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Meeting National contre la Double Peine

Partisan N°67 - Janvier 1992

Samedi 14 Décembre 1991 avait lieu ce meeting à la Bourse du Travail de Saint-Denis et plus de 500 personnes remplissaient une salle archi-comble. Venant de toutes les cités de la banlieue parisienne, de toutes celles dont on a tant parlé ces derniers temps, jeunes et familles, beurs et blacks essentiellement, étaient venus à ce temps fort d’une campagne démarrée depuis plusieurs mois.
C’est quoi la Double Peine ? Très simple, c’est l’expulsion à la sortie de prison pour les étrangers. Avec toutes les conséquences qu’on peut imaginer pour la famille d’une part, pour des jeunes qui ont toujours vécu en France malgré leur autre nationalité d’autre part.
Un meeting fort et impressionnant, et il est plus que temps que "Partisan" se fasse l’écho d’une campagne qui touche largement les banlieues, et qui se démarque nettement du consensus actuel. Nous nous en ferons maintenant systématiquement l’écho (à la mesure d’un journal mensuel, bien sûr).

Bref historique

Le Comité contre la Double Peine s’est constitué en Juin 1990 à partir d’un réseau de contacts sur les banlieues, autour de la réaction de quelques jeunes directement concernés, expulsables ou revenus clandestinement après expulsion. Il poursuivait une première action ayant eu lieu en 1986 contre la loi Pasqua sur le même thème à l’initiative des Jeunes Arabes de Lyon et Banlieues (JALB, grève de la faim de Djida Tazdaït et Nacer Zaïr).
Depuis ce comité a pris de l’ampleur, regroupant plus de 1200 dossiers, mobilisant à chaque expulsion, intervenant dans les prisons grâce ’à une émission radio sur "Parloir Libre", et intervenant directement auprès des ministères et de l’Etat.
Les résultats concrets sont déjà importants : nombreux reports d’expulsion transformés en assignation à résidence, projet de loi en cours de débat interdisant (sous conditions d’ailleurs) ce type d’expulsion. Ils ont été reçus à plusieurs reprises par les ministères, ce qui ne les a d’ailleurs pas empêché d’être arrêtés à de multiples reprises ; même Mitterrand s’est fendu d’une déclaration à la télé en 1989 condamnant le principe de la double peine.

Pourtant, beaucoup reste à faire. Le projet de loi n’est pas encore voté, et en tous les cas avec des réserves inacceptables. Comme le faisait remarquer au meeting Noredine de "Résistance des Banlieues", si on met une barre maximum pour la condamnation interdisant l’expulsion (par exemple 4 ans), "ils s’arrangeront pour que les mecs prennent plus". Et puis si la loi Pasqua a été abrogée, les arrêtés d’application courent toujours, et Marchand a quand même sorti une circulaire (du 28 mars) visant à faciliter et accélérer les expulsions. Ensuite reste le cas des 15 à 20 000 condamnés déjà en prison, déjà expulsés ou déjà clandestins, non concernés par la loi à venir, et qu’il faut amnistier. Chose dont ne veut pas entendre parler le gouvernement, tout juste prêt à négocier cas par cas, suivant une tactique de division qui lui est chère. Dernière chose la remise en cause des assignations à résidence multipliées par le gouvernement en remplacement des expulsions, entraves à une vie normale, à la vie de famille comme au travail.
La campagne actuelle a commencé à l’automne dans toutes les banlieues, et doit normalement déboucher en ce début d’année d’une part sur une grève de la faim collective, d’autre part sur une arrestation collective des militants sur le thème "on ne veut plus être clandestins, y’en a marre".

Un meeting de révolte et de combat

Plus de 500 personnes des banlieues, une détermination, une combativité qu’on n’avait pas vues depuis longtemps. La mobilisation des familles, surtout des femmes, les compagnes, les mères, les sœurs qui "rompent le silence, qui osent enfin ouvrir la bouche" comme le dira Fathia, femme de détenu. "Les mères, les sœurs, elles dorment pas" dira Mohamed Hocine, un des fondateurs du Comité, ce qui explique leur forte mobilisation. D’ailleurs les 2/3 de la salle étaient concerné par une expulsion d’un proche ou de la famille, comme l’a montré une forêt de mains levées en réponse à sa question.

Une combativité et une détermination bien ancrée sur des années de galère, sur le dos au mur, et puis sur le "y’en a marre d’en avoir marre", la nécessité d’agir parce qu’il n’y a pas d’autre moyen "aujourd’hui, on a dit ’Basta’, on n’a pas le choix, on ne peut pas laisser ça comme çà". Avec clarté sur le caractère collectif et politique du combat, Tarek, militant du Comité l’expliquera au début du meeting : "S’il y a des RG dans la salle, ils peuvent dire au ministre qu’il n’est pas question de discuter des cas individuels. Ça fait dix ans qu’on se bat, on se battra dix ans encore s’il le faut, mais on gagnera" et le même à la fin "ce qui compte, ce n’est pas de résoudre les cas individuels, ce qu’il faut c’est se bouger, se battre, on veut une réponse publique et collective, on est ici chez nous, j’y suis, j’y reste".
Une combativité bien visible dans la salle surchauffée, entraînée par la détermination des militants du comité, qui tranchait d’ailleurs avantageusement avec le discours juridique et légaliste des représentants du Syndicat de la Magistrature et du Syndicat des Avocats de France présents en soutien, ou des discours foireux des Verts, nationaux ou européens.

Un combat qui touche à tous les problèmes de l’immigration

Le paradoxe de ce meeting, c’est d’un côté son objet apparemment limité au départ (la double peine) et le fait qu’il a touché en réalité une multiplicité de problèmes, tous plus ou moins directement liés à l’immigration.

On a parlé des familles déchirées, où la moitié ont la carte française, l’autre moitié la carte de résidence, cela devrait déboucher sur l’égalité des droits. On a parlé des expulsions en général, sur le thème "J’y suis, j’y reste", ma vie est ici. On a parlé des clandestins bien sûr, puisque de nombreux militants le sont par les faits, même s’ils étaient à la tribune ou reçus par le ministre. En osant lever la tête, en refusant de vivre "comme des rats" comme dira Tarek, ils montrent la voie à tous les clandestins en France. On a parlé de la réforme des certificats d’hébergement (voir ci-contre) et des souffrances des familles qui ne peuvent plus avoir de visite. On a parlé de la justice et des avocats pourris qui se contentent d’encaisser l’argent des familles perdues dans les méandres judiciaires. On a parlé drogue et SIDA, puisque les 3/4 des délinquants concernés le sont pour des affaires de drogue avec une intervention particulièrement percutante et combative d’un militant de "Act Up", organisation de lutte contre le SIDA qui soutient le Comité (l’expulsion peut signifier la mort rapide pour les séropositifs, faute de soins). On a abordé à peu près tous les thèmes de discrimination envers les immigrés, jusqu’aux pensions inégales pour les anciens combattants !

Ce qu’il faut, comme le dira un membre du collectif de soutien, c’est "établir des passerelles entre ces combats", avec les déboutés du droit d’asile, les Mal Logés et beaucoup d’autres, pour élargir le combat "contre cette droite qui se dit de gauche". Ces passerelles existent dans les idées mais pas encore dans la réalité ; et c’est dans ce sens qu’il faut avancer. Pas seulement pour regrouper les luttes, mais pour organiser un combat commun contre le gouvernement.

Un grand absent de l’après-midi : le chômage, pas un mot. Et pourtant, si tant de jeunes se retrouvent à galérer, puis en prison, c’est faute de travail. Sujet tabou, le chômage. Et pourtant, peut-on passer à côté ?

Contre le PS et ses larbins

Pas d’ambiguïté dans ce meeting sur le gouvernement et ses larbins (cf ci-contre un texte extrait du bulletin du comité). Il est vrai que ça fait belle lurette qu’ils sont démasqués. Les interventions successives ont montré comment les mesures actuelles resserraient l’étau sur les populations immigrées, favorisaient la clandestinité (le retour des expulsés), et encourageaient la délinquance ("quand t’es clandestin, comment tu vis ?").

Quant à la manifestation du 25 Janvier, elle était radicalement dénoncée comme une récupération du PS, comme une grand’messe certes anti Le Pen, mais qui ne s’attaque pas aux vrais problèmes. "Le Pen, Le Pen je veux bien, mais moi c’est la double peine que je subis". Les "épiciers" comme on les a appelés ici étaient critiqués à plusieurs reprises. Curieusement le PC a échappé à la critique alors qu’il avait annoncé son soutien, la venue d’un député au meeting, et qu’en fait personne ne s’est déplacé. Il est vrai que le parallèle délinquance/immigration, le PC aime bien, il n’a rien à envier à Le Pen, n’est-ce pas ? Nous en tous les cas on n’a pas oublié son tract torchon de juillet dernier qui était tout à fait clair à ce propos (cf "Partisan" de septembre).

Y’en a marre d’avoir marre, on veut vivre dans la dignité

Depuis longtemps l’explosion des banlieues soulève la question de l’organisation des jeunes et moins jeunes en leur sein. Nous l’avons abordé à propos de Vaux en Velin ("Partisan" N°56) et plus récemment à la fin de l’été ("Partisan" N°63).
Manifestement, le Comité contre la Double Peine est le début d’une organisation sérieuse et qui va dans le bon sens.

Pour avancer ensemble, posons quelques questions.
"On veut qu’on nous laisse tranquille, on a payé notre dette à la société". OK, c’est le sens du juste combat contre la double peine, pas de problème.
Mais ça veut dire quoi "être tranquille" ? Ça veut dire quoi quand on n’a pas de boulot, c’est quoi "l’espoir de redémarrer sa vie" quand il y a trois millions de chômeurs, que les usines restructurent à tour de bras, licenciements à la clé ?
"Il faut faire pression pour obtenir le maximum", tout à fait juste, et comme dit dans un tract, "ça s’arrache". Mais c’est quoi le "maximum" ? Le droit d’être tranquilles au chômage ? Le droit d’être exploités dans les bagnes capitalistes ? L’insertion dans la France de l’exploitation ?
"Nous, on ne fait pas de politique" disait Mohamed Hocine. Si s’attaquer à la fois à Le Pen, Pasqua, et au PS c’est ne pas faire de politique, d’accord, je veux bien. La politique politicienne à la poubelle, très bien. Mais il faut bien s’interroger sur les raisons de cette vie, sur la galère du chômage, des cités, du racisme, de la Guerre du Golfe. Qui en est responsable, comment changer tout ça ? La question, elle est bien posée. Parce que sinon, ce qu’on réussira à gagner d’un côté, on le reperdra de l’autre : le pouvoir, pour l’instant c’est les bourgeois qui le tiennent...
Enfin le combat juridique, les négociations ont une importance certaine pour le Comité, et nous ne le reprocherons pas. Seuls les bavards puristes bien au chaud dans leurs fauteuils peuvent reprocher ce type d’intervention. D’autant qu’il y a une occasion bien réelle d’enfoncer un coin dans la politique bourgeoise, à partir des incohérences du Code Pénal. Comme pour les déboutés du droit d’asile, il faut en profiter. Mais comment faut-il le prendre ? Faut-il se féliciter d’avoir "les portes des ministères ouvertes" comme on a pu l’entendre dans tel meeting local (ce qui n’a d’ailleurs pas été repris au meeting de Saint-Denis) ? Cela reflète-t-il un vrai rapport de forces, les contradictions du PS piégé, ou un peu des deux ? Les illusions sont dangereuses... et les sociaux-démocrates sont particulièrement habiles à récupérer tout ce qu’ils peuvent pour désamorcer les luttes, ils ont déjà une longue expérience.

Nous sommes tous désintégrés

Nous sommes tous clandestins

Nous soutenons le combat du Comité contre la double peine, car c’est un morceau de notre combat pour la libération. Dans les usines et les cités, chômeurs ou au boulot, français ou immigrés, blancs ou bronzés, légaux ou clandestins, hommes ou femmes, les ouvriers et les travailleurs n’ont pas de place dans cette société. Nous sommes des pions dans une société où tout se décide là-haut. Et c’est cela que nous combattons, que nous voulons changer.
Notre intégration, comme le faisait remarquer un membre du comité, c’est notre intégration au combat commun, la résistance pour préparer une autre vie. "Voir tout ce monde aujourd’hui, je me sens protégé, je me sens fort" disait un autre membre du comité. C’est cela qu’il faut structurer, cette force qu’il faut diriger et organiser.


Extrait d’une publication du Comité : MOINDRE MAL...

Au nom du moindre mal (mieux vaut JOXE que PASQUA, MITTERRAND que CHIRAC ou GISCARD), les "associations antiracistes" (de 1988 à 1990) avaleront tant de couleuvres qu’elles en perdront leur âme et le dynamisme qui les caractérisaient au début des années 80.

Le PS avec ses tentacules (FAS, Mairies, postes à pourvoir, SOS Racisme, France Plus, LDH, CLAP, etc.) calmera les ardeurs arrosant à tout va. Au nom du consensus sur l’immigration, il sera fortement conseillé aux différentes officines du PS de faire l’autruche sur les atteintes aux droits fondamentaux des résidents étrangers, en attendant que les Français soient moins racistes, ou que la droite revienne au pouvoir. Ne parlons pas de ce qui divise, cela pourrait profiter au FRONT NATIONAL ! Justement, la question des expulsions divise la gauche et les associations antiracistes. A tel point que depuis l’abrogation de "la loi PASQUA" la question de "la Double Peine" a été rangée dans le placard de l’oubli. "La loi PASQUA" a été abrogée, mais les milliers de personnes déjà touchées par cette même loi ont été oubliées, n’ont pas été amnistiées. Qui plus est, la question des interdictions du territoire à l’encontre de personnes ayant toute leur vie familiale en France a été complètement occultée. "Vous comprenez les stupéfiants, c’est pas très populaire, et associer l’immigration avec la drogue c’est mortel et ça, profitera à l’extrême-droite"...nous dira un représentant de SOS Racisme. Pour d’autres, il est hors de question de défendre des dealers...

C’est dans ce décor que quelques expulsés, leurs familles et amis se sont regroupés afin de se battre pour que soit reconnue l’inviolabilité du séjour des étrangers ayant leurs attaches sociales et familiales en France. Deux lois permettaient leur expulsion. L’une - L630-1 - date de 1971 et donne la possibilité au juge de prononcer l’Interdiction Temporaire ou Définitive du Territoire Français pour les délits touchant aux stupéfiants, l’autre, l’article 26 dit d’Urgence Absolue", permet de passer outre les protections de l’article 25.

Le comité demandait donc l’introduction de l’article 25 dans le code de la santé publique et dans l’article 26. Si les gouvernements depuis 1981, ont revu les expulsions administratives, aucun ne s’est attaqué au Code de la santé publique qui touche le plus grand nombre de gens.

Ainsi donc, les interdictions du territoire n’ont rien à voir avec le gouvernement CHIRAC-PASQUA, mais plutôt POMPIDOU-MARCELIN. Sous PASQUA, comme sous JOXE, les juges avaient toujours la possibilité d’expulser. La seule différence entre les deux se situe au niveau des expulsions administratives pour trouble à l’ordre public qui ont été moindres sous JOXE que sous PASQUA, et pourtant !
Responsables d’associations, journalistes spécialisés, responsables de l’immigration et responsables politiques ne se doutaient pas que les expulsions continueraient comme au temps de PASQUA même si la loi avait changé de nom.
En clair, gauche ou droite, le problème des ITF n’a pas été réglé depuis 20 ans.

Et c’est pour remettre les compteurs à zéro que le comité s’est constitué. La gauche est coincée entre ses valeurs, les racistes "ces Français exaspérés par les ghettos d’immigrés" et les familles issues de l’immigration réclamant plus de dignité.
"On ne peut accueillir toute la misère du monde"... "quota"... "on expulse autant que la droite" - voir circulaire Marchand - "charters"... que de salive dépensée pour calculer l’ardeur des militants socialistes. Empressée de démontrer au pays son acceptation d’une politique répressive à l’encontre des étrangers, après l’épisode des foulards terrorisant la démocratie Française et ses valeurs, la gauche tentera un rapprochement avec les thèses de la droite "modérée" afin d’établir un consensus sur l’immigration. D’un côté les démocrates, de l’autre LE PEN et la droite extrême...

En 1991, comme depuis 10 ans, l’immigration sera au centre du débat politique, alors que les principaux intéressés, les immigrés, ne seront toujours pas considérés comme des gens ayant droit à l’égalité de traitement devant les lois. Se réclamer de la Démocratie et des Droits de l’Homme, en excluant une partie de la population, en remettant au goût du jour des discours que l’on croyait réservés aux racistes, tel est le choix politique de ceux qui nous gouvernent... En 1992, les nouveaux règlements européens vont encore restreindre les droits des résidents étrangers sans qu’aucune consultation n’ai eu lieu dans les pays signataires.
Il nous faut donc reprendre l’initiative et si le mur de Berlin est tombé le 3 novembre 1989 ce ne n’est pas pour bâtir une "forteresse blanche".

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