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Leçons du Chili d’Allende

Article de Partisan n°82 - Septembre 1993

Le 11 septembre 1973, l’armée chilienne mettait fin au gouvernement d’Unité Populaire (UP) dirigé par Allende, élu trois ans plus tôt. Son gouvernement qui voulait mettre en œuvre "une voie chilienne au socialisme", une voie non violente et respectueuse de la légalité, se terminait dans les massacres, les tortures et la répression du peuple qui avait exprimé ses propres aspirations qui allaient bien au-delà de celles du gouvernement.

Les origines de Unité Populaire

En septembre 1970, Allende candidat du parti socialiste chilien était élu avec seulement 36,3% des voix, grâce à la division du centre (la démocratie chrétienne) et de la droite (le parti national) qui avaient présenté chacun un candidat.

 

Son élection survenait dans un contexte de crise économique et de poussée du mouvement populaire. La démocratie chrétienne, au pouvoir depuis 1965, avait été élue sur un programme de réforme (réforme agraire entre autres) et de développement économique appuyé sur les capitaux étrangers. Elle avait d’abord connu certains succès. Mais dès 1968, les choses se gâtent, la production industrielle stagne, l’inflation et le chômage reprennent. les promesses de réformes non tenues poussent les paysans à occuper les terres, et les ouvriers déclenchent des grèves. La CUT, centrale unique des travailleurs, passe de 271.000 membres en 1964 à 550.000 en 1970.
Allende présentant son dernier gouvernement dans lequel il y avais plusieurs militaires. Quelques jours plus tard, les généraux-ministres, fatigués d’attendre, décidaient de s’asseoir eux-mêmes dans le fauteuil présidentiel, démontrant, une nouvelle fois, que ceux qui ont le pouvoir ne sont pas ceux qui bavardent ou tiennent le devant de la scène, mais ceux qui ont les armes.

Le programme de l’Unité Populaire

Salvador Allende est membre d’un parti socialiste qui hésite entre l’action révolutionnaire et la voie parlementaire. Il est soutenu par le PC qui a choisi "la voie pacifique de transition du capitalisme au socialisme", par le MAPU issu d’une scission de la démocratie chrétienne et par de petits partis centristes.
Son élection doit être ratifiée par le parlement où l’UP est minoritaire. Pour obtenir l’appui de la démocratie chrétienne, Allende doit ainsi dès le début donner des gages à celle-ci, et entre autres, le respect des institutions politiques.
Le programme de transition du gouvernement d’Allende est défini par trois axes. D’abord, achever la réforme agraire entamée par la démocratie chrétienne, de manière à faire disparaitre les latifundia improductifs.
Ensuite, étendre l’aire de la propriété sociale en nationalisant les mines de cuivre, l’énergie, les transports, les banques de manière à porter le contrôle de l’État sur 70% du produit national brut.
Enfin, améliorer les conditions de vie des masses, les salaires, le logement. Pour soutenir ce programme le gouvernement compte sur les recettes d’exportation du cuivre.

La voie réformiste contre les aspirations populaires

La réalisation pacifique de ce programme va se heurter à l’hostilité de la bourgeoisie soutenue par l’impérialisme américain et à la volonté des masses de voir leurs conditions de vie changer réellement. Et chaque concession gouvernementale à la bourgeoisie et à l’impérialisme provoque une radicalisation politique des masses ouvrières et populaires, rendant encore plus illusoire une isssue pacifique.
En 1971, un puissant mouvement populaire s’oppose à l’indemnisation des sociétés impérialistes, prévue par la loi de nationalisation du cuivre, sur le mot d’ordre : "Pas un sou pour les voleurs yankees". Il aboutit à une nationalisation de fait sans indemnité, les profits excessifs se déduisant de la valeur d’indemnisation.
Dès cette année, face à une réforme agraire qui partage les propriétés au-delà de 80 hectares, mais donne de la terre aux paysans, sans les moyens de la mettre en valeur - les troupeaux et le matériel n’étant pas partagés - les paysans occupent les latifundia. A ces paysans, Allende répond que "occuper des terres, c’est violer un droit".

 

Dès le milieu de l’année 1972, se créent les "cordons industriels" qui sont des organismes de coordination des travailleurs des entreprises d’une zone ou d’une localité, constitués de délégués élus. Ces premières structures autonomes de classe sont renforcées par la création de commandos communaux qui regroupent des délégués de toutes les organisations de masse d’une zone donnée.

 

En octobre 1972, les camionneurs entament une grève pour paralyser le pays. Cette grève échoue en novembre, grâce â la mobilisation populaire et à l’organisation de réseaux de ravitaillement et de distribution. Ces JAP (junte pour l’approvisionnement et le contrôle des prix) prennent en charge la distribution des produits de consommation sur la base d’un quartier avec la participation des ménagères, des syndicats et des petits commerçants.

 

En 1973, le gouvernement cherche à freiner le développement des JAP pour préserver la petite bourgeoisie. Face à ce courant dominant dans le gouvernement, la majorité du PS, ainsi que d’autres organisations, dont le mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR) proposent "d’avancer pour consolider", sans pour autant être conséquents avec cet objectif, et en particulier sans préparer l’affrontement avec les forces de la bourgeoisie.

La chute de l’Unité Populaire

Aux élections de mars 1973, la UP remporte 43% des voix, contre 34% en 1970. Ces élections manifestent une radicalisation des masses et ne laissent guère d’espoir à la bourgeoisie et à l’impérialisme de rétablir vite l’ordre par la défaite électorale de l’UP.

 

Les forces de la bourgeoisie préparent alors avec la participation active de l’impérialisme américain, l’élimination violente de ce gouvernement qui n’est plus à même d’endiguer la poussée populaire.

 

En juin 1973, une tentative de coup d’état avorte. Mais elle permet à l’armée de tester la réaction populaire et de repérer en son sein les éléments favorables à l’UP. La mobilisation populaire est forte ; mais le gouvernement s’appuie encore plus sur les éléments de l’armée qui ont réprimé le coup d’état (y compris Pinochet), croyant en cela neutraliser les éléments putschistes.
Dès lors, l’armée applique avec vigueur la loi de contrôle des armes, dans les quartiers des usines, arrête les soldats (marins en particulier) qui se sont dressés contre le coup d’état.

 

En juillet, les camionneurs alimentés en dollars par les USA engagent une nouvelle grève de paralysie. L’armée fait pression pour obtenir la démission du gouvernement du Général Prats trop proche de l’UP et son remplacement par Pinochet. Le 23 août, la Chambre déclare le gouvernement illégal. La Marine fait alors des manœuvres conjointes avec celles des USA.

 

Le 11 septembre, après avoir liquidé les soldats qui s’opposaient au coup d’état, l’armée s’empare du pouvoir, l’aviation bombarde le palais présidentiel où Allende meurt les armes à la main. Occupe les points stratégiques. Réprime la grève générale déclenchée par la CUT, arrête, emprisonne, torture les militants. Bilan 50.000 morts ou disparus.

Les leçons de l’UP

Dans une crise révolutionnaire, les travailleurs inventent spontanément les formes de leur pouvoir futur dans la lutte contre la bourgeoisie. Cordons industriels, commandos communaux. JAP étaient au Chili les formes nouvelles d’un pouvoir ouvrier en développement.

 

Mais c’est là, la deuxième leçon de l’expérience d’Unité Populaire, aussi fortes que soient ces organisations populaires, elles ne peuvent au mieux que déboucher sur une éphémère situation de double pouvoir, que seule l’action armée peut résoudre au bénéfice d’une classe, en prenant tout le pouvoir, c’est-à-dire l’État, en brisant le Quartier Général des exploiteurs. Si les travailleurs ne disposent pas de leur armée, ils ne peuvent sortir de cette situation que vaincus.

 

Enfin, et c’est là aussi une expérience renouvelée, si le dénouement de la crise révolutionnaire est tranché par les armes, encore faut-il que les ouvriers en armes disposent d’un état-major poli-tique capable de les orienter tant sur le plan stratégique que tactique. Les forces révolutionnaires chiliennes étaient faibles, divisées et surtout pour le MIR dans une attitude de soutien critique au gouvernement qui ne favorisait pas l’indépendance politique des ouvriers. Il manquait donc un véritable parti communiste ayant acquis la confiance des éléments les plus déterminés des masses.

 

G. Fabre

Plate-forme de lutte des cordons industriels de Santiago

 

Nous, travailleurs des cordons industriels, avançons comme programme d’action de classe immédiate :

 

1/ la lutte pour le passage aux mains des travailleurs, du secteur socialisé de toutes les entreprises qui produisent des biens de première nécessité, du commerce alimentaire et des usines de matériaux de construction.
2/ la lutte pour l’expropriation immédiate des grandes entreprises privées de la distribution.
3/ l’expropriation des exploitations de plus de 40 hectares (irrigués) ; confiscation des terres et nationalisation de l’exploitation.
4/ constituer un contrôle ouvrier de la production et un contrôle populaire de la distribution. Les travailleurs décideront de ce qu’on produira pour le peuple, de l’utilisation des profits...
5/ la lutte pour implanter une direction ouvrière dans toutes les entreprises du secteur nationalisé.
(...)
8/ pouvoir de sanction des JAP (collectifs d’approvisionnement) et des commandos communaux. Contrôle de ce qui est fourni aux commerçants et châtiment de ceux qui ne vendent pas, accaparent et spéculent...
(...)
12/ nous appelons tous les travailleurs à constituer les commandos industriels par cordons et les commandos communaux, unique moyen pour la classe ouvrière de disposer d’un organisme d’action efficace, capable de la mobiliser et de lui donner de nouvelles tâches.

 

Nous croyons que contrôler les moyens de production et la distribution, c’est consolider le processus, c’est créer une nouvelle économie aux mains de la classe ouvrière, c’est aller de l’avant. C’est pour cela que nous nous opposons à tout type de concession à la bourgeoisie.

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