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Toujours la polémique sur la guerre et ses causes

Partisan N°102 – Septembre 1995

Je suis surprise en lisant l’ensemble de vos articles sur la Bosnie.
Même si « Partisan » prône une politique anticapitaliste et une Bosnie laïque et démocratique, comment expliquer une critique constante et virulente concernant les Serbes ? Avez-vous oublié l’histoire et le passé serbes ? Pour cela je fais appel à la lecture de Jacques Merlino « les vérités yougoslaves ne sont pas toutes bonnes à dire ».
Arrêtons un peu la propagande sur les camps de concentration et les massacres imputés aux Serbes. Quelques exemples : en 1941, la Croatie proclame son indépendance menée par Ante Pavelic, chef FASCISTE ; il ouvre des camps de concentration et d’extermination. L’église catholique, avec à sa tête Stepinac encourage ce mouvement (de 300 000 à 600 000 Juifs et Serbes exécutés !!!).
Quant aux camps de concentration SERBES, ne savez-vous pas qu’il existe une société américaine qui est payée pour fabriquer de fausses informations (la Ruder Finn Global Public Affairs). Cette dernière a pour mission de diriger l’information dans le sens souhaité par la bourgeoisie, ne fait-on pas dire ce qu’on veut avec les images et les médias (ref : votre dernier article dans « Partisan » de mai 1995).
Dans la situation actuelle, il s’agissait de diaboliser les Serbes en les assimilant à des nazis. « Partisan » parle de fascisme grand’serbe mais nous devrions ajouter que ce n’est pas seulement le nationalisme serbe qu’il faut condamner mais l’ensemble des nationalismes :
Bosniaque (Izetbegovic avec sa déclaration islamique « le Musulman ne peut que mourir au nom d’Allah et pour la gloire de l’islam ou bien déserter le camp de bataille »).
Croate (antisémitisme de tous temps, unis avec les nazis et toujours soutenus par la bourgeoisie allemande qui rêve d’étendre son influence, de reconquérir l’empire austro-hongrois et de faire une Europe à la mode allemande). Gardons en mémoire que c’est l‘Allemagne qui a reconnu la première le partage de la Yougoslavie en faveur de la Croatie, de la Slovénie et de la Macédoine, ce fut cette reconnaissance qui fit éclater la guerre.
De même il est difficile de choisir un courant ouvrier non nationaliste car en période de guerre, les utopies demeurent loin du terrain, et chacun se retranche derrière son groupe ethnique.
En ce qui concerne les ouvriers de Tuzla Nous venons d’apprendre qu’ils sont « encadrés » par des syndicalistes bourgeois défendant les patrons et les privatisations. Par bonheur la visite des deux représentants des ouvriers a ouvert les yeux à tous les lecteurs de « Partisan ». Malgré tout, votre conseil reste de les soutenir comme des antifascistes et des démocrates contre le nationalisme. Et pourtant demain, ils seront à la tête des usines de Bosnie dans un système capitaliste ; ces mêmes personnes qui invitent les bourgeois occidentaux à investir en Bosnie comme au bon vieux temps de l’impérialisme. Donc pas de leçon à retenir d’elles !

 

En conclusion, je dite Merlino : » Il est permis de placer un peuple au ban des nations. De les définir comme un ramassis de violeurs et d’extrémistes n’ayant rien à envier aux nazis. Il est permis de dresser contre ce peuple l’ensemble de la planète, de préparer à son égard un tribunal rappelant celui de Nuremberg, d’élaborer des plans d’intervention militaire et des stratégies de bombardements ciblées. Il est permis de chasser ce pays de l’ONU et de soumettre les Serbes à un embargo économique total. Cela est permis puisque c’est cela qui se fait ».
Quel dommage que nous, ouvriers révolutionnaires, soyons les complices de ces actes et de ces médisances dictées par la société capitaliste. Ne nous trompons pas d’ennemi ! »

 

Une nouvelle fois, nous publions un courrier opposé à notre position sur l’ex-Yougoslavie. Compte tenu de la confusion existante (et entretenue) sur la question, il n’est pas inutile d’y revenir.

 

1 – En quoi les crimes des Oustachis d’il y a cinquante ans excusent-ils ou doivent-ils nous faire oublier ceux des Tchetniks d’aujourd’hui ? Il y a là un argument sans aucune rigueur et sans aucun fondement. La référence constante aux crimes de la Deuxième Guerre Mondiale nous semble un moyen commode et parfaitement erroné d’escamoter l’analyse politique de ce qui se passe aujourd’hui et de ce qui s’est passé pendant cinquante ans en Yougoslavie. Parle-t-on encore des « Boches » aujourd’hui en France ? Non bien sûr, l’Histoire a tourné…

 

2 – Une fois de plus sur les causes de la guerre. C’est le développement du nationalisme dans un contexte de crise économique exacerbée, où chaque bourgeoisie nationale a essayé de tirer la couverture à soi au détriment des autres qui est à l’origine de la guerre et de son caractère actuel (voir « Partisan » N°88). Il y a eu d’une part les velléités d’indépendance économique des bourgeois slovènes et croates pour bénéficier seuls des richesses économiques de « leurs » républiques, et d’autre part et en même temps la réaction des bourgeois serbes, moins bien pourvus de ce point de vue mais disposant par contre de l’appareil d’Etat yougoslave, en particulier de l’état-major de l’armée fédérale.
Le nationalisme radical (voire fascisant) s’est développé depuis les années 70 dans tous les camps bourgeois, et il a été le ciment de la réaction à la crise économique. Et l’histoire a été utilisée et manipulée par les uns et les autres pour leurs sombres desseins. C’est en Serbie qu’il s’est développé le plus loi sous l’égide de l’armée et que les thèses racistes et fascistes du « peuple céleste », de l’épuration ethnique etc. ont été théorisées dès le début des années 80 (pourquoi parle-t-on si peu du mémorandum de l’Académie des Sciences de Serbie, en 1986, texte politique et idéologique théorisant le renouveau du fascisme grand’serbe ?) et mises en œuvre à grande échelle dans la guerre : de l’épuration de la Bosnie centrale aux camps, en passant aux déclarations à répétition des Tchetniks de Karadzic : « Nous ne voulons plus vivre avec les Musulmans et les Croates. Il est donc inutile de parler de la reconnaissance de la Bosnie et de dessiner des cartes. Nous nous battrons jusqu’à l’acceptation par tout le monde de deux ou trois états séparés » (Momcilo Krajisnik, président du Parlement es Tchetniks de Pale, à « Libération » en juin dernier).
Ce nationalisme radical et fascisant s’est aussi développé en Croatie sous l’égide de Tudjman et de son gouvernement (réhabilitation partielle des Oustachis, répression des minorités en particulier serbe). Le HVO croate s’est fait connaître, tant en Croatie qu’en Serbie pour sa barbarie.
Quant aux Bosniaques, la référence reste le document d’Izetbegovic « Pour une république islamique », qui date de 1970, réédité depuis. La référence constante et unique à ce document (bien réel, soyons clair, Izetbegovic est un nationaliste affiché, dont les responsabilités dans le déclenchement de la guerre sont grandes) sert à masquer ue de nombreux Bosniaques sont opposés à ce président et à son parti la SDA. Ne disposant ni de richesses économiques, ni de puissance militaire, les bourgeois bosniaques passent à la casserole de l’histoire en essayant de survivre grâce à l’appui des grandes puissances. Mais ce sont les peuples qui paient l’addition…

 

Ce n’est donc pas en premier lieu la reconnaissance de l’Allemagne qui a provoqué la guerre, c’est l’accumulation de ces contradictions. Toutes les grandes puissances impérialistes ont alors bien sûr joué leur propre carte (comme d’habitude), et ont récolté la tempête. Mais il ne faut pas se tromper d’aspect principal… faute de quoi on soutient les Tchetniks au nom d’une supposée résistance à l’action impérialiste (allemande en l’occurrence). Les Tchetniks ne sont pas anti-impérialistes, de même Saddam Hussein ou le FIS ne l’étaient pas. Les ennemis de nos ennemis ne sont pas forcément nos amis, nous l’avons déjà dit.

 

3 – Pourquoi notre lectrice ne fait-elle pas de distinction entre ouvriers et bourgeois, entre nationalistes et internationalistes ? Pourquoi parler de Serbes, Croates, Musulmans, « en général » ? Nous ne parlons jamais des Serbes en général, nous n’en avons jamais parlé comme un ramassis de « violeurs et d’extrémistes ». Pourquoi nous prêter les positions de la bourgeoisie, alors que nous nous en sommes clairement démarqué, que par exemple nos exigeons la levée de tous les embargos et blocus, y compris sur la Serbie ?
Evidemment, il est plus facile de répondre à ces arguments simplistes qu’aux nôtres. Nous, nous n’oublions pas les opposants non-nationalistes du Cercle de Belgrade en Serbie. Nous n’oublions pas que l’ambassadeur de Bosnie en France est serbe, ainsi d’ailleurs que le commandant en second de l’armée bosniaque. Nous n’oublions pas qu’il existe des combattants serbes antifascistes à Gorazde, qui refusent de quitter l’enclave alors qu’ils en ont toutes les facilités. Nous n’oublions pas qu’il existe une assemblée des Serbes de Bosnie qui veut vivre dans une Bosnie multiculturelle et que même Milosevic a reconnu que Karadzic ne représentait que la moitié des Serbes de Bosnie… Et oui, ce sont des faits, comment notre lectrice les interprète-t-elle ?
Il y a certes un conflit politique en Bosnie entre nationalistes (eux-mêmes plus ou moins radicaux), par exemple du SDA, et les forces non nationalistes. Et c’est notre choix de soutenir ces dernières, parce que ce n’est qu’en leur sein que pourront surgir des forces réellement révolutionnaires, un camp ouvrier indépendant. Nous savons bien sûr qu’y compris au sein de ces forces opposées au SDA existent des courants qui veulent construire des médias et des entreprises « indépendantes » du gouvernement, voie choisie par la bourgeoisie humanitaire pur donner une image plus présentable aux gouvernements européens. On est dans ce cas loin de la création d’organisations indépendantes des travailleurs, c’est clair… Il n’empêche, ce n’est qu’au sein du camp antinationaliste que celles-ci pourront se construire.
Distinguer les camps, c’est la base même de la politique, du matérialisme, du marxisme.

 

Ce que nous propose notre lectrice, c’est l’impuissance et l’attentisme. Elle rejoint ainsi d’une certaine Lutte Ouvrière (21 juillet 1995) : « Seule la classe ouvrière pourrait être le fer de lance d’une politique de coexistence fraternelle et sans oppression des peuples. Mais pas plus dans l’ex-Yougoslavie qu’ailleurs, elle ne joue un rôle indépendant, ce qui laisse la place à des politiques réactionnaires et nuisibles ». Attendre que la classe ouvrière soit indépendante, voilà ce qu’on nous propose. Mais comment pourrait-elle le devenir si on la laisse dans les bras du nationalisme, si on ne défend pas le secteur multiculturel qui survit encore (pour combien de temps ?), en particulier dans la région ouvrière de Tuzla ?

 

4 – Sur l’information, la guerre médiatique etc. Notre lectrice a évidemment raison « en général ». Nous notons avec intérêt qu’elle évite de prendre parti sur un point précis, les camps de concentration dénoncés durant l’été 1992 : ont-ils existe ou sont-ils pure invention ? Notre lectrice aurait-elle un doute ?
Elle cite Jacques Merlino, journaliste à France 2 et correspondant à Pale et en Serbie (le hasard n’y est évidemment pour rien). De la même manière le journal belge « Solidaire » (journal du PTB) cite abondamment les déclarations des Casques Bleus néerlandais de Srebrenica qui réduisent l’armée bosniaque à de vagues milices et les combattants à des « musulmans ». Sans doute est-ce une simple négligence d’avoir oublié de préciser que le commandant néerlandais avait auparavant trinqué face aux caméras avec le général Mladic, commandant en chef des Tchetniks et que cela cause en ce moment un véritable scandale aux Pays-Bas…
Le problème n’est pas de citer tel ou tel. Chacun peut produire ses témoins à charge et à décharge. Mais la vérité historique ne procède pas de l’accumulation (ou de la sélection…) de témoignages contradictoires…

 

La vérité procède d’une part de faits historiques finalement vérifiés et recoupés, de l’enquête directe et indirecte. Il peut y avoir intoxication, inventions, montages etc. finalement les faits sont là : il y a des textes, des déclarations, des témoignages directs recoupés des événements. Il faut certes être prudent, il ne faut pas s’aveugler, il faut accepter le doute. Mais il arrive un moment où on ne peut plus nier les faits.

 

Et puis, il y a une analyse historique globale, politique, une politique internationaliste et de classe, qui donne un sens à ces faits, les situe les uns par rapport aux autres, est capable à la fois de montrer les grandes tendances et l’éclairer les points particuliers. Cette analyse doit être globale, cohérente, et ne laisser aucun aspect dans l’ombre, aussi dérangeant soit-il. C’est là que nous nous adressons à nos lecteurs critiques. Pourquoi ce silence gêné autour du fascisme tchetnik ? Pourquoi ce silence autour des populations qui refusent la division ethnique (comme à Tuzla) ? Pourquoi cette absence de distinctions politiques au sein même des diverses populations nationales ? Cela donne une analyse partielle, réduite au conflit entre l’impérialisme et tel ou tel pays, cela mène, ouvertement ou implicitement, au soutien à des dirigeants bourgeois nationalistes et fascistes.
Nous disons à nos lecteurs qu’ils ont tous les éléments pour comprendre, aux plans économiques, historique, social. Que nous (Voie Prolétarienne) avons une analyse qui répond globalement à l’ensemble des questions soulevées par ce conflit. Que nous n’éludons aucune difficulté. µQue notre analyse débouche sur une prise de position politique sans ambiguïté.
Alors, s’il vous plaît, ne gardez pas votre drapeau sous la table.
Comme nous, dites clairement ce que vous défendez et ce que vous combattez.

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