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Comment la Chine révolutionnaire en a fini avec la drogue

Partisan N°44 - Octobre 1989

Dans la Chine ancienne, les revendeurs vendaient de l’opium comme on vend des glaces, sur des petits chariots. Dans les années 20, la Chine produisait 90% de l’opium du monde et importait des tonnes de morphine et d’héroïne. Pendant la 2ème guerre mondiale, il y avait quelques 70.000.000 drogués, soit plus de drogués dans un seul pays que d’habitants dans la majorité des pays du monde !

Cependant, en 3 ans pratiquement, entre 1949 et 1952, la Chine éliminait le cauchemar des narcotiques. Il n’y avait plus de drogués, ni revendeurs, ni cultivateurs ni contrebandiers de drogue. Cela peut-il être vrai ? Est-il possible de réussir en si peu de temps ? Est-ce que cela n’est pas en contradiction avec tout ce que nous savons de la "nature humaine" ? Est-ce que ces méthodes ne pourraient pas être utilisées pour en terminer avec la drogue dans les pays capitalistes développés comme les Etats-Unis ?...

LES PERTES HUMAINES

Les pertes humaines dues à la toxicomanie étaient énormes. Les travailleurs essayaient de calmer la faim par des rêves lénifiants et préféraient acheter de l’opium plutôt que de la nourriture. Des milliers d’opiomanes sont morts de faim. D’autres abandonnaient leurs enfants ou les vendaient pour acheter davantage d’opium...

Harry Franck, un écrivain qui voyageait en Chine en 1924, décrivait.la situation de la province de Yunan :
"... Des sources chinoises bien informées rapportent que 9 hommes sur 10, 6 femmes sur 10 et quelques enfants des écoles intermédiaires de Kunming, fument de l’opium... Presque tous les coolies portaient sans les dissimuler leurs pipes d’opium et les petites boîtes de conserve pour la lampe à huile ; n’importe quelle misérable boutique de thé ou de riz vendait de l’opium aussi ouvertement que du tabac : un demi dé à coudre d’un liquide vénéneux de la couleur de l’ambre pour 10 "centavos" de Yuan, qui durait de 10 à 15 minutes..."

LA LIBERATION

Le 1er octobre 1949, Mao Tsétung proclamait sur la place Tien An Men de Pékin : "Le peuple chinois s’est remis sur pied". Quelques mois plus tard, le 24 février 1950, le gouvernement interdisait l’opium et autres narcotiques. "On n’autorisera ni la contrebande, ni la fabrication, ni la vente de l’opium ou de tout autre drogue ; tout contrevenant sera durement châtié". Toutefois, le parti communiste chinois savait très bien qu’il ne pouvait éradiquer l’opium simplement en le déclarant illégal.

Seules les masses pouvaient combattre ce problème. Pour éliminer un problème aussi ancré que celui de l’opium, il était nécessaire que le peuple détienne deux armes essentielles : la direction du Parti Communiste de la Chine et le pouvoir de l’état. Sans l’un ou l’autre, il ne pouvait y arriver.

Le PCC a abordé la question en faisant une distinction très nette entre les grands chefs de l’opium et les impérialistes étrangers qui, ensembles, étaient l’ennemi responsable du commerce de l’opium et leurs victimes. Cette distinction était importante parce que chaque contradiction nécessitait sa solution. Pour lutter contre les contradictions au sein du peuple, on utilisait des méthodes d’éducation, de persuasion et de mobilisation populaire...

Pour commencer, on s’abstenait de stigmatiser ou d’accuser les opiomanes de criminels. Ils étaient les victimes des étrangers impérialistes qui ont obligé la Chine à acheter de l’opium et on se devait de les traiter ainsi ; reconnaître publiquement sa dépendance et rechercher un traitement était une action révolutionnaire digne de vivats.

D’un autre côté, on a aussi imposé des délais. Ceux qui fumaient depuis longtemps avaient 6 mois pour cesser.

Les autres, 3 mois. Ils pouvaient garder leur opium jusqu’à la fin du délai, on ne leur confisquerait pas et on ne les arrêterait pas. On leur offrait une assistance médicale, principalement des injections de sulfate de magnésium pour apaiser les crampes que provoque l’abstinence ; ces services médicaux étaient à l’écoute de nombreux problèmes. Et on leur proposait un emploi.

Ce ne fut certes pas facile. Les opiomanes ne disaient pas : "Quelle chance, maintenant je vais arrêter de fumer" et abandonnaient leur drogue. La majorité ne voulait pas être identifiée comme drogués et continuait à chercher des sources d’approvisionnement illégales d’opium. Ils avaient peur d’être punis et ne pouvaient pas se sevrer d’eux-mêmes.

UN PROBLEME PROFONDEMENT POLITIQUE

De même qu’avec la réussite de la campagne pour l’élimination des maladies vénériennes, on a compris que le problème de la drogue était un problème profondément politique. C’est-à-dire, la solution n’était pas de découvrir un médicament, une analyse ou un vaccin merveilleux. La solution était dans la mobilisation des masses à reconnaître la nature du problème et à ce qu’elles-mêmes se chargent de résoudre ce problème une bonne fois pour toutes. A Canton, comme dans d’autres villes, le problème pour convaincre les opiomanes à admettre leur problème et à demander un traitement était devenu quelque chose d’une grande importance pour toute la société.

A travers tout le pays, on organisait des marches et des meetings. On discutait du problème dans les écoles, à la radio et dans la presse. Les autorités de chaque quartier lui donnaient priorité. Les familles les unes après les autres s’attaquaient avec anxiété au problème ; les enfants persuadant les parents, les épouses persuadant leurs maris d’admettre publiquement leur dépendance. Dans la Chine ancienne, être opiomane était honteux, mais tout d’un coup, le reconnaître était une cause de fierté. Ceux qui se décidaient à l’admettre étaient considérés comme des combattants pour l’édification de la Chine nouvelle, pour le bienfait de tous les opprimés…

Parce que c’était quelque chose de si dramatique et universel et parce que les efforts de la police du gouvernement révolutionnaire éliminaient en même temps les sources de drogue, la campagne fut une grande réussite. En mars 1951, 5.000 opiomanes de Canton répondaient à l’appel. Le 3 juin fut proclamé "le jour de la suppression de l’opium". C’était le 112ème anniversaire de la première destruction publique de l’opium importé (1839) et 4.000 drogués, 20.000 parents et 5.000 représentants des diverses communautés et usines remplirent le nouveau stade civique pour le célébrer.

Ville après ville, on assistait à la même chose. Le facteur décisif fut une campagne populaire au niveau du voisinage, combinée à la destruction du vieux pouvoir d’état qui protégeait le commerce de l’opium. Fin 1951, l’agence d’information de la Chine nouvelle annonçait que le problème de la drogue était fondamentalement résolu au Nord et Nord-Est de la Chine (les premières régions libérées). Au sud, ce fut un an plus tard.

QUE FAIT-ON DES REVENDEURS DE PETITE ENVERGURE ?

Ce qui a incité les grandes masses de drogués à changer fut le mouvement social et l’appui social. Avec l’aide de la communauté et des membres de la famille, la plus grande majorité des drogués a surmonté la période d’abstinence dans sa propre famille bien avant le délai des 3 ou 6 mois. Peu d’entre eux durent être hospitalisés. La force et les lois n’étaient pas la solution fondamentale. Il incombait au peuple libéré du joug du féodalisme et de l’impérialisme de s’occuper de sa propre libération. Les drogués étaient les victimes des ennemis de classe et non l’ennemi, peu importait le nombre de mauvaises actions qu’ils avaient commis pour assouvir leur soif de drogue.

Avec les revendeurs, le gouvernement et le parti communiste de la Chine adoptèrent la même politique précautionneuse de s’appuyer principalement sur les masses et de faire la distinction entre le peuple et l’ennemi. Par exemple, beaucoup de revendeurs étaient ces gens extrêmement pauvres qui vendaient de l’opium pour survivre. De même que des millions de paysans cultivaient l’opium sur leur lopin de terre parce que c’était ce qui payait le mieux. Ces gens n’étaient pas l’ennemi mais ils craignaient la nouvelle politique du gouvernement qui consistait à supprimer totalement la culture et la vente de l’opium. Beaucoup avaient tout investi dans ce commerce. Ils avaient peur de se retrouver sans rien, comme des mendiants. De toute évidence, les déclarer criminels et les considérer comme des ennemis les enfoncerait davantage dans le monde de la pègre et rendrait plus difficile la suppression de l’opium.

Pour combattre ce problème, le gouvernement faisait une offre étonnante. Il offrait de racheter, au prix du marché, tout l’opium que les revendeurs et les petits cultivateurs leur remettraient et détruisait cet opium sur la place publique ! Bien évidemment il imposait ses conditions : l’offre n’était faite qu’une seule fois et les revendeurs et cultivateurs devaient abandonner le commerce. Mais c’était une offre sérieuse. Aucun des pauvres qui désirait réellement laisser tomber la vente de l’opium ne serait ruiné. Il devait simplement remettre sa drogue et en échange il recevait de l’argent. De plus le gouvernement leur garantissait un emploi et un nouveau départ. Eux aussi pouvaient contribuer à l’édification de la Chine nouvelle.

D’un autre côté, une punition sévère attendait ceux qui opposeraient une résistance. Il était définitivement illégal de cultiver ou de vendre de l’opium. Les récoltes de pavot étaient arrachées. Le peuple se chargeait de dénoncer les revendeurs et cultivateurs qui étaient dans l’illégalité. Leur châtiment dépendait de l’importance de leur crime et de leur attitude…

De quartier en quartier le système de distribution de drogue a pris fin parce que le peuple détenait le pouvoir de l’état.
Quant aux gros trafiquants qui s’enrichissaient sur la misère du peuple, ils étaient définitivement l’ennemi et recevaient le traitement mérité. "Avant la révolution, les revendeurs d’opium aimaient à dire " les policiers sont nos frères", raconte Tsai Jung-mai," ils entraient au commissariat par la porte de devant mais ressortaient immédiatement par la porte de derrière". Maintenant les rôles sont inversés.

Beaucoup de gros trafiquants se sont enfuis avec les Japonais quand l’armée de ces derniers a quitté la Chine en 1945, d’autres partirent à Taïwan ou Hong Kong en 1949.
Ceux qui ne se sont pas enfuis assez vite l’ont regretté. Ces grands criminels furent jugés en public dans des stades ou des arènes devant 1.000 personnes. Ils durent entendre les témoignages de nombreux drogués et parents de ceux anéantis par la drogue. Ces criminels furent très sévèrement punis : travaux forcés à perpétuité ou exécution capitale publique. Mais il y eut relativement peu d’exécutions : 5 ou 10 dans les villes les plus importantes.

C’est ainsi que la Chine a éliminé "le problème de la drogue" : en faisant une révolution.

POURRAIT-ON EMPLOYER CES MEMES METHODES ICI ?

Il faut se souvenir qu’avant la révolution, les Chinois avaient essayé toutes les solutions proposées aujourd’hui aux Etats-Unis. Ils ont cherché une drogue de substitution, comme la méthadone. Ils ont cherché à travers la religion. Ils en ont appelé à la fierté nationale. Ils ont essayé la légalisation. Ils ont demandé au gouvernement d’intervenir. Ils ont également fait appel à la conscience nationale. Cependant, c’est uniquement la révolution -la destruction armée de l’état cautionné par l’impérialisme- qui a permis que le pays se libère de la drogue…

Si le prolétariat n’émet pas une nouvelle monnaie, s’il ne prend pas le contrôle strict de la banque et des devises, il ne peut arrêter le blanchiment de l’argent.

Sans l’aide d’un peuple politiquement conscient et sans la supervision publique des autorités gouvernementales, il n’est pas possible d’en finir avec la corruption des fonctionnaires du gouvernement.

Si le prolétariat ne forme pas ses propres forces armées, il ne lui sera pas possible de contrôler la contrebande de drogue.

Sans la destruction de l’économie capitaliste, qui se fondait sur l’exploitation et les gains personnels, il n’est pas possible d’éliminer le commerce de marchandises nuisibles.

Sans centres médicaux à la portée du peuple, au lieu de les jeter dans les cellules d’ivrognes, il n’est pas possible d’aider les drogués.

Sans la vigilance organisée de la communauté, avec la collaboration et non l’oppression d’une police du peuple, il n’est pas possible d’enquêter sur toutes les sources des maillons de la distribution.

Sans le contrôle de la presse, de la radio et de la télévision par le peuple, il est impossible d’entreprendre les campagnes nécessaires pour que le peuple consacre sa force aux traitements des maladies sociales.

Si le peuple ne contrôle pas l’économie, la garantie d’une solution économique est irréalisable pour les pauvres entraînés dans le trafic de la drogue par nécessité et qui veulent réellement rompre avec ce trafic.

Si le peuple ne sait pas qui détient le Pouvoir, il aura peur de demander de l’aide.
Sans le pouvoir de l’Etat, il n’est pas possible de libérer les véritables victimes et de jeter en prison les véritables criminels !

En vérité, parler de l’élimination de la drogue sans une révolution prolétarienne est un rêve de fumeur d’opium.

Extraits d’une brochure du RCP des USA. "Ouvrier Révolutionnaire" est son journal. Adresse : Box 3486, Merchandise Mart Chicago IL 60654.

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