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Palestine : après la victoire du Hamas
Partisan N°201 - Mars 2006
Le 25 janvier, les élections, organisées dans les territoires occupés depuis 1967, ont donné une écrasante victoire au Hamas (Mouvement de la Résistance Islamique), parti de la mouvance des Frères Musulmans. Il a obtenu 74 siéges sur les 132 du parlement palestinien. Quarante-cinq sièges sont allés au Fatah, parti qui dominait jusqu’alors les institutions — la police et la bureaucratie — mises en place après les accords d’Oslo. La gauche a recueilli 5 % des voix. Le FPLP a obtenu trois sièges, le FDLP, un siège, comme le PPP (Parti Populaire Palestinien — ex PC). Quatre sièges sont allés à des candidats indépendants.
Le Fatah, le mouvement de Yasser Arafat, a donc subi un camouflet électoral ; malgré tous les moyens financiers mis en œuvre pour l’éviter. Peu avant les élections, l’Autorité palestinienne, dont le budget est pourtant déficitaire à plus de 30 %, a octroyé aux fonctionnaires, une hausse importante de salaires qui va encore grever ce budget de 50 millions de dollars par an.
POURQUOI LES PALESTINIENS ONT-IL MASSIVEMENT VOTÉ POUR LE HAMAS ?
Les Palestiniens ont plus voté contre le Fatah et la politique qu’il incarnait, que pour le Hamas ; même si l’influence de masse de cette organisation est importante, en particulier à Gaza. Sa victoire est révélatrice de la situation créée par les accords d’Oslo et du rejet populaire des concessions incessantes faites à Israël. Le retrait récent de Gaza, organisé par Sharon, ne doit pas masquer que depuis Oslo, l’emprise sioniste sur la Palestine s’est renforcée, et que sa colonisation s’y est développée.
Les aides internationales à l’Autorité palestinienne (1,1 milliard de Dollars par an) n’ont que peu bénéficié au peuple. Par contre, elles ont permis le développement de la corruption sur une vaste échelle au profit du Fatah. Rien de surprenant : ceux qui étaient les partisans du compromis avec la puissance coloniale au détriment des intérêts nationaux du peuple, ont été aussi ceux qui ont utilisé leur position pour s’enrichir.
Depuis la signature des accords d’Oslo en 1993, la situation du peuple s’est fortement dégradée. Cinquante pour cent des Palestiniens vivent en dessous du seuil de pauvreté fixé à 2 dollars par jour et par personne. Ils ont de plus en plus de mal à circuler. Sans accès au travail en Israël, ni dans les pays du Golfe, ils sont touchés par un chômage de masse. Mais les dirigeants vivent à l’abri du besoin dans des villas luxueuses. Mohammad Dahlan, responsable des services de sécurité à Gaza, et homme clé d’Israël, est de ceux-là. Ahmed Khorei, ancien Premier ministre du Fatah, est propriétaire d’une entreprise de négoce de ciment qui achète celui-ci en Egypte et le revend aux Israéliens pour la construction du mur.
Le Hamas s’est montré porteur du refus du compromis avec Israël, et peu impliqué dans la corruption. Les municipalités conquises par lui aux élections locales de décembre 2004 et de décembre 2005 sont plutôt bien gérées. De plus, ce mouvement organise un important travail social, grâce aux réseaux d’organisations d’assistance qu’il contrôle. Cela lui assure un crédit important en particulier à Gaza. Bref, alors que le Fatah a déserté le terrain pour s’investir dans l’appareil bureaucratique, les militants du Hamas l’ont occupé.
UNE GAUCHE LAMINÉE.
La gauche, FPLP et FDLP, est laminée. Son influence de masse est très faible, et ses cadres se sont investis dans les ONG dont ils sont maintenant les salariés. Ces ONG bénéficient du tiers de l’aide internationale accordée aux territoires. Elle vient d’Europe et des USA, mais ces derniers le font exclusivement par l’intermédiaire de l’USAID, dont le rôle réactionnaire au service de l’impérialisme est notoire. Le FPLP, qui se réclame du marxisme-léninisme, est maintenant une organisation politiquement très éclatée, sans ligne, et qui ne peut plus représenter une alternative. Elle garde néanmoins une influence locale, et une de ses militantes a été élue maire de Ramallah (d’ailleurs avec le soutien du Hamas contre le Fatah).
QUELLES VONT ÊTRE LES CONSÉQUENCES DE CETTE VICTOIRE ?
Les USA, l’Europe, et bien sûr Israël, ont poussé de hauts cris après la victoire du Hamas. Mais ce n’est pas la victoire du Hamas qui fait problème, mais bien la situation faite au peuple palestinien dont elle n’est que le révélateur. La situation créée par les accords d’Oslo est celle d’un « bantoustan » *, d’un Etat fantoche, où la seule « autorité » concédée par la puissance occupante est celle de faire la police à intérieur.
Il n’y a pas d’économie palestinienne indépendante. Celle-ci (ce qui en reste) est complètement intégrée à l’économie israélienne. Tout le commerce palestinien transite par Israël, qui prélève les taxes douanières (50 millions de dollars par mois) revenant aux palestiniens, et fait de leur reversement un moyen de chantage politique. La totalité de l’électricité consommée en Palestine est produite en Israël. La monnaie en circulation est celle de l’Etat sioniste. Les ressources en eau sont sous le contrôle des colons. La circulation à l’intérieur des territoires est entravée par de multiples check points (postes de contrôle). L’Union Européenne a d’ailleurs versé 50 millions de Dollars, pour leur amélioration, comptabilisé comme aide aux Palestiniens !
Dans ces conditions, la marge de manœuvre du Hamas (comme celle de toute autre force politique qui viendrait au pouvoir dans ces conditions) est très limitée. Soumis au chantage des occidentaux, à l’absence de marge de manœuvre économique, le Hamas va composer avec la puissance occupante. Il a déjà affirmé qu’il pourrait envisager « une trêve de longue durée » en échange de l’acceptation par Israël d’un Etat dans les territoires de 67. Ce mouvement va tenter de compenser l’éventuelle baisse des aides occidentales, par le recours aux Etats du Golfe ; mais sans illusion. De toute façon l’argent occidental reviendra, car il sera un moyen efficace de corruption et de pression politique en vue d’obtenir la reconnaissance de la légitimité de l’Etat d’Israël par le Hamas.
Nous pouvons penser que cette victoire est, à moyen terme, pour Israël et pour ses soutiens occidentaux, un gage de stabilité dans la région. Les mouvements islamistes sont très pragmatiques. Ils ont souvent bien plus le souci de l’islamisation de la société que de buts politiques plus ambitieux. Il faut donc s’attendre à une baisse des attentats en Israël, et à un contrôle politique et social réactionnaire renforcé sur la société palestinienne au bénéfice, même indirect, d’Israël, et au détriment du peuple palestinien.
LES LEÇONS DE CETTE VICTOIRE.
La situation, dont cette victoire est l’expression, comme les pressions qui s’exercent sur le nouveau gouvernement, démontrent plusieurs choses.
— La première est que les Accords d’Oslo ont été un succès pour Israël. Ils ont accéléré la désorganisation et le reflux du mouvement national palestinien organisé, et renforcé les positions de force d’Israël. Le succès du Hamas est l’indice du rejet populaire de cette politique.
— La deuxième est qu’elle démontre le caractère irréaliste de la création d’un État palestinien au côté d’Israël, qui ne saurait être alors qu’un « bantoustan ». Elle confirme la nécessité de lutter pour un État palestinien unique, démocratique et laïque, comme seule issue réaliste. La création d’un tel État implique évidemment la destruction de l’État d’Israël en tant qu’État colonial et sioniste (c’est à dire des seuls Juifs, comme il se définit lui-même), et son remplacement par un État où tous les citoyens jouiraient d’une égalité de traitement et de droit sans distinction d’origine et de religion. Mais cela exige la reconnaissance de la spoliation dont ont été victimes les Palestiniens, il y a 60 ans, et de leur droit inconditionnel au retour. Cela veut dire aussi l’abrogation du droit sioniste qui reconnaît à tout juif, quelle que soit son histoire et son origine, un droit sur la Palestine et en fait un citoyen potentiel d’Israël, parce que cette terre lui aurait été donnée par Dieu, il y a 3 000 ans.
— La troisième leçon est que la dérive du Fatah est la conséquence de la nature de classe de sa direction. En tant que bourgeoisie nationale, elle avait sa place dans la lutte. Mais en en exerçant la direction, elle était conduite nécessairement, vu sa faible marge de manœuvre, à sacrifier les intérêts nationaux du peuple au service des siens propres.
— La dernière leçon est que d’une façon certaine la victoire du Hamas et le laminage de la gauche sont aussi la conséquence de l’affaiblissement de la lutte anti-impérialiste au niveau mondial, comme en France par exemple. La perte de légitimité de ce combat est l’une des conséquences des campagnes sur le danger islamiste et terroriste, menaces réelles mais moins pour les occidentaux que pour les peuples des pays musulmans eux-mêmes.
Nécessaire, la solidarité anti-impérialiste peut seule briser l’isolement des progressistes et des communistes palestiniens. Seuls ceux-ci peuvent faire déboucher la lutte nationale sur une Palestine unifiée, laïque et démocratique. Or, la solidarité des démocrates français est allée au Fatah, par opportunisme (ne pas aller à l’encontre de la popularité dont jouissait Yasser Arafat), parce qu’il incarnait le compromis avec Israël, ou par crainte de l’Islamisme. Cette politique de l’autruche, à l’égard d’un pouvoir corrompu et anti-populaire, a préparé les désenchantements d’aujourd’hui.
Pour une Palestine libre, démocratique et laïque ! Solidarité anti-impérialiste, solidarité avec les forces progressistes palestiniennes !
Gilles Fabre
* Bantoustan : « états » créés par le régime d’apartheid en Afrique du Sud, où étaient cantonné les Africains pour mieux les contrôler. Contrairement à l’autorité palestinienne, ils n’avaient aucune reconnaissance internationale.