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Socialisme, Parti et démocratie

Article de Partisan n°51 - Mai 1990

Face à des structures bureaucratiques rejetées par les peuples, qu’il s’agisse du parti ou de l’État, la solution qui paraît la plus immédiate, la plus facile à saisir au niveau de mas-se pour retrouver un pouvoir, ce sont des instances élues, parlement, gouvernement et président. Par le vote on peut rapidement réformer l’État dans un sens plus démocratique ; ce n’est pas le cas pour un parti : sa composition et ses décisions ne dépendent que de lui. Mais il faut aussi que cet État soit relativement autonome vis-à-vis des partis, qu’il soit l’autorité suprême de la société et qu’il paraisse exprimer la souveraineté populaire.

 

C’est la voie qu’ont suivi les révoltes récentes contre les partis uniques et leur môle dirigeant, copiant le modèle le plus proche, celui des pays occidentaux.

Est-ce une conquête démocratique ?

Ces réformes électorales sont apparues dans plusieurs pays comme une démocratisation imposée par les masses, et c’était effectivement un aspect de la situation. Mais en URSS, d’où le mouvement est parti, on voit clairement que les mêmes dirigeants peuvent être aux postes de commande côté parti ou côté État, quelle que soit la forme des institutions, et se poser en réformateurs à l’initiative de la "démocratisation". Gorbatchev avait conquis le pouvoir dans le parti et il a pu grâce à cela lancer Glasnot et Pérestroïka. Quel besoin avait-il d’être Président de la République, de soumettre le parti à des élections au risque qu’il disparaisse, de démocratiser pour être confronté à des aspirations multiples, ouvrières et nationales, en URSS et dans l’ensemble de l’ex-bloc soviétique ?

 

Gorbatchev n’est pas plus pour cela un démocrate, qu’il n’est un pacifiste parce qu’il a proposé une réduction des armements. L’URSS est en crise sur le plan économique et bloquée politiquement par un parti coupé des masses. Si les dirigeants réformateurs ont fini par s’imposer dans le parti, cela ne leur permettait pas de débloquer la situation sociale. Pour relancer l’économie, ils avaient un problème de mobilisation populaire, de consensus. Ils ont compris la leçon, et la supériorité, des démocraties occidentales : s’il faut des efforts, des sacrifices, mieux vaut les faire voter par les citoyens. Au non de la liberté et de la consommation, ces dirigeants prennent des mesures qui vont rompre les rigidités de l’emploi (licenciements, chômage), des revenus (accroissement des écarts), favoriser la rentabilité et le profit avant tout. Mais ils les font légitimer par le vote, comme si c’était l’intérêt général, la volonté des citoyens. (Voir Partisan n°47 : La "révolution" de Gorbatchev).

 

Un parti a une orientation sur laquelle il est engagé et responsable. Par contre un État sur le modèle des démocraties bourgeoises paraît neutre, au-dessus des partis. Il permet de maintenir le pouvoir d’une classe tout en gérant les différentes contradictions de la société, d’opinions ou d’intérêts. Il se pose en arbitre, organise les compromis ou la répression, tout en maintenant l’illusion qu’il est l’émanation et le représentant de tous. Le multipartisme est fondamental dans ce jeu : il donne l’impression d’une âpre lutte politique, sanctionne ceux qui échouent, même s’il y a une convergence fondamentale entre les partis sur la défense du système. On connaît les joutes électorales droite-gauche, travaillistes-conservateurs, démocrates-républicains, sociaux-démocrates, chrétiens-démocrates... et on est bien placé pour savoir que ça ne change rien ! L’alternance présentée par ces partis comme le fin du fin de la démocratie ne fait que régler des comptes entre complices. Par contre, lorsqu’un parti communiste les menace, il est combattu, réprimé, et ils n’ont de cesse de le faire disparaître.

 

Pourtant le multipartisme est actuellement une revendication importante des peuples à l’Est. L’inversion de la place et du rôle respectifs de l’État et du parti va à la rencontre de leurs aspirations après des années de dictature de partis bourgeois bureaucratiques ! Mais il correspond aussi aux besoins des classes dominantes de ces pays et ce sont elles qui maîtrisent ou ont repris la maîtrise, du processus de la réforme.

 

Si la question de ce changement s’est posée, c’est que la situation dans ces pays est le résultat d’un processus de dégénérescence du socialisme des partis ayant dirigé une révolution sont devenus les partis de nouvelles bourgeoisies. Mais aujourd’hui, ils représentent une gêne pour ces classes dans leur tentative de résoudre la crise et le blocage de leur société.

 

Est-ce que cela remet en cause le rôle dirigeant du parti dans une société réellement socialiste ? Il faut bien tenir compte des expériences négatives, mais que faut-il retenir et que faut-il rejeter de celles-ci sur la nature de la démocratie et du pouvoir, les rapports parti-État, pour aller vers une société communiste ?

Un parti pourquoi faire ?

S’il y a eu une telle dégénérescence, c’est à cause de politiques erronées. Mais si de telles politiques ont pu exister et ont eu ces effets, c’est que l’évolution vers le communisme n’est ni évidente, ni spontanée.

 

Les marques de la société capitaliste subsistent après que le pouvoir ait changé de classe. La division du travail, la séparation intellectuels-manuels, les rapports impérialistes, les hiérarchies, les différences économiques et sociales, l’argent existent à l’instauration d’une société socialiste et ne peuvent disparaître immédiatement par de simples décisions. Il y a encore, pendant une longue période, des manifestations du capitalisme à travers des facteurs objectifs, matériels. tome si la propriété privée des moyens de production a été supprimée, on ne peut en faire autant du jour au lendemain contre la plus grande maîtrise par certains de la gestion, des connaissances, des habitudes de direction.
Spontanément, c’est cela qui s’impose et se reproduit dans les rapports entre les hommes et qui influe sur leur conscience.

 

Il faut donc une volonté constante de s’attaquer à ces bases du capitalisme. Il faut une politique qui ait cela pour but et qui vise le communisme. La lutte pour l’avancée vers le communisme et contre le retour au capitalisme doit être menée consciemment. Les aspects capitalistes ont l’"avantage" d’être en place, appuyés sur des habitudes ; le socialisme doit être élaboré et construit. La lutte de classe se poursuit dans de nouvelles conditions et c’est la ligne politique mis en œuvre qui détermine la voie suivie, l’avancée ou le recul.

 

Pour porter cette politique, il faut un parti, regroupant ceux qui ont le même objectif d’aller vers le communisme et qui le manifestent dans leur comportement, dans leur pratique. Un parti qui à chaque moment progressivement, sache proposer les mesures nouvelles permettant d’avancer, un parti d’avant-garde.

 

S’agit-il alors simplement que le parti dise ce qu’il faut faire ? Qu’est-ne qu’on entend par rôle dirigeant du parti ?

Parti et masses

L’expérience du mouvement ouvrier a montré qu’il y avait de grosses lacunes des partis communistes pendant ces périodes. De fait, la quasi-totalité a mal tourné. Ce n’est pas la conséquence uniquement de la personnalité ou des erreurs de tels ou tels dirigeants. Non seulement des erreurs peuvent être faites sur l’orientation, mais le parti n’échappe pas à la lutte des classes qui se poursuit dans la société, à la pression des facteurs de retour au capitalisme. L’intervention des militants dans la société entraîne des risques de déviation : ils se retrouvent facilement, du fait même de leur rôle moteur dans la transformation de la société et de leur appartenance au parti, à des postes de responsabilité, s’occupent de la gestion, ont des propositions ; ils peuvent peu à peu se substituer aux masses, s’entendre entre eux pour prendre les décisions. Ils finissent par constituer une nouvelle couche bureaucratique. Même animée des meilleures intentions et s’ils veulent prendre des décisions dans l’intérêt des masses, ils bloquent le progrès de la société socialiste. Ce qui fondamentalement mesure cette progression, c’est la prise en charge par de plus en plus de gens de tous les aspects du fonctionnement de la société ; ce n’est pas le dévouement et les idées des militants du parti.
Si une telle déformation bureaucratique se produit, arrivent alors et se développent la recherche d’intérêts personnels, de privilèges, de pouvoir et la répression. L’attitude qui aboutit à imposer une politique, même si c’est au nom du socialisme et du prolétariat et à un comportement passif, suiviste des masses, ouvre la voie à le constitution d’une nouvelle bourgeoisie.

 

Prévenir une telle situation t’ait partie des objectifs d’un parti communiste. Mais cela ne suffit pas. Pour éviter la bureaucratisation et favoriser au contraire la responsabilisation de tous, il faut des moyens d’expression et d’action autonome des masses : depuis le droit d’exprimer ses opinions et de voter sur les grandes orientations (la planification aussi bien que la diplomatie) jusqu’à des organisations démocratiques dans tous les domaines (entreprises, quartiers, femmes, jeunes...), en passant par l’intervention organisée sur tous les rouages de la société pour en relever les défauts et proposer des correctifs (y compris à l’égard des militants du parti).
Par ailleurs, puisqu’une Révolution a eu lieu, c’est que de nouveaux organes de pouvoir des masses ont été créés, des conseils, des comités ou des soviets. Ce pouvoir doit se poursuivre : ces organes constituent la base du nouvel État, leur rôle doit être progressivement renforcé et élargi. Issu de la base, représentant la masse des citoyens, avec des élus révocables à tout moment, ce n’est plus Un État bourgeois ; c’est un État socialiste, différent, mais qui est encore basé sur la délégation de pouvoir à des représentants, donc encore sur une séparation dirigeants-dirigés. L’objectif est de la faire disparaître de même que l’ensemble des autres survivances de l’ancienne société, de manière à ce que finalement l’ensemble des citoyens exerce consciemment et collectivement le pouvoir par le débat et la coopération.

 

En définitive, comment s’établissent les rapports entre ce parti et les masses ?

 

C’est la participation consciente des masses qui est déterminante pour l’avancée du socialisme. Mais leur intervention nécessaire ne peut élaborer des positions d’avant-garde, les mesures conformes au but à atteindre.
C’est un parti qui peut le faire et qui doit diriger. Un aspect fondamental de son rôle, c’est de faire prendre conscience et faire prendre en main par les masses la construction d’une nouvelle société ; c’est-à-dire d’accepter et de s’obliger à en passer par là. Même si par ailleurs ses propositions étaient justes, il échouerait s’il se substituait à elles.

 

Cette unité parti-masse est possible : non seulement à travers une action idéologique, de persuasion, mais parce qu’elle e des bases concrètes. La société communiste répond aux intérêts fondamentaux des peuples. Si on ne le pense pas, c’est un autre problème et on peut douter de la réalité de cette unité et opposer parti et masses.

 

Ceci ne veut pas dire qu’il n’y a pas de conflits, de différends, d’incompréhensions qui peuvent se produire. Mais il y a une unité fondamentale qui permet de les résoudre vers le haut : vers un niveau de conscience et d’unité plus élevé et plus fort.

Quels rapports Parti – État ?

C’est un cas particulier, mais important de ce qui vient d’être dit.
L’État manifeste principalement à travers les élections et la centralisation des conseils, les idées, les choix, les intérêts des citoyens à un moment donné. Il n’y a pas d’État d’avant-garde, d’État communiste. Il doit être dirigé par le parti.
Cela ne veut pas dire que ce dernier peut se substituer à lui. Tout d’abord très concrètement, le parti doit rester une organisation de travailleurs, présent surtout dans la production, et les communistes doivent poursuivre leur activité professionnelle et leur militantisme sur leur lieu de travail. Ainsi, tant leur participation aux rouages de l’État, qu’inversement l’adhésion des agents de l’État au parti doivent être limitées.
Ensuite et surtout, l’État n’exprime pas que des vagues opinions, mais un pouvoir politique centralisé. Quelle est sa portée et comment peut-il l’exercer ?
Pour les raisons avancées ci-dessus, l’État ne peut définir et appliquer de manière .autonome une politique. Dire qu’il ne peut le faire, ne veut pas dire qu’il ne serait pas capable de définir une politique : les débats au moment des élections, ceux qui ont lieu dans ses instances aboutissent forcément à des positions centralisées. Mais cela veut dire : d’une part que cela ne peut aboutir spontanément sur une orientation communiste ; d’autre part que ne doit pas être mise en œuvre une orientation différente de celle déterminée par le parti communiste.
Le rôle de direction du parti, ce n’est pas uniquement faire la propagande de ses idées et laisser la société évoluer dans un sens ou dans l’autre suivant qu’il e été convaincant ou pas.
Celui qui a le pouvoir oriente la société soit vers le communisme, soit vers le capitalisme. La lutte pendant cette période n’est pas seulement un débat d’idées, c’est une question de pouvoir.
S’il y a désaccord, le parti ne peut se soumettre et laisser faire : ce serait nier la nécessité de sa direction politique pour avancer vers le communisme ; il ne peut y avoir une autre politique appliquée.
Il ne peut imposer ses vues : ce serait nier que les masses elles-mêmes doivent édifier le socialisme.

 

Diverses possibilités sont envisageables, sans chercher à répondre à des situations précises. Le parti peut rectifier des erreurs (il en a sûrement fait pour qu’on en arrive là), il peut décider de reculer si ses positions ne sont pas acceptées, il peut déclencher des luttes de masses d’envergure, Ainsi la Révolution Culturelle avait permis de progresser dans la transformation des rapports sociaux. Même pendant l’édification du socialisme, il peut y avoir de telles lut-tes à caractère de classe, révolutionnaires. Très peu probable d’ailleurs qu’on aboutisse à une opposition tranchée entre l’ensemble du parti et tout l’État de l’autre : les divergences traversent les uns et les autres. Mais le principe reste que le parti a une ligne majoritaire et qu’elle fixe un cadre pour la société, même si des luttes peuvent l’amener à reconsidérer ses positions.

 

La relation parti-État n’est pas une simple hiérarchie : c’est un rapport à double sens, reflet de la dialectique entre le parti et les masses. On ne peut la concentrer dans une seule formule sur le rôle dirigeant du parti, qu’il faut maintenir, sans le lier à l’édification au socialisme par les masses.

Conclusion partielle et provisoire

Ces quelques positions sont tirées du bilan des expériences socialistes qui ont existé, dont nous avons retenu des enseignements positifs. Ceux-ci sont exprimés quant au fond dans les thèses de notre 2ème congrès. C’est bien sûr une question beaucoup plus large que ce qui est abordé ici seulement sous l’angle des rapports Parti-masses-État. Notamment à propos du parti lui-même, il faudrait dire beaucoup de choses sur son fonctionnement, le dé-bat et la lutte politique en son sein, sa composition sociale pour qu’il puisse jouer dans de bonnes conditions son rôle dirigeant. De même que ne sont pas abordés le rôle important que doit jouer concrètement la classe ouvrière et l’ensemble des caractéristiques de la dictature du prolétariat sur l’État et les alliances de classe.
Il faut avoir les idées les plus claires possibles pour ne pas se laisser emporter par la vague des idées bourgeoises, continuer à militer pour une société socialiste, construire une organisation communiste. Car ce ne sont pas seulement des positions pour l’avenir. Ce parti, différent de ses prédécesseurs, rectifiant les erreurs, il se construit dès aujourd’hui et en fonction de ce but : dans son fonctionnement, dans son rapport aux organisations de masse, dans la polémique, ce sont ces idées, ces enseignements qui sont appliqués. C’est cela qui peut permettre de progresser sur des bases correctes et éviter les déviations qui ont conduit au recul actuel.

 

Pierre SILVANI

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