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Occupations de logements à Paris 20ème

Partisan N°39 - Mars 1989

En hiver 86/87, quatre incendies provoquant de nombreux morts éclatèrent dans le 20e arrondissement. Ces incendies se déclarèrent dans des zones en voie de rénovation où le prix du terrain à bâtir allait atteindre des sommes pharamineuses.

L’intérêt des spéculateurs, à qui profitent ces incendies, est triple :
1) Obtenir le départ immédiat des habitants.
2) Revendre plus cher les bâtiments à la ville de Paris ou à un promoteur : ce n’est pas le bâtiment qui est en jeu mais le terrain sur lequel il est construit.
3) Ni l’acheteur, ni le revendeur n’ont ainsi à reloger ou à indemniser les locataires.

La lutte pour le relogement des familles sinistrées fut majoritairement organisée par un Comité de soutien regroupant des associations et organisations de gauche et d’extrême-gauche plus des associations caritatives.
Cette structure évacuait en permanence les questions de conditions de logement des prolétaires et de spéculation immobilière : les sinistrés étant en grande partie immigrés il ne pouvait s’agir que d’actes racistes donc la Mairie de Paris ne relogeant pas les victimes de ces attentats, Chirac était complice des racistes, voire raciste lui- même... L’analyse n’était pas portée plus loin.

POURQUOI CETTE ATTITUDE ?

Parce qu’en fait la gauche n’a pas de projet de gestion différent de celui de la droite en matière de logement. La crise s’accentuant, il y a de moins en moins d’espace pour les solutions réformistes.
Dans ces conditions il a donc été nécessaire, à tous ces gens-là, de désamorcer le potentiel de révolte en orientant la lutte sur des impasses interclassistes masquant ainsi la précarisation générale des conditions de vie du prolétariat dont les incendies sont une conséquence extrême. Le Comité de soutien a donc enfourché le cheval du racisme, racisme présenté par eux comme dénué de tout fondement de classe.

Parallèlement à ce Comité de soutien s’est constitué à cette époque une association : l’Association "Un Logement d’Abord". Les membres de cette association ont ouvert un immeuble Place de la Réunion avec des familles sinistrées.
Cette démarche a eu l’avantage d’ouvrir une brèche contre l’assistance pratiquée par le Comité de Soutien, en résolvant le problème immédiat (recherche d’un toit) elle a permis aux sinistrés de suivre davantage la lutte, d’avoir un point de vue critique et de rester mobilisés jusqu’au bout, même si par ailleurs les rapports entre les membres de cette association et les familles sinistrées sont toujours restés à l’état d’antagonisme.

ELARGIR OU NON ? LA CREATION DU COMITE DES MAL-LOGES.

Dans ce contexte nous avons fait la proposition d’élargir la lutte des sinistrés aux problèmes du logement créés par la spéculation et, ainsi, poser la question du logement prolétaire. Cette proposition a été très vivement combattue tant au Comité de soutien qu’à l’intérieur de l’association "Un Logement d’Abord" au point de nous isoler complètement.

La proposition d’élargissement s’est concrétisée par le fait que de nombreux habitants du quartier sont venus nous exposer leurs problèmes. Le XXe arrondissement est un quartier soumis à la rénovation où des familles entières vont se faire expulser. Mais depuis de nombreuses années les gens espérant fuir ces taudis insalubres et dangereux ont fait de nombreuses demandes de logement social, demandes toujours insatisfaites, car depuis des années on assiste à la réduction de la construction de logements sociaux et à la foudroyante ascension du prix des loyers de ces derniers. Le Comité des Mal-Logés est né du regroupement de ces familles autour de la revendication du logement social. Un de ses moyens d’intervention est la réquisition des logements HLM. vides. Les familles sinistrées du 67, face à leur non-relogement, ont eu au départ un rôle moteur dans l’élargissement de la lutte et la création du Comité des Mal-Logés (discussion avec les gens du quartier, nécessité du regroupement).

PREMIERE CAMPAGNE DE REQUISITION

Lors des premières assemblées du Comité des Mal-Logés nos propositions de réquisition d’HLM avaient été essentiellement perçues comme l’ouverture massive de squatts dans les HLM permettant un relogement immédiat.

La première opération de réquisition fut organisée laborieusement, d’une part parce que sa préparation ne fut assumée que par quelques militants, et parce que d’autre part un bon nombre de personnes du Comité déçues par le peu d’appartements ouverts (deux) ne se déplacèrent pas. Face à cette situation notre groupe de militants a préféré "suspendre" les réquisitions, pour réorienter le travail notamment en impulsant des "Comités d’immeubles" et en organisant la mobilisation au¬tour des échéances judiciaires (occupation d’organismes publics, manifestations, actions spectaculaires). Il s’en est suivi une démobilisation progressive accentuée par le choix de "suspendre" les réquisitions même après le verdict du premier procès : expulsion + de fortes amendes alors que le désir des gens était de poursuivre les réquisitions qui leur semblaient être un axe de lutte juste. Résultat : en décembre 87 le Comité des Mal-Logés comptait moins de dix personnes.

A cette date le bilan de notre investissement nous paraissait négatif, bon nombre de personnes ayant été dégoûtées de lutter pour longtemps et nous n’avions pas davantage de personnes qu’un an auparavant sur qui appuyer une continuité.

Parallèlement de vives polémiques se sont déroulées au sein de notre groupe, quant à la marche à suivre provoquant des désengagements et notre départ de PPLC (Prolétaires Pour Le Communisme).

TRAVAILLER AVEC LES OUVRIERS...

Avec le recul nous pensons que des aprioris différents sur la classe, l’état de la crise du capital, les rapports de l’organisation aux masses se sont dévoilés dans la confrontation sur le terrain.
Pour nous là où des ouvriers ont fait le choix de lutter, où les propositions réformistes sont inopérantes face à la crise, il y a, avec apport de notre travail militant, des potentialités d’organisation politique avec ces ouvriers.

En ce qui concerne les camarades avec qui nous étions organisés, leur discours ne s’adressait pas à ces ouvriers en lutte (qu’ils n’estimaient pas assez "révolutionnaires") mais essentiellement à des personnes externes au Comité et aux éléments du Comité qui se reconnaissent le moins dans la classe ouvrière. Par la suite lorsque la lutte prendra de l’ampleur, ils reviendront de temps en temps au Comité pour se tenir au courant et pouvoir ainsi se présenter comme membre du Comité auprès de la mouvance militante parisienne.

...A UN RAPPORT DE FORCES

Pour ce qui en est de l’Association "Un Logement d’Abord" de nombreuses divergences se sont exprimées et nous avons fait un texte pour signifier nos positions :
"Refusant toute perspective d’organisation, de construction d’un réel rapport de forces, leur démarche est en fait, pour beaucoup de membres de cette association de tirer profit de la lutte des gens qui se sont organisés, comme par exemple : logements gratuits, emplois sociaux-éducatifs, subventions..."

Cette logique, reproduisant les rapports d’exploitation, les amène à reprendre des discours aux tendances racistes sur la "spécificité culturelle", ou justifiant l’ordre bourgeois (on explique les rivalités, l’échec scolaire, la soumission par des avatars traditionnels). L’assistanat se met donc en place pour masquer ce rapport d’exploitation.
Pour nous l’assistanat est l’une des méthodes de la bourgeoisie pour maintenir son oppression. C’est un type de rapport d’une classe contre une autre.
On soulage un peu de misère pour que chacun reste à "sa place" dans le but de maintenir l’exploitation.

Bon nombre de militants se prétendant révolutionnaires ne rompent pas clairement avec ces pratiques car de fait leur situation "militante" ou de "cadre" dans le comité est bien plus assise par les connaissances que leur a octroyé le système capitaliste que par leur conscience de classe ou le niveau politique et théorique de leur organisation (aptitudes à lire, à écrire, connaissances techniques, etc.) Il s’ensuit à l’encontre des camarades du comité une espèce de mépris, une tendance à l’assistanat. (Ils confondent vite la convivialité d’ouvriers en lutte avec "l’esprit de village").
En règle générale les immigrés considèrent les "Français" comme leurs exploiteurs. C’est là l’effet d’un manque de conscience de classe, conscience qui par ailleurs n’existe pas plus dans le prolétariat français. Donc lorsque des militants français s’adressent à eux, ils se placent en situation d’assistés car à leurs yeux c’est la seule façon d’obtenir quelque chose de leurs "exploiteurs".

Par la suite, les difficultés, la dynamique de la lutte, les débats brisent cela ; et ceux qui demeurent en position d’assistés sont rejetés ou quittent d’eux-mêmes le Comité.

LES REQUISITIONS DE HLM

Il s’agit pour nous d’un moyen de pression et surtout d’une forme de propagande aujourd’hui très efficace.
Après enquête dans le quartier et avoir testé d’autres propositions de mobilisation nous avons constaté que cette proposition était unificatrice et du même coup permettait d’en faire vivre d’autres.
Succinctement la réquisition a l’avantage mobilisateur, dans la situation, de l’action directe. Le fait de cibler sur les HLM ouvre des perspectives pour les immigrés du Comité, d’unité au-delà de l’immigration.
Pour ces deux raisons essentielles chaque opération de réquisition d’HLM est un "moteur" du Comité.

SUR LA REPRESSION

Beaucoup, et nous-mêmes, se sont interrogés sur les risques (expulsion du territoire) que prenaient les immigrés du Comité.
Mais le plus grand risque qu’encourent ces personnes est d’accepter le sort qui leur est fait. Nombre d’entre eux sont morts dans des incendies criminels ou liés directement à la vétusté de leur appartement. La plupart vivent dans des lieux insalubres, en surnombre, avec ce que cela produit comme misère quotidienne. Pour ces prolétaires c’est sûr, le plus grand risque c’est d’accepter leur quotidien.

DEUXIEME CAMPAGNE DE REQUISITION

En décembre 87 le Comité des Mal-Logés n’existait plus en tant que Comité de Masse, le travail était à reprendre avec pour acquis notre expérience.
Nous (GPVC) avons décidé de réimpulser une campagne de réquisition en réorganisant au préalable le Comité.
-  Edition d’un bulletin diffusé sur le quartier.
-  Système d’adhésions et de cotisations.
-  Intervention de propagande.

Préalablement à la réquisition proprement dite, nous avons mené plusieurs interventions avec quelques individus isolés et les familles du 67 rue des Vignoles. Dans le but de remobiliser les gens et d’appuyer notre propagande (intervention au conseil d’arrondissement, occupation de l’état-major de campagne de Raymond Barre).

Des recherches systématiques dans le quartier et un peu de chance nous a conduits devant un petit immeuble appartenant à l’Office d’HLM de la Ville de Paris, rénové et vide depuis près d’un an, dans la même rue d’où avaient été expulsées quelques familles.

Comme nous n’avions aucune indication précise sur le montant des futurs loyers, à l’issue d’une réunion nous avons décidé d’envoyer tous les mois 800 F par appartement correspondant approximativement à 20% du SMlC - La revendication était la régularisation (là ou ailleurs) à des loyers abordables.

Immédiatement, les familles qui avaient réquisitionné ont pris en charge la propagande de leur lutte dans le quartier (pétitions, tracts). En deux semaines le Comité est passé de 20 à 200 adhérents.
Dans la foulée de cette mobilisation nous avons décidé d’occuper le siège de l’OPHLM pour demander des explications à propos des HLM vides.
Habituellement ce genre d’opération se termine par l’expulsion manu-militari des manifestants peu après l’heure de fermeture des bureaux.
Là devant le refus de la direction de l’office de nous recevoir et la détermination des familles, la police a différé l’expulsion espérant sans doute que les manifestants ne manqueraient pas un deuxième jour de boulot.
Pendant la nuit les camarades du Comité ont pris en main directement l’occupation, passant au-dessus de nos conseils et faisant un point d’honneur à ne pas céder. La journée du lendemain s’est déroulée dans une atmosphère de siège, la direction multipliant les provocations pour faire monter la tension. Finalement le soutien à l’extérieur grandissant, la préfecture a fait intervenir 600 CRS avec armes et bagages pour faire évacuer les lieux par la force. L’affrontement physique a été évité de peu grâce au sang-froid des occupants et à la volonté des responsables de la police.
A partir de la réquisition de la rue du Volga le Comité est devenu clairement un Comité de lutte à la façon d’une lutte d’entreprise.

L’ASSEMBLEE GENERALE DE JUILLET 1988

Les statuts du Comité des Mal-Logés prévoyant une assemblée générale une fois par mois et la situation l’exigeant, nous avons convoqué 300 personnes à une réunion où 180 sont venues.
Les propositions programmant la prochaine opération de réquisition à la rentrée scolaire et l’approfondissement de la propagande dans les entreprises ont été adoptées rapidement.
Une proposition d’élargissement et de décentralisation émanant de militants de PPLC a rencontré de vives réactions des camarades du Comité qui y virent un risque de division du Comité. Un statu quo a été obtenu, sur l’ouverture d’une permanence dans le 18e arrondissement à la condition que le centre de décision reste dans le 20e (cette question n’eut pas de suite pratique à cause du dilettantisme chronique de ceux qui en firent la proposition).

La discussion porta ensuite sur l’autonomie des immeubles, la circulation des informations et la question de l’autonomie du Comité par rapport au gouvernement. Cette dernière question est importante car les restes d’"Un Logement d’Abord" avaient en projet, la création d’activités "socio-éducatives", de restaurants, de réfection du squatt, et cela subventionné indirectement par le gouvernement et autorisé par la ville de Paris. Mais devant les oppositions ils avaient décidé de passer outre. Nous avons donc posé le problème devant l’AG. La discussion dégénéra rapidement, les "squatters" et une famille du 67 refusaient au Comité d’avoir son mot à dire sur ces projets ; alors que le local du Comité est établi au 67 et que s’il "tient" c’est grâce au rapport de forces de la lutte collective. Cette discussion provoqua le départ ou la colère de la majorité des présents.

Si, à cette occasion nous n’avons pu réduire par un vote clair le point de vue diviseur défendu dans le Comité, nous n’avons pu montrer aux africains et aux maghrébins du Comité quelle était la nature de l’antagonisme qu’ils percevaient, et que nous, nous n’avions pas l’intention de monnayer la lutte.

Depuis la mise sur le tapis de ces questions ayant permis de renforcer la démocratie (les décisions étant prises en réunions hebdomadaires du Comité), les porteurs de ce courant se sont pour la plupart désinvestis de l’activité du Comité des Mal Logés ; et cette tendance bien que toujours présente au 67 n’y est pas majoritaire (surtout parce que les subventions espérées se font attendre).

Toutes ces expériences, tous ces débats n’ont pas été vains car c’est ainsi qu’un nombre important de camarades du Comité a compris que les enjeux de la lutte des mal-logés va bien au-delà des questions immédiates de logement.


IL EST JUSTE D’OCCUPER DES MAISONS
IL EST JUSTE DE REFUSER LE TRAVAIL SALARIE

S’il est normal d’avoir une activité utile pour l’ensemble de la collectivité, il nous parait injuste, absurde, et néfaste de travailler de façon abêtissante sous les ordres d’une hiérarchie en échange de salaires misérables, pour produire des marchandises dont l’utilité est d’enrichir une classe de privilégiés.
Au travail on nous vole nos efforts parce que certains détiennent la propriété privée des machines, du savoir technologique, des marchandises produites.

En exemple : dans le logement, cette même logique permet aux exploiteurs, de faire construire à des travailleurs des maisons, puis de les louer aux mêmes travailleurs, voire de les exclure du droit au logement suivant les périodes.

Pour ces raisons il nous paraît juste que les travailleurs : ceux à qui la bourgeoisie impose de n’avoir que la vente de leur force de travail pour survivre (indépendamment du fait qu’ils soient aujourd’hui actifs, au chômage, précaires, ou en retraite), refusent de travailler, reprennent les maisons.

Mais si aujourd’hui des milliers de prolétaires squattent des maisons, ne travaillent pas, ce n’est certainement pas (comme certains voudraient le faire croire) parce que c’est un choix ou une forme de résistance, mais bien parce qu’en période de crise du capital, la bourgeoisie qui cherche à maintenir son taux de profit n’a d’autre politique que la paupérisation croissante du prolétariat.

En matière de logement l’état ne cherche plus à "préserver" le logement des travailleurs car il est de moins en moins nécessaire d’assurer la reconstitution de leur force de travail.
Cela signifie des loyers de plus en plus chers par rapport aux revenus, des expulsions, des cités qui deviennent des bidonvilles, des incendies, des sans-abris qui n’ont d’autre solution que de squatter.
Au regard de cette situation, squatter la plupart du temps des appartements-taudis, vivre, sans travailler, de 2700 F. minimum-charité, ne saurait constituer une attaque contre le travail salarié et la propriété privée.

Au contraire s’en tenir là, valoriser ce qui n’est qu’une façon de survivre, serait une façon de se complaire dans les conditions de misère que l’on nous impose. Seule la lutte peut modifier favorablement nos conditions de vie. Ne pas comprendre cela, c’est ne pas comprendre que la bourgeoisie, elle, lutte sans relâche pour nous exploiter toujours davantage.

(Tract de GPVC pour polémiquer contre la tendance "alternative" (les squatts) dans le mouvement des occupations de logements vides.)

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