Vous êtes dans la rubrique > Archives > Accords de Paix au Pérou ?

Accords de Paix au Pérou ?

Partisan N°84 - Novembre 1993

A deux reprises (mi-septembre et le 9 octobre), Abimaël Guzman, dirigeant emprisonné du PCP est apparu à la télévision péruvienne à grands renforts de publicité de la part du gouvernement de Fujimori, le contenu de ces enregistrements vidéo était on ne peut plus explicite : appel à la négociation pour rechercher la paix avec le gouvernement.

De telles déclarations sont tout d’abord extrêmement surprenantes ; rappelons ce que le président Gonzalo déclarait en 1988 lors de son interview au journal “El Diario” :
« Il faut partir du principe que dans les réunions diplomatiques, on ne signe que ce qui a été ratifié sur le champ de bataille, parce que personne ne donne ce qu’il n’a pas perdu, évidemment cela se comprend. Alors, on pourrait se demander : ce moment est-il arrivé au Pérou ? Non, il n’est pas arrivé ; alors pourquoi proposer ce dialogue ? Le dialogue ne cherche qu’à freiner, qu’à saper la guerre populaire ; c’est son but et il n’en a pas d’autre. Et j’insiste, le critère est que le moment des contacts et des pourparlers diplomatiques n’est pas arrivé, n’a pas de raisons d’être. (...)
Pour cette raison, selon moi, le papotage sur le dialogue - je le répète - n’a en fait qu’un but : chercher à saper la guerre populaire, car il ne correspond pas à la réalité. Lorsque le moment arrivera, la guerre populaire devra nécessairement développer des pourparlers diplomatiques ; mais notre diplomatie visera la conquête du Pouvoir dans tout le pays, pleinement et complètement (...). Nous voulons un seul Pérou, c’est notre condition : la reddition pleine, totale et absolue. Y sont-ils disposés ? Non, ce qu’ils planifient, c’est notre destruction
 ».

La situation a-t-elle tellement changé depuis 1988 justifiant un tel revirement ? Difficile à imaginer.
En l’absence d’éléments plus précis, on peut imaginer pour l’instant qu’il s’agit d’une nouvelle manipulation de l’information de la part de Fujimori et de ses alliés yankees, procédé dont ils ont toujours été très friands. On peut rappeler en particulier les faux tracts du PCP appelant à la grève armée quelques jours avant les vrais mouvements du PCP, les accusations de meurtres de journalistes dont on a appris plusieurs années après qu’ils avaient été tués par des paysans sous instigation de l’armée etc. Depuis treize ans on ne compte plus les déclarations tonitruantes sur les “désertions massives” de sendéristes, l’arrestation des “principaux dirigeants”, la fin de la guerre. Toutes les hypothèses de trucage sont donc envisageables.

C’est d’autant plus vraisemblable que la deuxième intervention (celle du 9 octobre) contient une reconnaissance explicite des succès de Fujimori contre la Guerre Populaire et pour redresser le Pérou : « Vous avez ensuite pris le pouvoir, et les événements ont montré que votre administration a accompli des avancées objectives, surtout depuis le 5 avril 1992 (le coup d’état de Fujimori, NdlR). On peut voir clairement que cette situation arrive comme une nécessité pour l’état péruvien. En conséquence, les hases d’un processus économique ont été posées, et la réorganisation de l’Etat a été menée à bien. En ce qui nous concerne directement, à partir de cette date et sous votre direction politique, votre administration a mis en œuvre une stratégie systématique et cohérente en divers domaines, spécialement dans le domaine du renseignement.
De réels succès ont été obtenus, spécialement avec la capture de cadres et dirigeants, y compris nous les signataires. Cela constitue à l’évidence le succès le plus important atteint par l’état péruvien sous votre direction durant ces 13 années de guerre
 ». Surprenant, non ?
Si le Président Gonzalo était effectivement dans les dispositions qui lui sont prêtées dans ces enregistrements, pourquoi ne pas le présenter à la presse, comme lors de son arrestation pour qu’il puisse s’expliquer et authentifier ce discours surprenant ? Fujimori ne prendra jamais ce risque, ce serait celui de se faire traiter publiquement de menteur et faussaire, par celui qui a montré il y a un an, en cage, la force d’un lion au combat.

Par contre, il est intéressant de signaler que le PCP - Base Lima vient de “rejeter les termes de cette lettre”. Selon une dépêche de l’agence Reuter, qui a rencontré un dirigeant du PCP le 6 octobre (entre les deux interventions, donc), celui-ci s’interrogeait sur l’authenticité du document, en se demandant si Guzman n’avait pas été “torturé ou drogué pour parler de cette manière” et en indiquant que “certains dans notre groupe ne croient pas que la voix soit celle de Gonzalo”. Il affirmait que “la Guerre Populaire allait continuer et que bien que quelques structures aient été affaiblies, le Sixième Plan se poursuivrait”. Il indiquait par ailleurs que la direction générale du Parti préparait un document de réponse à Fujimori.

Rappelons enfin que cette opération d’intoxication n’a pas lieu n’importe quand. Nous citerons un article de Luis Arce Borja, directeur de “El Diario Internacional” :
« Ce n’est pas un hasard si le début de la campagne médiatique de la supposée “lettre du président Gonzalo” coïncide avec le lancement, aux frais du gouvernement, d’une autre intense campagne de publicité dans différents médias des États-Unis et d’Europe où l’on insiste sur les “facilités d’investissements au Pérou”.
En deuxième lieu, la mise en scène est destinée à générer inquiétude et désarroi dans les secteurs politiquement les plus avancés du Pérou, qui considèrent la guerre populaire comme la seule voie pour leur libération définitive.
La dictature espère enfin, moyennant le recours à cette campagne mensongère, s’assurer la victoire au référendum du 31 octobre prochain, référendum destiné à approuver une nouvelle Constitution rédigée par un “Congrès Constituant Démocratique” soumis à la dictature
 ». (Solidaire, 20/10/93).

Plus que jamais il nous faut affirmer notre soutien à la Guerre Populaire par le PCP, notre soutien à une véritable révolution qui a marqué ces dernières années. Il nous faut défendre la vie du Président Gonzalo et de ses compagnons emprisonnés dont il y a toutes les chances que l’on prépare le “suicide désespéré” après le rejet évident de la négociation par le PCP…
A.D.

Selon une dépêche de l’agence Reuter du 8 octobre, le nombre d’affrontements militaires entre membres de l’Armée Populaire de Guérilla (dirigée par le PCP) et les forces armées du gouvernement durant le mois de septembre est le plus important par mois (107) depuis la capture du Président Gonzalo il y a un an. Le fait est particulièrement significatif, dans la mesure où durant la même période Fujimori n’a cessé de clamer la “défaite” virtuelle de la Guerre Populaire.
(Bulletin du Comité International d’Urgence pour défendre la vie d’Abimaël Guzman - 20 octobre 1993)

Soutenir par un don