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L’athéisme du Curé Meslier

Partisan N°223 - Décembre 2008

On ne peut pas parler des croyances et de la religion sans évoquer le legs visionnaire et incontournable du Curé Meslier. En effet, cet illustre curé a légué à ses paroissiens trois exemplaires de « Mémoire des pensées et sentiments de Jean Meslier », souvent intitulé « Testament ». Ce mémoire est fourni de réflexions philosophiques comme autant de preuves de la vanité et de la fausseté des religions. Il y expose sans ambiguïté son athéisme et sa vision révolutionnaire de la société. Sous la forme d’une confession, il présente comme péché d’avoir passé sa vie à prêcher la parole de Dieu. Ces écrits posent les véritables bases d’une réflexion pour le siècle des Lumières à venir : la critique de l’Ancien Régime, et même les préceptes théoriques de la naissance de l’athéisme, du matérialisme, voire d’un pré-communisme.

Le Curé Meslier (1664-1729) choisit de devenir, un siècle avant la Révolution française, le curé de la paroisse d’Etrépigny et Balaives (villages des Ardennes) et cela jusqu’à sa mort. Une vie de curé sans histoire, sauf quelques forfaitures commises à l’encontre des autorités locales. En effet, des récits attestent de ses plaintes durant ses messes contre Antoine de Touilly, seigneur local, pour les persécutions exercées sur les paysans. Ces diatribes lui valurent les réprimandes de l’évêque de Reims, qu’il contesta également. Hormis ces événements, rien jusqu’à présent n’atteste d’autres faits d’armes contre les pouvoirs locaux comparables à la virulence de son testament. « Mes chers amis, puisqu’il ne m’aurait pas été permis et qu’il aurait été d’une trop dangereuse et trop fâcheuse conséquence de dire ouvertement, pendant ma vie, ce que je pensais de la conduite et du gouvernement des hommes, de leurs religions et de leurs moeurs, j’ai résolu de vous le dire après ma mort. »


Il remet en cause l’Ancien et le Nouveau Testament
et parle d’absurdité. « Il faut effectivement l’avoir perdue (la raison), ou avoir renoncé entièrement à ses lumières, pour vouloir soutenir des propositions si absurdes que celles-là. » Il fustige l’utilisation de la religion par la hiérarchie catholique et préconise sa suppression parce qu’elle est au service des puissants et qu’elle contribue à l’endormissement des consciences. « Catholiques et monarchie s’entendent comme deux coupeurs de bourse ». Il décrit la manière dont les abbayes spolient le travail des paysans, il critique l’organisation de l’Ancien Régime, et parle de l’abolition des excès en matière d’inégalité, par exemple à travers une meilleure répartition des impôts.

De nombreux passages des Mémoires témoignent de la vision révolutionnaire de Meslier. Il exhorte à l’éveil des consciences, condition préalable d’une révolte généralisée. « Votre salut est entre vos mains, votre délivrance ne dépendrait que de vous, si vous saviez bien vous entendre tous ; vous avez tous les moyens et toutes les forces nécessaires pour vous mettre en liberté, et pour rendre esclaves vos tyrans mêmes… » Ainsi, il entend favoriser l’union de tous les opprimés au nom de l’intérêt commun pour organiser la répartition radicale des biens et des richesses. « Unissez-vous donc, peuples, si vous êtes sages, unissez-vous tous si vous avez du coeur, pour vous délivrer de vos misères communes. » Sa vision de la société est novatrice pour l’époque, il prône de travailler pour l’utilité publique et le bien commun, et se révèle internationaliste avant l’heure. « Je parlerai volontiers à tous les peuples de la terre. »

Des trois copies qu’il légua à ses paroissiens, il en circula quelques années plus tard 150 copies sous le manteau dans toute l’Europe. Mais la version complète des Mémoires n’a été éditée officiellement en France qu’en 1970 aux Editions Anthropos, soit 250 ans de clandestinité.


Athée sous l’Ancien Régime,
le testament de cet illustre personnage ardennais n’a été repris que timidement et même de façon malhonnête par Voltaire, à des fins déistes. Par ailleurs, ses Mémoires, publiées par d’Holbach, « Le bon sens du curé Jean Meslier », ont inspiré les Lumières et la Révolution française. Le curé Meslier reste un des avant-gardistes de la pensée matérialiste (communiste et anarchiste). Il est à noter que Marx a rompu avec la tradition matérialiste insistant sur la notion de conscience. Il a montré l’importance de lutter prioritairement contre la misère pour ôter tout attrait à la religion. Il a pourtant toujours revendiqué l’héritage du matérialisme français, « source constitutive du marxisme » selon Lénine.

On peut citer, pour conclure de la clairvoyance des pensées de Meslier, cette célèbre phrase : « Je voudrais, et ce sera le dernier et le plus ardent de mes souhaits, je voudrais que le dernier des rois fût étranglé avec les boyaux du dernier prêtre. »

(1) Lire Jean Meslier, curé et athée révolutionnaire, par Serge Deruette, Ed. Aden, 2008 ;
(2) L’Etoile Rouge, journal des JCML de Lyon (jcml69.over-blog.com).

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