mondial des terres agricoles

Partisan N°238 - Mai 2010

Au début, durant les premiers mois de 2008, les investisseurs justifiaient l’acquisition de ces terres au nom de la « sécurité alimentaire », ou du moins de l’idée qu’ils se font de la sécurité alimentaire. Des représentants des États du Golfe ont alors commencé à faire le tour du monde à la recherche de vastes étendues de terre cultivable à acquérir pour y faire pousser du riz, dans le but de nourrir leurs populations en plein essor, sans avoir recours au commerce international. Les Coréens, les Libyens, les Égyptiens et d’autres nations ont fait de même.
Mais vers le mois de juillet 2008, la crise financière s’est aggravée et nous avons remarqué qu’à ces « accapareurs de terres motivés par la sécurité alimentaire » venait s’ajouter un nouveau groupe d’investisseurs qui tentaient d’acquérir des terres arables dans le Sud : fonds de couverture, groupes de capital-risque, banques d’investissement et autres organismes du même genre. Eux ne s’intéressaient pas du tout à la sécurité alimentaire : Ils avaient compris qu’on peut faire de l’argent en investissant dans l’agriculture, parce que la population mondiale continuant à s’accroître, les prix alimentaires risquent de rester élevés sur le long terme ; de plus, les terres agricoles sont très bon marché. En acceptant de mettre un peu de technologie et quelques compétences en gestion dans ces acquisitions de terres agricoles, ils peuvent diversifier leur portefeuille, se prémunir de l’inflation et garantir leurs bénéfices, grâce aux récoltes et à la terre elle-même.

A ce jour, plus de 40 millions d’hectares, dont 20 millions rien qu’en Afrique, ont changé de mains ou sont l’objet de négociations. D’après nos calculs, plus de 100 milliards de dollars US ont été déboursés pour en arriver là. Même si de temps à autres les gouvernements n’hésitent pas à faciliter les transactions, ce sont principalement des entreprises privées qui signent et réalisent ces accords, avec la complicité de fonctionnaires des pays hôtes.
Rien dans cette course aux terres agricoles dans le Sud ne sert les intérêts des communautés locales, que ce soit au Pakistan, au Cambodge, aux Philippines, à Madagascar, au Soudan, en Éthiopie ou au Mali. Parmi ces pays, beaucoup ne jouissent pas de la sécurité alimentaire. Or l’accaparement des terres vise à faire disparaître l’agriculture paysanne, et non à l’améliorer. Ne serait-ce que pour cette raison, les mouvements sociaux ont rapidement compris que la récente razzia sur les terres ne pouvait qu’être source de graves conflits à propos des terres, mais aussi des ressources en eau.
Après cinquante ans de programmes de modernisation de l’agriculture, comme la révolution verte et les biotechnologies, après trente ans de programmes d’ajustement structurel, la planète n’a jamais encore compté autant d’affamés. On le sait, tous ces programmes qui devaient soi-disant nourrir le monde ont eu l’effet inverse. Malheureusement, la Banque mondiale et autres organismes similaires ont maintenant décidé que la meilleure option était d’aller de l’avant, de suivre l’argent et d’installer partout de grandes exploitations agro-alimentaires, en particulier là où elles se sont pas encore établies, afin de résoudre le problème. C’est bien là l’essence même du nouveau paradigme de l’accaparement des terres : il s’agit d’étendre et d’installer pour de bon le modèle occidental des grandes chaînes de valeur de marchandises. En d’autres termes, la tendance est à la production alimentaire contrôlée par les multinationales et tournée vers l’exportation.

L’accaparement actuel des terres agricoles dans le monde qui permet à des investisseurs étrangers de prendre le contrôle de la terre et de l’eau dans les pays en développement, n’a rien à voir avec un renforcement de l’agriculture familiale et des marchés locaux, ce qui est à nos yeux la seule manière de mettre en place des systèmes alimentaires qui soient effectivement en mesure de nourrir les populations.

C’est une agriculture qui, par la spéculation, nourrit les bénéfices de quelques-uns et accroît la pauvreté des autres.

Déclaration de GRAIN, 16 novembre 2009, extraits
http://www.grain.org/landgrab/

DOSSIER : Prolétaires des villes et des campagnes : unissons-nous ! (Partisan 238)

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