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Figures africaines du Communisme

Partisan Magazine N°12 - Novembre 2018

Il ne nous était pas possible de faire un dossier sur l’Afrique sans parler des Communistes africains. Nous avons choisi de faire le portrait succinct de 4 d’entre eux, en privilégiant ceux qui eurent à s’affronter à l’impérialisme français, à part pour Cabral, lusophone mais figure incontournable pour nous. Les autres, vous ne les connaissez sûrement pas, mais il est important de faire vivre la mémoire de ces héros du mouvement communiste. Parmi eux, malheureusement, aucune femme, faute d’en avoir trouvée dont la vie et l’action fut suffisamment documentée...

 

Lamine Senghor au congrès de la Ligue contre l’impérialisme et l’oppression coloniale, Bruxelles, février 1927.

 

Lamine Senghor est peut-être le premier dirigeant communiste issu des colonies françaises d’Afrique. Né au Sénégal, tirailleurs pendant 14-18, il reste en France après la guerre. Son parcours est étonnant : d’abord employé comme indicateur par la Police dans les milieux anti-colonialistes, il finit par passer dans l’autre camp et rejoint en 1924 l’Union inter-coloniale (UIC), organisation créée par le Parti communiste, connue surtout à travers son journal "Le Paria" dans lequel écrira Ho-Chi-Minh. Il est membre du "Comité d’action contre la guerre au Maroc" créé en 1925 par le PC pour s’opposer à la Guerre du Rif. Senghor devient un dirigeant de l’UIC, et est un orateur hors-pair. En 1926, au moment où l’Union se délite, il cofonde le Comité de défense de la race nègre, qu’il s’attelle à développer parmi le prolétariat africain de France, puis une Ligue de défense de la race nègre en mars 1927. C’est en son nom que Lamine participe en 1927 au congrès de la Ligue contre l’impérialisme à Bruxelles, où son discours est applaudie par l’indien Nehru, traduit en anglais puis reproduit dans la presse communiste afro-américaine : « Ceux qui souffrent de l’oppression coloniale là-bas doivent se donner la main, se serrer les coudes avec ceux qui souffrent des méfaits de l’impérialisme métropolitain, porter les mêmes armes et détruire le mal universel qui n’est que l’impérialisme mondial. Camarades, il faut le détruire et le remplacer par l’union des peuples libres. Plus d’esclaves ! » Gazé à Verdun, il meurt d’une pneumonie en 1927 dans le Var, sans avoir jamais revu le Sénégal.

 

Osendé Afana

 

Osendé Afana est moins connu que Ruben Um Nyobé, dirigeant historique de l’UPC (Union des populations du Cameroun), organisation qui mena une lutte courageuse contre le colonialisme français et le régime camerounais fantoche que les ex-colonisateurs mettront sur pied. Après l’assassinat de Nyobé dans le maquis en 1958, Afana interrompt ses études universitaires en France et rejoint la direction de l’UPC. En 1963, il rentre clandestinement au Cameroun et rejoint la guérilla. Il est abattu lâchement par une patrouille de l’armée camerounaise en mars 1966, puis décapité, pour pouvoir présenter au "président" camerounais la preuve de sa mort.
Afana fut, comme Cabral, un révolutionnaire complet, à la fois intellectuel et dans le feu de la lutte auprès des masses. Il est semble-t-il influencé par les idées des communistes chinois dès sa participation, en 1956-1957, à la Conférence de solidarité avec les peuples d’Asie et d’Afrique au Caire, la fameuse "Tricontinentale". Il appartient à l’aile gauche de l’UPC, fortement influencée par le Communisme, alors que Nyobé restera jusqu’au bout un démocrate avec des illusions vis-à-vis des puissances impérialistes et de l’ONU. Dans son analyse de la réalité africaine, il met en avant le rôle dirigeant du prolétariat dans la lutte anti-impérialiste. Économiste de formation, il écrit dans sa thèse universitaire [1], publiée à titre posthume, que l’émancipation de l’Afrique de l’impérialisme nécessite certes des conditions économiques (comme l’autosuffisance, l’industrialisation), mais surtout la condition politique du pouvoir ouvrier et paysan. Osendé Afana place consciemment "la politique au poste de commande", et cite abondamment Mao Zedong.

 

Amilcar Cabral

 

Amilcar Cabral, né en 1924, est un des plus connus des communistes africains. C’est au court de ses études à Lisbonne au début des années 1950 qu’il devient marxiste. Il fonde en 1956 le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert (PAIGC), deux pays alors colonies portugaises. Agronome, Cabral mène une enquête socio-politique approfondie dans la brousse guinéenne, d’où il conclut que c’est parmi les masses paysannes qu’il faut construire le mouvement de libération nationale. En 1963, le PAIGC déclenche une véritable guerre populaire, et en quelques années les révolutionnaires contrôlent la majeure partie du territoire guinéen. Il ne s’agit pas que de faire la guerre. Dans les zones libérés, un vrai pouvoir populaire se met en place : "La dynamique de la lutte exige la pratique de la démocratie, de la critique et de l’autocritique, la participation croissante de la population à la gestion de leur vie, l’alphabétisation, la création d’écoles et de services sanitaires, la formation de cadres issues des milieux paysans et ouvriers". Cabral a beaucoup enquêté et écrit [2]. Il affirme que les sociétés africaines sont traversées par la lutte de classe, et que les révolutionnaires doivent affronter franchement les couches sociales ennemies de la révolution. Il va ainsi à l’encontre des adeptes du "socialisme africain", qu’ils soient tiers-mondistes comme Sékou Touré (Guinée-Conakry), Nkrumah (Ghana), ou franchement réactionnaires comme Senghor (Sénégal), qui justifient l’arrivée au pouvoir de la petite-bourgeoisie en niant les antagonismes de leurs sociétés. Cabral, lui, parle de "suicide politique nécessaire" de la petite-bourgeoisie, qui doit se mettre au service des masses. Cabral, cependant, n’est pas maoïste, et il gardera toujours une position qui ménagera à la fois la Chine et l’URSS. Dans son point de vue sur la transition socialiste, il est fortement influencé par la "théorie des forces productives" [3]. Le 20 janvier 1973, à peine six mois avant que le peuple de Guinée et du Cap-vert n’arrive à gagner enfin son indépendance, il est assassiné à Conakry par des membres de son parti sur commande des services secrets portugais.

 

Ange Diawara

 

Ange Diawara (né en 1941) et ses camarades du M-22 (Mouvement du 22 février) furent un exemple d’autocritique exemplaire. Il s’implique dans les rangs de la gauche congolaise (Congo-Brazzaville, et non pas Congo-Kinshasa) aux premières années de l’indépendance et est un des dirigeant de l’organisation de jeunesse du parti unique du président Massamba-Débat, puis se range du côté de celui qui le renverse en 1969, Marien Ngouabi. Il est promu officier dans l’armée et au Comité central du nouveau parti unique, le PCT (Parti congolais du Travail) qui se prétend marxiste-léniniste. Mais Ange et un certain nombre de ses camarades, qui sont dans le fond des révolutionnaires sincères, voient bien que le nouveau régime fait le lit de tout un tas d’opportunistes et de corrompus qui n’hésitent pas à réprimer les grèves des ouvriers du pétrole pour le compte de Total. Ils mènent une lutte de ligne dans le parti et un travail de fraction dans l’armée, jusqu’à tenter, le 22 février 1972, un putsch qui échoue. Le groupe tente de lancer un foyer de guérilla à la campagne, appuyé par un large réseau clandestin de soutien à Brazzaville. Ils en profitent pour faire le bilan de leur expérience politique et rédigent une brochure intitulée "Autocritique du M-22" [4], dans laquelle ils reconnaissent s’être gravement illusionnés sur le compte de ce qu’ils appellent l’"oligarchie bureaucratique militaro-tribale" au pouvoir. À partir des années 1970, un certain nombre de régimes bourgeois africains se proclameront marxistes-léninistes pour bénéficier de la protection du social-impérialisme soviétique et tromper les masses. Diawara et ses camarades les démasquent à travers l’étude du cas congolais. Ils concluent qu’ils auraient dû, bien plus tôt, aller dans les masses et s’appuyer sur elles pour mener une vraie révolution plutôt que de se laisser entraîner dans le jeu des appareils politiques petit-bourgeois et bourgeois. En avril 1973, le maquis est décimé, Ange et ses plus proches compagnons assassinés, alors qu’à Brazzaville la répression se déchaîne. Le M-22 est anéanti.

[1Economie de l’Ouest-Africain, Maspero, 1977

[2Unité et lutte, Maspero, 1975

[3Pour la définition de cette théorie voir La théorie des forces productives à l’origine du révisionnisme moderne à l’adresse http://ocml-vp.org/article136.html?redirect=1

[4L’Harmattan, 2011.

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