Vous êtes dans la rubrique > Archives > D’où vient la Perestroïka ?

D’où vient la Perestroïka ?

Article de Partisan N°41 - mai 1989

Les années 30 à 50

L’industrialisation accélérée qu’a connue l’Union Soviétique dans les années 30 s’est effectuée sur la base d’une part des expropriations de la révolution bolchevique, d’autre part du surplus prélevé sur la campagne, au travers de la collectivisation bureaucratique, décidée par en haut, basée sur la contrainte. C’est l’opposé d’une collectivisation progressive, basée sur l’élévation de la conscience paysanne, telle qu’elle sera pratiquée en Chine. Enfin, l’accumulation se développe en maintenant un bas niveau de consommation, donc sur l’exploitation de la classe ouvrière, totalement absente du pouvoir de décision.

L’industrialisation profite alors d’une main-d’œuvre abondante liée à l’exode rural, d’un taux élevé d’investissements, et s’oriente de manière quasi exclusive vers le développement de l’industrie lourde. Car dans le PCUS de l’époque, il y a déjà une sorte de croyance quasi-superstitieuse dans les bienfaits de la technique, du progrès, qui, en eux-mêmes, ne peuvent être que positifs. Tout dépend alors de l’utilisation qui en est faite, et c’est cela seulement qui différencie pays capitalistes et pays socialistes. On verra le montage à la chaîne, la parcellisation du travail développés au nom du progrès... Nous savons aujourd’hui que la science et la technique ne sont pas neutres (le nucléaire par exemple) et qu’elles reflètent le type de société qui les a mises au point. Mais à l’époque, c’était quelque chose de tout à fait inconnu. Développer le socialisme, c’était développer la production, à n’importe quel prix, et avant tout l’industrie lourde, y compris en copiant les techniques capitalistes.

Le rôle des ouvriers, c’était seulement de travailler, de produire plus en restant ouvrier, à l’opposé des conceptions de Marx ou Lénine pour qui le socialisme, c’était d’abord donner le pouvoir aux ouvriers, changer leur place dans la société, transformer les rapports de production, pour pouvoir développer sur cette base l’économie et la production.

L’économie connaît donc au départ un fort développement, mais avec des performances assez médiocres. Le critère qui compte avant tout, c’est le volume de production sorti des usines, pas tellement la qualité, ni la productivité du travail.

La classe ouvrière est sur les genoux, disparaît comme force politique alors que c’est elle qui a été à l’avant-garde de la révolution. Les soviets (conseils ouvriers) ont disparu dans les années 20. Les meilleurs éléments sont morts durant la guerre civile, de nombreux militants seront liquidés dans les années 30 pour cause d’opposition à l’orientation du PCUS, et enfin la Deuxième Guerre Mondiale achèvera de désarticuler ce qui restait. Bien sûr, les ouvriers demeurent, mais ils n’ont plus de projet propre, d’expression et d’apparition politique à eux.

C’est la nouvelle bourgeoisie qui règne sans partage. Nous disons bien « Nouvelle Bourgeoisie », car si la propriété privée est très limitée, il n’y a pas de propriété sociale, c’est-à-dire qui profite à tout le peuple. Il y a une forme de propriété collective, gérée par l’appareil d’Etat. Et la couche qui se forme dans le Parti, l’armée, l’appareil industriel et l’administration a tous les pouvoirs de décision, de la même manière d’ailleurs qu’en France, l’Etat et la direction ont tous les pouvoirs dans les entreprises nationalisées (voir Renault). Sur la base des expropriations, au lieu de renforcer le pouvoir ouvrier réel, ces nouveaux bourgeois s’approprieront le pouvoir, et se donneront tous les moyens pour le renforcer. « Le cadre décide de tout », c’est le mot d’ordre de Staline en 1935, par exemple.

Enfin, les richesses produites par le travail ouvrier (le surtravail) sont gérées par cette nouvelle couche, non pas au profit des ouvriers et des travailleurs, non pas pour réduire les inégalités, mais pour augmenter encore l’accumulation dans l’industrie, suivant leurs visées, en réduisant toujours la part redistribuée aux travailleurs.

Au niveau industriel, on trouve d’une part le chef d’entreprise, « commandant de production », ayant une formation essentiellement technique, et ayant autorité absolue sur tout ce qui se passe dans l’usine. Et d’autre part les fonctionnaires des ministères, qui pour chaque branche industrielle, gèrent d’en haut le développement économique. Le système est extrêmement centralisé, hiérarchisé. Par exemple, le chef d’entreprise est totalement soumis aux directives des ministères. C’est un système militarisé, qui sort des années de guerre civile, et d’une conception bourgeoise de la place des hommes dans la société, où l’Etat va en renforçant sa domination sur les ouvriers et les travailleurs, au lieu d’aller vers sa disparition en développant le pouvoir ouvrier dans tous les domaines.

C’est l’ensemble de ces éléments qui constituent la restauration du capitalisme en URSS dans les années 30.

La crise

Un tel système a fonctionné tant bien que mal jusqu’après la 2ème Guerre Mondiale, ses avantages cachant les problèmes qu’ils soulevaient.
Mais ils ont fini par apparaître et s’aggraver peu à peu.

• Il y a d’abord un déséquilibre d’ensemble de l’économie, qui sera d’ailleurs critiqué par Mao Tse Toung. Déséquilibre entre industrie lourde et industrie légère, agriculture et industrie, consommation et investissements.
• La classe ouvrière, totalement exclue du pouvoir, est de plus en plus démotivée et la productivité ne se maintient que par la répression, la menace des camps et la déportation.
• Le système hyper centralisé et hiérarchisé, outre la constitution d’une couche très importante de fonctionnaires de l’administration, provoque de très nombreuses rigidités, des instabilités dans les objectifs du plan, des décalages de délais. Leurs effets les plus connus sont les ruptures d’approvisionnement en matières premières ou pièces détachées qui provoquent des disfonctionnements en cascade.
• Du coup va se développer dans les entreprises, comme dans les ministères industriels, une tendance à l’autarcie, c’est-à-dire à ne compter que sur soi. D’où concurrence pour la répartition des fonds de l’Etat, des investissements, toujours distribués par en haut. D’où aussi falsification des résultats, des prévisions pour se mettre en position plus favorable vis-à-vis de l’appareil central d’Etat, le Gosplan, supposé gérer une planification centrale, mais qui de fait ne planifie plus rien du tout...

La réforme économique en gestation

Ces difficultés et contradictions ne pouvaient pas être ignorées par les bourgeois au pouvoir, dans la mesure où elles sont des freins énormes dans la capacité à accumuler. Auparavant, elles étaient combattues par un surcroît de bureaucratie et de répression. Les limites sont vite apparues. Une première tentative de réforme de Khrouchtchev sera balayée parce qu’elle s’affrontait trop directement aux bureaucrates au pouvoir.

Mais à peine au pouvoir Brejnev mettait en chantier la réforme économique, présentée par Kossyguine dans un discours fameux du 27 septembre 1965. Elle mérite qu’on s’y arrête un peu tant le parallèle avec la Perestroïka de Gorbatchev est frappant.

Le profit devient l’objectif fondamental de l’activité économique.
« L’indice de bénéfice sera l’indice le plus approprié de l’efficacité des entreprises », complété par le président du Gosplan qui est encore plus clair : « La logique de la réforme implique enfin que toutes les entreprises de toutes les branches de l’économie soient dotées de l’autonomie financière et que le souci de rentabilité soit à la base de tous leurs rapports » (La Pravda 01/10/68).
Kossyguine précisait en 65 qu’une partie du profit resterait à l’entreprise, proportionnelle « à l’efficacité avec laquelle elle sait utiliser le capital fixe assigné par l’Etat, à l’augmentation du volume des ventes, à l’amélioration de la qualité des produits et à l’augmentation de la rentabilité ».
Le critère n’est plus le volume de production, mais la rentabilité du capital, l’efficacité économique.
La gestion et le management deviennent les techniques de pointe. Le « manager » devient la figure centrale, formé d’ailleurs parfois aux USA, seul capable, grâce aux techniques de gestion, de l’organisation scientifique du travail, d’améliorer l’efficacité des entreprises et de l’économie. On retrouve, soit-dit en passant, la même superstition envers la technique toute puissante. Non plus la technique productive, mais la technique de gestion cette fois, dont on s’attache, une fois de plus à décrire la neutralité. Superstition qui ira jusqu’au projet d’un super ordinateur géant, capable de gérer de manière centralisée et efficace l’entièreté de l’économie soviétique. Sorte de « cerveau » unique du pays, la mise en œuvre du SAGU (système automatisé de gestion unique) a été décidée en 1971, dans la foulée des réformes de 65 ; elle a sans doute été vite enterrée pour raison, évidente, d’impossibilité.
C’est pourtant un bon exemple d’une part du tournant opéré en matière de gestion, d’autre part de la persistance bien ancrée du mythe du progrès et de la science tout-puissants et sans contenu de classe.
Les relations humaines. Les bourgeois soviétiques ont déjà constaté le désintérêt des ouvriers à leur travail, leur manque de motivation, et les grandes ressources de productivité que cela pourrait fournir. La militarisation des usines est remise en cause, l’autoritarisme des petits et grands chefs critiqué, des conseils ouvriers sont même parfois mis en place pour débattre de l’organisation du travail, de la sécurité, la discussion remplace la répression.
L’objectif est à peine caché : intensifier le travail, améliorer l’efficacité individuelle de chaque ouvrier, en quantité, en qualité, en productivité. Lutte contre l’absentéisme, contre l’alcoolisme, hausse des normes de production sont à l’ordre du jour.

On le voit, ces réformes se placent exclusivement sur le terrain bourgeois de la gestion de la production. Il n’y a finalement aucune différence avec les projets des gestionnaires occidentaux, les réformes à la mode CNPF, groupes de qualité ou conseils d’atelier de la loi Auroux.
Les ouvriers sont toujours considérés comme des exécutants, qu’il faut peut- être ménager pour en obtenir plus, mais exécutants n’ayant aucune part de pouvoir. Ce que reconnaît très exactement un journal en 1970 « L’ouvrier, même s’il est hautement qualifié, n’est que l’aide du contremaître. Ne pas entrer dans une école supérieure, c’est rester toute sa vie un exécutant, un exécutant très qualifié peut-être, mais rien d’autre » (Literatournaia Gazeta n°35).

On est bien loin des conceptions révolutionnaires qui « mettent la politique au poste de commande » comme le disait Mao, qui bouleversent les rapports de production pour renforcer le pouvoir ouvrier. Et à partir de là libérer les fantastiques ressources d’initiative, d’innovation, de transformation de la classe ouvrière pour libérer les forces productives.

Ces réformes seront mises en œuvre. Les instituts de gestion fleurissent, et, par exemple, l’Institut de Gestion de l’Economie Nationale s’ouvre le 1er février 1970 à Moscou. En 1973, on compte 50 établissements de ce genre, 150 facultés de management auprès des universités, etc.

Des exemples de restructuration industrielle sont mis en avant, comme l’usine chimique de Scekino, où l’amélioration de la gestion conduit au licenciement de 800 personnes (sur 6000), à la diminution des temps morts de 50%, à la multiplication du nombre des machines en charge pour chaque ouvrier, à la répartition des salaires récupérés sur les licenciements aux « plus méritants » des ouvriers et cadres. En octobre 1969, un décret du Comité Central exigeait la généralisation de cette expérience !

Cela dit, au milieu des années 70, ces expériences apparaissaient comme marginales, et la réforme comme un relatif échec. La bourgeoisie bureaucratique de l’administration s’opposait de toutes ses forces à ces réformes qui sapaient son existence même. Car l’autonomie des entreprises, c’est bien entendu moins d’Etat... et donc moins d’administrateurs !

Les contradictions s’aggravent

Ainsi donc, durant les années 70, toutes les contradictions subsistent, en s’aggravant même : les équipements vieillissent et ne peuvent plus être renouvelés, la concurrence interministérielle s’aggrave toujours plus pour récolter les fonds de l’Etat, les difficultés d’approvisionnement persistent, à quoi s’ajoute le développement massif de la corruption et du détournement de fonds sur la base de la seule mesure de la réforme de 65 réellement appliquée : l’attribution à l’entreprise elle-même (et donc à ses dirigeants...) d’une part du profit réalisé.

La classe ouvrière résiste de plus en plus à l’exploitation, d’autant que la menace permanente de la répression (élimination ou déportation) des années 50 a disparu. La productivité du travail dégringole dans tous les secteurs.

Les bourgeois sont incapables de s’en sortir. D’un côté, les réformes sont urgentes et nécessaires. De l’autre, elles ne peuvent se faire qu’en attaquant l’appareil bureaucratique. C’est scier la branche sur laquelle elle est assise ! D’où attente et stagnation, comme l’admettent même aujourd’hui les dirigeants de l’URSS.

Pour trouver une solution, la fraction la plus bureaucratique recherche des ouvertures à l’extérieur des frontières, pour s’ouvrir marchés et ressources de matières premières. C’est la période de l’expansionnisme soviétique dans le monde, profitant de la faiblesse temporaire de l’impérialisme américain face aux luttes des peuples. C’est la tendance à la guerre comme moyen de surmonter les contradictions internes bloquant l’accumulation. Avec l’apogée de l’intervention en Afghanistan en 1979.

Cette fois ce ne sont plus les contradictions internes qui vont mettre un coup d’arrêt à la politique soviétique, mais la lutte des classes au niveau mondial.

En URSS même, la résistance ouvrière se poursuit de manière larvée, sous une forme souvent passive (absentéisme, alcoolisme, paresse, ...) et toutes les mesures administratives ou répressives (comme la chasse à l’absentéisme par la milice, sous Andropov) se révèlent inefficaces. Dans le bloc de l’Est, c’est le développement important des grèves ouvrières, en Hongrie, Yougoslavie et bien sûr Pologne qui montre le danger, pour le pouvoir bourgeois, à accentuer sa dictature. Dans le monde, la lutte des peuples, en Erythrée, en Afghanistan et ailleurs, met un coup d’arrêt à l’impérialisme soviétique, démontrant que la voie militaire, de la domination par la force est pour l’instant inaccessible.

Là encore, la bourgeoisie tombe dans une impasse.
La situation est mûre pour l’arrivée de la Perestroïka.

Retour de la réforme

M. Gorbatchev est nommé au Bureau Politique en 1980, Secrétaire Général en 1985. C’est une nouvelle génération en URSS, non pas pour une question d’âge comme se plaisent à le commenter les journalistes occidentaux, mais pour leur éducation politique et économique. Gorbatchev finit ses études en 1955, après les bouleversements de l’après-guerre, fait toute sa carrière dans l’agriculture où il peut constater les catastrophes, voit toutes les réformes échouer. Il fait des stages fréquents en France pour travailler avec le capitaliste du PCF, JB Doumeng, spécialiste de la production et de l’exportation de produits agroindustriels. C’est un homme de la génération des « managers » qui arrive à maturité dix ans après la mise en place des premières réformes.

Membre de la haute bourgeoisie, il tire les leçons du passé à tous points de vue :
-  L’échec économique,
-  L’échec de l’expansionnisme,
-  La résistance de la classe ouvrière à l’exploitation accrue,
-  La résistance de la bourgeoisie de l’appareil d’Etat à la réforme.

La Perestroïka, c’est la nouvelle version de la réforme, intégrant les échecs passés pour les dépasser.
Le projet de réforme reprend, en l’adaptant, le projet de 1965.

Le profit est le moteur de l’économie. Comme l’écrit si bien un économiste gorbatchévien, N. Shmelev :
« Il faut regarder les choses de façon réaliste, depuis plusieurs siècles, l’humanité a été incapable de trouver d’autres critères pour le travail effectif que le profit. Lui seul permet une comparaison objective et précise des coûts et des résultats de la production » (Novyi Mir, Juin 1987).
La gestion améliorée en est le moyen. Rappelons le résumé qu’en fait Gorbatchev : « On doit placer les entreprises dans des conditions qui encouragent la compétition économique, pour la plus grande satisfaction des exigences légitimes du consommateur, et les revenus des employés doivent strictement dépendre des résultats de la production et des profits obtenus » (Perestroïka).
A la différence de la réforme de 65 qui fantasmait sur l’ordinateur, cerveau géant de la société, Gorbatchev adopte une position réaliste, qui se rapproche un peu plus du libéralisme à l’occidentale : planification indicative et non plus directive, droit des entreprises renforcé, développement d’un marché de gros pour les produits industriels, réforme des prix et des salaires. C’est-à-dire que la Perestroïka, c’est la gestion et l’efficacité, au niveau local, l’abandon beaucoup plus affirmé qu’en 65 du dirigisme des ministères.
Pour cela améliorer la productivité ouvrière. Alors que la réforme de 1965 ne voyait que relations humaines et conseils d’atelier, la Perestroïka s’attaque à la fixation des salaires.
La Perestroïka s’attaque ensuite au salaire indirect, comme par exemple les distributions de produits gratuits ou à prix réduit, pour renforcer le rôle du salaire individuel.
Enfin, c’est bien sûr la chasse aux sureffectifs, comme en 65, mais à une échelle bien plus vaste, puisqu’on estime à 16 millions le nombre de personnes concernées et qu’il est même envisagé la création d’un Bureau de Placement National, de requalification et d’orientation professionnelle. L’ANPE, quoi.
Notons en passant que les compressions et licenciements sont commencés, mais que ce bureau n’a toujours pas vu le jour... Les reclassements proposés jusqu’à présent se sont toujours traduits par des pertes de salaire, et quant à la perspective de travailler dans le Grand Nord, en Sibérie ou en Extrême-Orient, on voit l’enthousiasme que ça peut déchaîner !

On le voit, la Perestroïka est dans la continuité de la réforme de 65. Elle ressemble à s’y méprendre (dégraissages, restructurations, salaires au mérite), à une banale restructuration de monopoles occidentaux.

La Glasnost

Gorbatchev a tiré les leçons du passé. Il sait qu’on ne peut pas réformer la fraction de la bourgeoisie des ministères, de l’administration, qu’il faut s’affronter à elle. Et c’est difficile quand cette couche s’est littéralement incrustée depuis 50 ans dans l’appareil d’Etat.
Gorbatchev s’appuie sur l’impasse politique de cette fraction, qui a échoué dans tous les domaines. Il s’appuie sur la haute bourgeoisie, au sommet de l’Etat, qui veut sortir de l’impasse pour résister à la compétition mondiale. Il s’appuie enfin sur cette couche de « managers », formée depuis les années 70, qui arrive aujourd’hui à la tête des grandes entreprises et qui prétendent être capables de réformer la société.

La « Glasnost » (transparence) a un double but : déboulonner l’appareil bureaucratique intermédiaire, paralysé par son échec, par le biais du jeu démocratique bourgeois. On vient d’en voir les premiers résultats lors des élections des candidats au Congrès, où une part notable de ces bourgeois a mordu la poussière. Même des candidats uniques n’ont pas été élus !
Mais aussi motiver la classe ouvrière, l’intégrer au jeu des réformes pour faire avaler la pilule des restructurations et de l’austérité. Là encore, on en a vu un élément avec le succès populaire de Eltsine, candidat « anti-bureaucrate » populiste, mais dont le réformisme va beaucoup plus loin que Gorbatchev !

Notons que l’appareil répressif d’Etat n’est pas touché. KGB, Police, milice sont simplement en retrait, préservant l’essentiel du pouvoir des bourgeois. Il y aura sans doute réforme de l’armée pour réduire les dépenses militaires et alimenter le fonds d’accumulation. C’est dans la logique de la période actuelle, où l’expansionnisme militaire a provisoirement échoué et où le poids de la militarisation, de la production lourde est source de déséquilibres difficilement supportables. Mais à la différence de l’appareil administratif, il n’y aura pas d’affrontement direct avec l’appareil militaire. Il y aura négociation, consensus.
D’une part, Gorbatchev a besoin de l’armée pour assurer son pouvoir, d’autre part, le haut quartier général de l’armée est déjà favorable à la Perestroïka. En effet, la fusion entre l’armée et l’appareil d’Etat est telle en URSS (via le Parti, par exemple), que les contradictions ne peuvent qu’être secondaires.

Où va la Perestroïka ?

Les contradictions économiques sont très fortes, le tissu industriel est de plus en plus dépassé, et la réforme a du mal à se concrétiser du fait de la résistance acharnée de la bourgeoisie bureaucratique. Car c’est cela l’actualité d’aujourd’hui : la lutte entre deux secteurs de la bourgeoisie pour s’assurer le pouvoir dans les domaines économique et politique.
Il est bien sûr difficile d’établir des pronostics, tant il s’agit de transformer une structure en place depuis longtemps. On peut penser que n’ayant pour l’instant plus de projet alternatif, cette bourgeoisie bureaucratique ne pourra repasser à l’offensive et se contentera de mener une guérilla défensive contre le régime, sabotant tout ce qui remet en cause son existence, son pouvoir et ses revenus.

D’où l’ouverture d’une période d’instabilité au sein de la bourgeoisie. Mais c’est aussi les vannes ouvertes par la Glasnost, qui libèrent le terrain à toutes les manifestations de masse. On le voit dans les mouvements nationalistes qui secouent les républiques baltes ou transcaucasiennes. On le voit dans les conflits du travail, encore peu nombreux, mais qui se développent. On le voit dans le développement du débat politique de masse, qui va poser, comme en Pologne, la question des perspectives, des aspirations pour l’avenir.

L’actualité de demain est dans la classe ouvrière, la plus nombreuse et la plus concentrée du monde. C’est elle qui est fondamentalement dans le collimateur de la réforme, même si, pour l’instant elle n’est pas trop touchée (du fait des difficultés du développement concret de la Perestroïka). Licenciements, libéralisation des salaires, intensification du travail sont au menu.

Elle a pour atout sa méfiance fondamentale vis-à-vis du pouvoir, enraciné par 50 ans d’expérience, d’exploitation, de mensonges. L’égalitarisme défendu spontanément en matière de sa¬laires en est un élément, déjà à l’origine de conflits comme chez les conducteurs de bus en septembre 87 face à la réforme. La défense de l’emploi et le spectre du chômage (si décrié quand il s’agit de l’Ouest) seront aussi un puissant élément de résistance.

Elle a pour faiblesse l’absence de conscience de classe, de projet propre, de définition indépendante de ses intérêts, aggravée par la confusion entretenue par le pouvoir sur ses références ouvrières et léninistes. Cela sera source de confusion contrebalancée par la place objective des ouvriers dans la production et les attaques qu’ils vont subir.

Les années 80 ont été les années « Gorbatchev ».
Les années 90 pourraient bien être les années de la lutte des classes en URSS.

Soutenir par un don