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Quelques leçons des grèves dans le nettoyage

Après 45 jours de grève, les ouvrières et ouvriers du nettoyage des gares de Paris-Nord de la société Onet/H. Reinier ont gagné. Quelle est la signification de cette victoire ? Au lendemain de l’échec du mouvement contre les ordonnances Macron et la Loi Travail, cette grève a redonné du baume au cœur pour beaucoup, qui se sont reconnu dans leur lutte contre la précarité et la dégradation des conditions de travail et de vie. La grève d’ONET fut une lutte de travailleurs immigrés, de femmes, de celles et ceux qui subissent non seulement l’exploitation capitaliste la plus dure, mais également les oppressions racistes et patriarcales cautionnées et entretenues par la société bourgeoise. C’est pour cette raison qu’un important mouvement de soutien s’est mis en place, permettant de récolter plusieurs dizaines de milliers d’euros pour les grévistes. Nul doute que le succès de cette collecte a eu un effet décisif.
L’OCML-VP a relayé cette collecte et y a contribué, de la même manière que nous avions, il y a quelques années, participer à la caisse de grève des ouvriers et ouvrières de l’usine PSA Aulnay. L’OCML-VP est une organisation modeste : mais à la mesure de nos moyens, il était extrêmement important pour nous d’être partie prenante de ce mouvement de solidarité ouvrière. Une grève sur des revendications de classe, une grève qui cherche à tisser des liens de solidarité avec les exploités et opprimés comme ce fut le cas avec le Comité Vérité et Justice pour Adama ou avec le message que nous avons reçu depuis Gaza en solidarité...

Dans nos syndicats aussi il faut lutter contre la bourgeoisie

La victoire des ouvrières et ouvriers d’ONET est l’aboutissement d’un long travail d’organisation syndicale mené dans les entreprises sous-traitantes de la SNCF depuis des années principalement par SUD Rail. Certes, parmi ceux d’ONET, il y avait aussi des syndiqués FO et CFDT, cette dernière comptant plusieurs militantes et militants de premier plan dans la grève. Mais il faut le dire : tous les syndicats de cheminots n’ont pas le même point de vue vis-à-vis de l’organisation des travailleuses et travailleurs de la sous-traitance, et SUD Rail est le seul à revendiquer la fin de la sous-traitance et la réintégration pleine de ces travailleuses et travailleurs dans la SNCF, et surtout à mener un travail volontariste d’organisation syndicale parmi eux.

La CGT Cheminots a brillé par son absence. Ce syndicat, au fil des décennies, s’est enfoncé dans la cogestion, et est aujourd’hui, au niveau fédéral, synonyme de favoritisme et de compromission avec la direction, même si des syndicats locaux sont encore des fers de lance de la résistance ouvrière. Sur la sous-traitance, son point de vue est clair : c’est la défense des attitudes corporatistes qui nous divisent, et elle considère que l’organisation des travailleuses et travailleurs de la sous-traitance n’est pas son affaire. Elle le laisse aux syndicats du nettoyage pourris affiliés à la Fédération des Ports et Docks, qui a gardé la main sur ce secteur. Ces syndicats pourris sont main dans la main avec le patronat pour réprimer les revendications ouvrières, et on ne compte plus les cas avérés de corruption.

Dans les hôtels parisiens, c’est en réaction à ces pratiques que s’est constitué la CGT-HPE sur une ligne combative. La lutte contre la sous-traitance, la lutte contre la précarité, c’est aussi une lutte dans les rangs syndicaux entre des conceptions antagoniques. Entre le syndicalisme de combat, qui constate lucidement que les intérêts ouvriers exigent l’abolition de la sous-traitance, l’embauche de tous en CDI, des conditions de travail décentes et un salaire correct pour vivre pour tous. Et le syndicalisme d’accompagnement des politiques patronales, qui accepte la sous-traitance accrue, la précarisation d’une partie de la classe ouvrière, et qui souhaite absolument garder son statut d’interlocuteur dans le dialogue social avec tous les avantages que celui lui apporte. Ce syndicalisme d’accompagnement, c’est l’agent de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier.

Que faire face à l’offensive bourgeoise ?

On ne peut pas rattraper en quelques semaines des années d’abandon et d’insuffisance du travail d’organisation et de conscientisation des travailleuses et travailleurs en quelques semaines. Certains ont eu beau appeler à la grève générale, à fournir les rangs des manifestations, organiser une Marche sur l’Elysée le 18 novembre pour tenter de « faire monter la mayonnaise » du mouvement de masse contre les ordonnances ; ça ne pouvait pas être suffisant.
L’offensive bourgeoise est aujourd’hui trop déterminée pour que ce qui a marché dans le passé, face au CPE par exemple (où d’ailleurs le gouvernement n’avait abandonné qu’une partie de la loi de flexibilisation), puisse continuer à être efficace. Macron a regroupé derrière lui des hommes et des femmes issus pour beaucoup des cadres dirigeants des grandes entreprises, dévoués à la restructuration capitaliste. Ils sont venus de la droite comme de la gauche, avec la ferme volonté de répondre aux besoins de l’impérialisme français en crise. Ainsi la ministre du travail a derrière elle une carrière de dirigeante de deux grands groupes capitalistes français, Danone et Dassault. Macron a formé un bloc politique solide, libéré des vieilles habitudes politiciennes qui consistent à se faire élire et ré-élire en faisant des concessions aux intérêts locaux et sectoriels. Il a fait élire des députés novices en politique et totalement dévoués à son programme et aux attentes du Capital. Ce gouvernement est pour l’heure en position de force. Même si la récente victoire à Notre-Dame des Landes ouvre une faille.

Il ne suffit pas de grosses manifestations ou de quelques jours de grève réussi pour qu’il fasse en partie machine arrière, comme sous Chirac ou Sarkozy. Ces deux derniers étaient des opportunistes politiques ; Macron, lui, semble de toute évidence penser qu’il est investi d’une mission, servir le capitalisme, et il est déterminé à la mener sans en craindre le coût politique.
Face cette nouvelle situation, l’issue, pour le prolétariat, c’est d’abord celle du travail d’organisation et de politisation dans des organisations combatives, en rupture avec la collaboration de classe, comme le font les camarades du nettoyage. Cette tâche de construction prend des années. Le gouvernement bourgeois est un gouvernement de combat. Le maître mot doit être celui de l’organisation, de la construction d’organisations populaires et ouvrières solides et avec des objectifs politiques clairs, comme cela se fait, à une échelle locale dans le nettoyage, mais aussi ailleurs. C’est à cela que nous travaillons, avec prudence, patience et modestie. Et nous appelons plus largement tous les militants révolutionnaires à y prendre part.

Celles et ceux du nettoyage nous montrent la voie

C’est ensuite ne pas craindre de revendiquer ce dont nous avons besoins, ce que nous exigeons simplement pour vivre et faire vivre nos familles, sans avoir de remords pour la bonne marche du Capitalisme. Il n’y a pas de revendication inaccessible dans l’absolu ; tout dépend du rapport de force, du degré d’organisation et de détermination. Par exemple, les ouvrières et ouvriers d’ONET ont obtenu l’intégration à la convention collective de la manutention ferroviaire, ce dont beaucoup n’osaient rêver. Ceux et celles de la CGT HPE et de la CNT-SO (un autre syndicat combatif implantée parmi les agents de nettoyage des hôtels parisiens) exigent l’embauche de plein droit des sous-traitants dans les entreprises donneuses d’ordre. Et bien lorsque les conditions sont réunies, ces revendications deviennent parfaitement réalistes. Aujourd’hui, ce sont les ouvrières et ouvriers du nettoyage de l’hôtel Holiday Inn de la Porte de Clichy, dans les Hauts-de-Seine, qui sont en grève, non seulement contre l’entreprise sous-traitante qui les emploie, Hemera, mais surtout contre le groupe hôtelier qui fait mine de ne pas être concerné. L’OCML-VP est investi dans le soutien à la lutte de ces camarades, et appelle à les rejoindre.

La précarité et la flexibilité sont les raisons d’être de la sous-traitance : diviser les ouvrières et ouvriers selon des statuts différents, fragmenter les collectifs de travail, pour des conditions de travail et des salaires au rabais. Les grévistes des gares et des hôtels ont très justement visés d’abord les donneurs d’ordre, la SNCF et les chaînes hôtelières, car ce sont les grands groupes capitalistes qui organisent cette sous-traitance en externalisant certaines tâches. Le véritable patron des ouvrières et ouvriers d’ONET, c’est bien la SNCF, le véritable patron de celles et ceux d’Hemera, c’est Holiday Inn.

Conscience, organisation, action !

Les gouvernements successifs au service des capitalistes ont à la fois organisé la baisse des salaires, la hausse du temps de travail, et la flexibilisation accrue des conditions de travail du prolétariat dans son ensemble, et par ailleurs organisé la division de ce prolétariat entre ceux et celles qui arrivent à conserver un certain nombre de garanties, et ceux et celles qui sont plongés dans la précarité de manière dramatique. Ainsi, c’est la rétribution du Prolétariat pour son travail dans son ensemble qui est diminuée. Les précaires de l’extrême, ce sont les ouvriers sans-papiers, indispensables à certains secteurs comme la construction, la restauration, le nettoyage. Cette division du prolétariat est aiguisée par le fait que les travailleurs immigrés (ou d’origine immigrée) et les femmes sont surreprésentés parmi ces couches précarisées, comme ils étaient surreprésentés parmi les ouvriers spécialisés (OS) du temps de la grande industrie florissante. Ainsi, la sur-exploitation va de paire bien souvent avec l’oppression raciste et patriarcale. Dans le nettoyage, les ouvrières subissent à la fois les bas salaires, la pénibilité du travail, le racisme et le harcèlement sexuel des chefs. Les lois qui visent les travailleurs étrangers sont des loi racistes mais également anti-ouvrières dans leurs objectifs.
La bourgeoisie utilise le racisme et la concurrence entre les travailleurs d’origine différentes notamment pour empêcher la construction d’une conscience de classe internationaliste ; et donc renforcer et asseoir sa domination.

Les intérêts des prolétaires et des capitalistes, des patrons, sont antagoniques. Et même si parfois nous bénéficions d’un répit, nos patrons finissent toujours par être contraint d’attaquer nos salaires, nos conditions de travail, simplement pour maintenir leur taux de profit et survivre dans la guerre de plus en plus dure qu’ils se mènent entre eux. Ils n’ont pas le choix, l’exploitation doit être de plus en plus dure ; il ne faut pas se faire d’illusions sur la possibilité de nous entendre avec eux. De plus en plus, il faudra littéralement leur arracher le minimum vital. C’est pour ça que se pose la nécessité d’une forme d’organisation supérieure à la simple construction de syndicats pour nous défendre contre les attaques de la bourgeoisie.

Lorsque l’OCML-VP appelle à construire un nouveau parti communiste, ça n’est pas une obsessions dogmatique déconnectée de la réalité. Au contraire : c’est l’expérience des limites de la résistance quotidienne qui nous enseigne qu’on ne peut se contenter de parer les coups de la bourgeoisie, parce que cela deviendra de plus en plus difficile.
Un Parti communiste, c’est le quartier général du prolétariat, qui non seulement unifie politiquement ses luttes, mais leur permet d’élaborer un projet politique de rupture avec le Capitalisme et la bourgeoisie.

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