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Novembre 1936 : les Brigades Internationales

Partisan N°84 - Novembre 1993

Quand le nationalisme paraît emporter tous les peuples d’Europe et que les entreprises Impérialistes se camouflent sous le prétexte d’un « droit d’Ingérence humanitaire », il est utile de rappeler l’exceptionnelle manifestation d’Internationalisme que furent les Brigades Internationales qui, de 1936 à 1938, combattirent en Espagne la réaction nationaliste et ses alliées fascistes d’Italie et d’Allemagne.

En Espagne, au début de 1936 les élections débouchèrent sur un gouvernement de Front Populaire qui souleva d’immenses espoirs parmi les ouvriers et les paysans pauvres. La mobilisation populaire suscita la crainte des propriétaires fonciers, de l’oligarchie financière, de l’Eglise, et des capitalistes européens propriétaires des grandes entreprises espagnoles. Peur de toute la réaction qui organisa un soulèvement militaire. En juillet 1936, le général Franco, chef des armées du Maroc (le nord du Maroc est alors entièrement colonie de l’Espagne) entreprenait la reconquête du pays.
La république espagnole s’adressa au gouvernement français auquel la liait un accord commercial pour se fournir en armes, avions, chars et munitions. Le gouvernement de Front Populaire français hésita à les lui fournir, préférant convaincre les autres puissances européennes d’une politique de non-intervention. Cette volonté était soutenue par les pacifistes qui craignaient l’extension de la guerre en Europe, et par l’extrême gauche (Trotskyste et gauche Pivertiste du PS - du nom de son dirigeant Marceau Pivert) qui pensaient que les armées bourgeoises ne pouvaient pas contribuer à la libération des exploités. « La République sociale d’Espagne se sauvera elle-même » écrivait un dirigeant de la gauche pivertiste.
Le 9 août, le gouvernement qui espérait la signature d’un traité de non-intervention, dénonça l’accord commercial qui le liait à l’Espagne et interdisait les exportations d’armes. Le 23 août, un Pacte de non-intervention était signé entre la France, l’Italie, l’Allemagne, l’Angleterre et l’URSS. L’Italie et l’Allemagne violèrent immédiatement ce traité en envoyant armes et soldats contre les républicains espagnols. 50.000 Italiens combattirent aux côtés des nationalistes et la Légion Condor, escadrille allemande de chasseurs bombardiers, se distingua en expérimentant de nouvelles techniques de bombardement. Le dimanche 27 avril 1937, elle anéantissait le village basque de Guernica.
L’URSS fut alors prudente. Elle craignait d’être entraînée prématurément dans une guerre avec l’Allemagne. Elle était partagée entre un soutien internationaliste et la défense de ses intérêts nationaux. Le 21 juillet, l’Internationale Communiste (IC) vota à une large majorité, mais pas à l’unanimité le soutien à l’Espagne. Les maréchaux russes poussaient à la modération, mais les partis européens, PCF en tête, au soutien. Après ces hésitations ce fut pourtant l’URSS qui, avec le Mexique, apporta dès octobre 1936 aux républicains espagnols l’essentiel de l’aide en matériel militaire.
Le PCF s’efforçait de concilier une politique intérieure opportuniste qui lui faisait rechercher l’appui des bourgeois du parti radical pour constituer un « Front Français », et les exigences de sa base ouvrière et populaire qui attendait un engagement résolu aux côtés des républicains espagnols. Ainsi, quand au mois d’août 1936, les ouvriers de Renault proposèrent de livrer un char Renault, le parti suggéra l’envoi d’une ambulance. Malgré les contradictions de sa politique, il fit campagne sans relâche pour le soutien à l’Espagne républicaine : collectes, acheminement de matériels et d’armes par voie clandestine grâce à la création d’une compagnie de navigation.

Dès novembre 1936, l’aide s’organisa sous l’impulsion de l’Internationale Communiste qui recruta à Paris des « Brigades Internationales », armées avec le matériel fourni par l’URSS. 35.000 brigadistes de 54 nationalités allèrent ainsi combattre sur les principaux fronts espagnols. Les Français étaient les plus nombreux (8.000) suivis par les Polonais, les Italiens, les Américains, les Allemands. Des Juifs de Palestine, des Brésiliens participèrent aux combats. Tous ces combattants étaient animés par la conviction profonde de servir une cause commune en luttant en Espagne contre le fascisme. Ils participèrent aux combats décisifs de la guerre, de la défense de Madrid à la bataille de l’Ebre en automne 38, dernière résistance à la poussée des armées nationalistes.

Les brigadistes étaient regroupés selon leur origine nationale : les Allemands dans le commando Thaelmann, les Italiens dans la Centuria Gascone Sozzi. Les Français dans la brigade la Marseillaise ou le bataillon Commune de Paris, les Américains dans la brigade Lincoln.
Les brigades sont l’exemple le plus éloquent d’engagement internationaliste. Ouvriers, intellectuels, militants socialistes, communistes ou démocrates n’étaient pas des soldats comme les autres, mais des combattants conscients dans la lutte contre la réaction. Georges Orwell écrira à propos d’eux « On n’aurait pas supporté un seul instant le rudoiement et les injures qui sont monnaie courante dans une armée ordinaire. Quand un homme refusait d’obéir, vous ne le punissiez pas sur le champ, vous faisiez d’abord appel à lui au nom de la camaraderie ».
L’Internationale fournit aux brigades et aux bataillons espagnols, outre du matériel, des cadres politiques et militaires : le Français Marty qui dominait l’état-major des brigades. L’Italien Togliatti, les Allemands Walter et Kleber. Beaucoup étaient déjà éprouvés dans les combats de la Révolution, dans leur pays ou ailleurs.

Le PCF mobilisa de nombreux cadres expérimentés comme Tillon, deux membres du bureau politique (Marty et Billoux), de nombreux dirigeants des Jeunesses Communistes. Des élus s’engagèrent comme Grandel, maire de Gennevilliers, postier de son métier.
Les cadres de l’Internationale Communiste apportaient leur expérience, mais aussi certaines des pratiques qui se développaient dans l’Internationale et en URSS : direction autoritaire, répression des autres courants politiques engagés dans le même combat (trotskystes et anarchistes), règlement des contradictions politiques par la liquidation des opposants, avec l’assassinat du dirigeant du POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste) trotskysant.
Fin 1938, les Brigades durent quitter l’Espagne. Mais pour les brigadistes le combat ne s’arrêtait pas. La plupart se retrouvèrent engagés dans la résistance antifasciste en France ou dans leur pays. La moitié des 4.500 brigadistes français rescapés de l’Espagne moururent dans les combats de la Résistance, auxquels participèrent Allemands et Italiens antifascistes, réfugiés républicains espagnols et d’autres qui se replièrent avec eux sur la France après la défaite des Républicains.

De cet exemple d’internationalisme, nous pouvons pour aujourd’hui retenir plusieurs enseignements.
Le premier est que les communistes, les progressistes ne sont pas neutres dans les conflits qui peuvent exister entre pays ou au sein d’un pays. Ils ne sont pas pour séparer des camps ; mais pour soutenir celui qui incarne une cause légitime et juste (ou pour la défaite de leur impérialisme dans une guerre inter-impérialistes).
Le deuxième est que ce soutien ne peut pas consister à demander l’intervention des puissances impérialistes (comme c’est le cas aujourd’hui pour l’ex-Yougoslavie). Ce soutien est une tâche et un engagement d’ouvriers et d’exploités vis-à-vis d’autres exploités ou opprimés dont ils partagent les aspirations et les buts. Et il peut exiger comme c’était le cas pour les Brigades la participation directe à leur combat.
Le troisième est que ce soutien, pour se déployer largement, doit être porté et organisé par des organisations communistes, tant au niveau national qu’international. Toutefois, l’absence de ces organisations ne doit pas être un prétexte à ne pas pratiquer l’internationalisme dès maintenant.
G. Fabre

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