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Israël/OLP : Un tournant historique et une trahison

Partisan n°83 - Octobre 1993

L’accord signé par la direction de l’OLP et le gouvernement sioniste a pris par surprise à la fois les militants palestiniens et l’opinion mondiale. Alors que l’actualité était aux bombardements sauvages du Liban (aujourd’hui totalement oubliés), à l’Intifada ou aux combattants palestiniens exilés, la nouvelle faisait l’effet d’une bombe à la fin du mois d’août.
Depuis, c’est l’embarras et la perplexité chez de nombreux militants sont souvent réduits à approuver à reculons cet accord, faute d’autre perspective et face à l’impasse dans laquelle semblait engagé le mouvement national palestinien. Très peu de tracts, de déclarations, de prises de position un minimum claires. Après avoir pris un peu de recul, essayons de remettre les choses en place.

Cet accord est une trahison du projet national palestinien

C’est le premier point incontestable. On peut argumenter comme on veut sur les compromis parfois nécessaires avec l’ennemi (que nous ne rejetons absolument pas par principe), les étapes nécessaires à tout combat, cet accord précis est une trahison sans appel du projet palestinien tel qu’il avait été défini dans les années 70.

 


- Il y a reconnaissance de l’état d’Israël et l’abandon à leur sort des réfugiés de 1948 dont le retour n’est même pas envisagé à la différence de ceux de 1967.
- Il y a l’acceptation d’une "autonomie" totalement contrôlée économiquement et politiquement par Israël.
- Il y a un partage des tâches de répression avec la constitution d’une police palestinienne qui est au cœur du dispositif de l’accord avec les sionistes pour faire la preuve de sa viabilité.
- Il n’y a aucune remise en cause des implantations juives, du contrôle de la terre, de l’eau et des communications par les sionistes.
- Enfin, l’accord laisse l’état sioniste maître du jeu pour ce qui est de l’avenir du processus, que ce soit pour les colonies ou pour l’extension de l’autonomie à l’ensemble de la Cisjordanie.

 

On est bien loin de la "Palestine libre, laïque et démocratique" qui avait fait trembler non seulement le sionisme mais l’ensemble des régimes réactionnaires arabes.
Cet accord est le résultat de la victoire de la bourgeoisie au sein de l’OLP, pas une victoire contre Israël.

 

Ce n’est pas vraiment une capitulation totale, comme le prétendent le Front du refus ou autres organisations radicales. Comme toute révolution démocratique, le mouvement national palestinien comportait depuis l’origine deux tendances. L’une progressiste qui visait à un projet social et libérateur au travers la lutte nationale. L’autre qui visait seulement à permettre l’accession aux affaires et eu pouvoir d’une bourgeoisie palestinienne alors opprimée économiquement et politiquement par le sionisme.
L’accord est le concrétisation ultime de la victoire (déjà ancienne) de ce deuxième courant dans le mouvement national palestinien. Dès l’origine la bourgeoisie palestinienne (comme toute bourgeoisie) n’avait pas d’autre objectif que d’arriver au pouvoir. Ne pouvant plus l’espérer aujourd’hui sur toute la Palestine, affaiblie et isolée au plan international, elle accepte de le partager dans les territoires occupés en collaborant avec le sionisme.
Il y a néanmoins une trahison grossière des espoirs de libération du peuple palestinien qui dépassaient largement le cadre du bantoustan aujourd’hui créé.

Seule la direction bourgeoise de l’OLP a su capitaliser l’Intifada.

Les médias se plaisent à montrer la signature de cet accord à un moment où l’OLP est en position de faiblesse. Certes, la direction bourgeoise de l’OLP n’avait rien fait pour lancer, et ensuite encourager l’Intifada. Certes son discours conciliateur lui valait de larges critiques parmi les Palestiniens de l’intérieur. Mais elle seule a remarquablement su utiliser à son profit son audience historique et le soulèvement, en lui offrant un débouché politique que les autres forces ont été incapables de lui apporter.
Le drapeau palestinien flotte aujourd’hui librement en Palestine, l’existence du peuple palestinien est reconnue noir sur blanc, quoi qu’on en pense c’est un tournant, reconnu comme tel par les masses palestiniennes de l’intérieur. Le grand problème c’est au profit de quelle politique ? Voilà la question essentielle.

Cette victoire n’a été rendue possible que par l’absence d’une alternative progressiste.

Le courant progressiste était dominant à l’origine de l’OLP. Mais faute d’une direction communiste, il n’a pas su évoluer, enrichir le contenu de la "Palestine démocratique" peu à peu tombé dans l’oubli. De fait cette formule est devenue creuse, s’est simplement assimilée à l’existence d’un état palestinien. Et les courants d’opposition radicale, y compris au discours marxiste connue le FPLP ou le FDLP, ont été incapables de le faire vivre et de le défendre.

 

Au fur et à mesure des trahisons de la direction de l’OLP, ils se sont arc-boutés sur sa critique et les "fronts du refus", incapables de faire vivre un projet alternatif aux manœuvres de la bourgeoisie palestinienne. La proposition et l’enrichissement de ce projet était absente du soutien à l’Intifada, de la critique des islamistes de Ramas. Et pourtant, au fil des ans, de l’immigration sioniste croissante, des naissances de plusieurs générations juives en Palestine même, il aurait bien fallu définir pour quelle Palestine libérée on se battait. Soit dit en passant, Hamas porte une telle réponse (tout à fait réactionnaire) avec son projet d’État islamique et d’intégration des juifs en son sein.
Faute d’un tel projet, face à la lassitude d’un combat de longue haleine, la bourgeoisie palestinienne avait les mains libres pour son projet. C’est cela qui explique la perplexité et l’embarras de nombreuses réactions.

L’arrière plan de l’accord est plus économique que politique

Il est symptomatique que le texte de l’accord reste dans un flou plus qu’artistique pour ce qui est des questions très politiques, comme le retour des réfugiés, l’existence d’un État palestinien. Par contre il rentre beaucoup plus dans le détail des questions économiques et de la nature des relations entre Palestiniens et Israéliens à ce propos.
L’intérêt de la bourgeoisie israélienne est de s’ouvrir le marché arabe et proche-oriental, de réussir à rompre le confinement dans lequel elle se trouve depuis 1947. L’intérêt de la bourgeoisie palestinienne est d’arriver aux affaires, ce qu’elle attend depuis des décennies sur la base d’une diaspora riche et cultivée.
Gaza et Jéricho sont les premières pierres de ce projet. Par exemple la perspective d’un port en eau profonde à Gaza s’inscrit tout à fait dans le projet d’en faire une tête de pont pour les capitalistes israéliens vers les autres pays arabes. Il y a en plus une perspective, au moins dans un premier temps, d’un afflux massif de capitaux et d’investissements provenant de tous les impérialistes prêts à payer cher le calme retrouvé dans cette région du monde.
On comprend alors mieux les enjeux de l’accord, et l’avenir se chargera de le démontrer. La perspective d’un bantoustan prospère n’est pas totalement exclue.

La démocratie bourgeoise à la sauce palestinienne.

"Mieux vaut le réalisme des laïcs de la direction de l’OLP que le fanatisme islamiste". Voilà une autre réalité de l’accord, base d’une convergence réelle avec la gauche israélienne pour le développement d’une démocratie bourgeoise. Cet accord n’est pas forcément le signe du développement d’un régime autoritaire sous direction palestinienne.
On peut s’attendre au contraire (et c’est le pari d’Arafat) à ce que les courants radicaux soient affaiblis, faute de perspective claire, par crainte d’affrontements inter-palestiniens pourtant inévitables, face au projet constructif et nouveau d’un embryon de politique et de gouvernement palestinien, tout bantoustan soient-ils.
La démocratie bourgeoise trouverait alors sa place. Démocratie formelle évidemment, on l’a bien vu à la manière dont l’accord du Conseil National Palestinien a été enlevé à la hussarde par Arafat, de manière fort peu démocratique...

Cet accord est un tournant historique, mais une trahison

Tout le monde est d’accord pour juger que c’est un tournant historique. Les diverses forces politiques vont devoir se repositionner, dans ce un contexte nouveau.
En Israël même, la mentalité d’état assiégé, "on veut nous rejeter à la mer" qui servait de ciment au consensus national autour de la politique sioniste va s’affaiblir, les contradictions de classe vont prendre plus d’importance. Parmi les Palestiniens, également, les contradictions de classe vont surgir au premier plan, quel que soit le souhait d’éviter les affrontements fratricides.
Il va falloir redéfinir un projet politique, reprendre le combat pour la "Palestine libre laïque et démocratique, où juifs et arabes cohabiteront" en lui donnant un contenu social précis, actualisé, du point de vue des intérêts des ouvriers et des paysans, arabes comme juifs anti-sionistes. Ce projet ne tombera pas du ciel et dépend maintenant des militants de toutes origines qui auront à cœur de poursuivre le combat. Faute de cette redéfinition libératrice et sociale, le combat national palestinien ne pourra plus aller de l’avant...

 

Mais affirmer que nous vivons un tournant historique dans le conflit palestinien ne nous conduit nullement à approuver l’accord qui reste une trahison inacceptable et renforce la confusion politique et idéologique dans les range palestiniens. Quoi qu’on pense de l’impasse dans lequel se trouvait le mouvement palestinien, on ne peut par réalisme ou lassitude approuver un tel accord, au nom de "il faut continuer la lutte en s’appuyant sur les aspects positifs de l’accord", ou bien "il n’y avait pas d’autre alternative", ou encore "c’était une étape nécessaire et positive car on reconnaît l’existence d’un peuple palestinien".
Il faut d’abord avoir un point de vue sur l’accord lui-même, datte ce qu’il représente, quitte à regretter l’absence d’alternative progressiste. Nullement s’adapter à un contexte imposé par les bourgeoisies des deux camps.
En ce sens les prises de position embarrassées du PCOF (en soutien critique à l’accord) sont tout à fait opportunistes. De même nous regrettons la position de Abraham Serfaty, jusque là un des dirigeants politiques les plus clairvoyants sur la Palestine, qui a pris position pour l’accord au nom du "rêve" pour le futur : "Dans l’immédiat, et pour ce qui me concerne, j’appuie le projet d’accord israélo palestinien, sans pour autant admettre la légitimité de la naissance illégitime et sanglante de l’état d’Israël. Mais tout devient, redevient possible, à partir de ce texte. Simplement, et justement pour cela, pourquoi y ajouter une Déclaration de reconnaissance mutuelle ?" (Rouge, le 9 septembre).
Et oui, Abraham, c’est justement la bonne question : pourquoi la reconnaissance mutuelle fait-elle partie intégrante de l’accord ? Rajoutons-en une deuxième : comment peut-on affirmer que tout devient possible alors qu’Israël garde la totalité du pouvoir de contrôle ?

 

A.Desaimes

 

Voir aussi, Pour une "Palestine démocratique"

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