Vous êtes dans la rubrique > Archives > ENQUETE OUVRIERE, Question 3 : « Plus unis ou moins qu’avant ? (...)

ENQUETE OUVRIERE, Question 3 : « Plus unis ou moins qu’avant ? »

La précarité progresse... Et l’unité se construit !

« Les ouvriers, c’est ça notre problème : on ne se met pas d’accord »

La division des rangs ouvriers, et plus généralement employés ou prolétaires, fait d’abord partie de ce qui révolte le plus dans la situation des travailleurs, principalement sous l’angle de l’individualisme. Quant à l’unité des exploités, elle est perçue dans l’écrasante majorité comme en recul, avec
- d’une part le développement de la précarité (« c’est la peur du chômage qui crée cela », la concurrence, la multiplication des statuts (chômeurs, sans-papiers, précaires, CDD, etc, y compris dans la fonction publique) ; les différences de situations hors travail également (éloignement domicile- travail, situation de famille, endettement) ; le barrage de la langue (« avec les travailleurs de l’Est, il y a une moins bonne ambiance collective » ; la rotation du personnel , « les contrats sont trop rapides, or pour s’organiser un peu collectivement, il faut du temps »,
- d’autre part la recrudescence de l’individualisme « jalousie, mouchardages ». « Chacun essaie de régler son problème avant d’aider l’autre ».

Si le premier aspect – le développement des différences - est renvoyé au capitalisme et à la politique patronale – diviser pour mieux régner - « le logiciel libéral tourne depuis des dizaines d’années », voire aux syndicats (« qui défendent leurs petites boutiques »), le second – le développement de l’individualisme - est rarement analysé en rapport avec les modes de gestion capitaliste des travailleurs, « l’endormissement et la perte de valeurs liés à l’intox, à la surmédiatisation ».

Quelques représentations de la politique patronale de division :

Les augmentations individuelles pour essayer de diviser », « L’individualisme a été recherché par le changement de notation .

L’individualisme est peu mis en relation avec la politique délibérée d’individualisation et d’atomisation du monde du travail et avec l’intensification et la densification du travail elles-mêmes (« les relations de camaraderie étaient plus fréquentes, maintenant il y a moins de pauses, chacun reste de son côté », ou « il n’y a plus de moments de convivialité, les rapports sont durs », ou «  avec l’organisation et la pénibilité du travail, les ouvriers ne sont pas disponibles dans leurs têtes », ce qui réduit les échanges informels autour du travail, l’entraide et les repères collectifs, face à la hiérarchie.
L’origine des changements n’est pas toujours datée, elle dépend beaucoup des expériences personnelles des répondants (âge, ancienneté, statut, nationalité, etc…), mais elle se situe dans les années 1980. Tiens, tiens, mais les années 1980, ce sont les années Mitterrand, l’apologie des chefs d’entreprise, l’appel à s’adapter aux règles du capitalisme…

Et les sans-papiers ? et les femmes ?
Nous remarquons une tendance chez les sans-papiers à estimer que la division et le manque de solidarité à leur égard a toujours existé. « Je suis ouvrier. Je ne me suis jamais vu soutenu par mes camardes ouvriers. S’il y a solidarité, c’est entre Africains par rapport aux Africains ». Un constat : « Sud Rail a fait un travail par rapport aux sans-papiers… mais ces questions ne préoccupe guère les collègues à priori ».
Le racisme existe parfois et souvent de façon latente.

Il y a une forme de racisme qui se manifeste dans une tendance à emmerder », « un complexe de supériorité », « des blagues » ; « Le racisme, ça se sent, ça se voit dans les yeux, mais ça ne se manifeste pas… Sur le chantier, il faut des Mamadous pour les postes peu qualifiés » ; « un racisme pas agressif mais dans l’ordre social.

Peu de camarades abordent la division femmes / hommes et ses dangers pour l’unité de la classe, mais l’enquête révèle ce que pensent les femmes interviewées.

L’unité : les bases objectives du « tous ensemble » existent du fait de la crise
Dans les réponses, il y a l’espoir, plutôt confirmé par les mouvements des derniers mois que le nivellement par le bas des conditions sociales poussera à l’unité, même chez les cadres, à l’inversion de tendance, et mécaniquement au recul des patrons.

« Les différences ont des conséquences plus faibles au fur et à mesure que la situation se dégrade ». « Si le patron voit qu’on est révolté ensemble, il est obligé de reculer ». « Si le feu brûle, même les précaires y seront. Je suis optimiste. »

Peu de réponses insistent sur les conditions de cette convergence, au-delà du rassemblement des mécontents : conscience de ce qu’est la lutte de classes, sous-estimation de la force de la classe ouvrière, contre-information, lutte idéologique et politique. « On se contente de régler les problèmes au coup par coup. Il nous manque une vraie information ». « Cela peut péter pour un rien, mais cela demanderait une grosse prise de conscience ».

Mais pour les plus conscients, l’unité ouvrière, cela se construit et se conquiert, répondent aussi bien les ouvrières que les ouvriers.

« Ca demande de faire un gros travail de militantisme syndical ». « Ca passe par les militants et ça ne se fera pas tout de suite ».

Car, au fil des enquêtes, le rôle des syndicats dans la construction de l’unité est souvent évoqué, on retiendra ici les exemples positifs (pour aborder une autre fois les critiques).
Pour que le syndicat soit efficace dans l’organisation de l’unité, cela repose aussi sur la conception qu’en ont les syndiqués eux-mêmes, aller au delà de la passivité dénoncée par cette assistante maternelle : « Les gens ne se bougent pas assez, il faut se prendre en mains ; ils prennent le syndicat pour une assurance, un service, ils adhèrent, et après tu ne les vois plus ».

Trois exemples positifs du rôle de l’organisation syndicale dans la construction de l’unité peuvent être retenus :
- Un camarade de PSA syndiqué CGT analyse : « Depuis ces quinze dernières années, les ouvriers sont plus unis face au patron, car trop c’est trop ; c’est aussi grâce à une bonne direction syndicale qui a su gérer les contradictions entre ouvriers, avec une meilleure conception politique ».
- Un ouvrier dans le secteur ferroviaire analyse : «  Au niveau de l’atelier, les jeunes qui sont là depuis 3 à 6 ans commencent à développer une conscience syndicale. Mais la rotation du personnel est un frein à la construction syndicale. Pourtant, ce pourrait être un moteur. C’est la politique de la direction qui pousse à l’individualisme… Sud Rail fait un travail par rapport aux sans-papiers qui travaillent dans le BTP, le nettoyage, les restos, mais ces questions ne préoccupent guère les collègues a priori. Cela demande de faire un gros travail de militantisme syndical, de faire comprendre la nécessité de la convergence des luttes ».
- Enfin cet exemple proposé par un postier : « Sur notre site, les liens se tissent entre intérimaires et postiers. On a obtenu une prime locale pour les intérimaires, on les défend aux Prud’hommes. Plus les conditions se durcissent, plus on est soudés. Cela n’a pas été spontané, on a fait des AG illégales ».

Pour conclure :
Que l’unité se construise en luttant non seulement contre l’offensive patronale, mais aussi contre les divisions internes à la classe ouvrière, cela se dégage très clairement de cette enquête : contre les divisions entre hommes et femmes, entre qualifiés et non qualifiés, entre fixes et précaires, entre avec et sans papiers…
Ainsi, les ouvriers et ouvrières interviewés donnent-ils au quotidien un sens très concret à l’aspiration au « tous ensemble ». Pour ne pas rester un slogan creux, ce n’est pas que dans la rue mais dans l’usine, le service, que cette unité se forge, et c’est dans ce processus que se délimite et se renforce le camp ouvrier.

B.C. et T.

Soutenir par un don