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Tunisie : victoire des islamistes !

Partisan N°252 - été 2011

Le 23 octobre, plus de 7, 5 millions d’électeurs étaient appelés à voter démocratiquement pour la première fois depuis des décennies. Les élus formeront l’assemblée qui décidera de la nouvelle constitution tunisienne. Sur les inscrits, 4,1 millions s’étaient inscrit volontairement, les autres l’avaient été de manière automatique. 3,7 millions d’électeurs ont voté, soit moins de 50 %, car le taux de participation des inscrits automatiques a été très faible (14%).
Avec 41,7 % des voix, le parti islamiste Ennahdha obtient 91 sièges, devançant le CPR de centre gauche (30 sièges), Ettakatol membre de l’Internationale socialiste (21 sièges), la Pétition populaire (19 sièges), le PDP centriste (17 sièges), le Pôle démocratique moderniste formé autour de l’ex-PC tunisien (5 sièges)… Les listes soutenues par le PCOT, El Badeel Etthaouri, ont obtenu 1,32 % des voix et trois sièges : un à Sfax, ville industrielle, un à Kairouan, et un à Siliana d’où est originaire la famille du dirigeant du PCOT, Hammami. Quatre listes ont de 5 à 2 élus, et quatorze listes un seul. 49 femmes ont été élues, soit 24 % des sièges pourvus. Cela est le résultat de l’exigence de parité intégrale imposée aux listes. La majorité de ces femmes sont donc des islamistes.
La surprise vient moins de la victoire d’Ennahdha, prévue, bien qu’avec un score moins important, que des résultats de La Pétition populaire. Ces listes ont été créées par un homme d’affaire tunisien résidant en Grande Bretagne où il possède et anime une télévision très écoutée en Tunisie. Cette personnalité originaire de Sidi Bouzid, d’où est partie la révolte, a été proche des islamistes. Il est soupçonné d’avoir eu ensuite des contacts étroits avec Ben Ali.
Un gouvernement transitoire va être constitué autour d’Ennahdha avec la participation du CPR et d’Ettakatol. Ces partis ont engagé des tractations pour la formation d’un gouvernement en principe dirigé par l’islamiste Hamadi Jebali, interlocuteur privilégié des chancelleries "occidentales" et surtout des Américains. Ce gouvernement sera socialement d’orientation libérale et très lié à l’impérialisme américain qui avait des contacts réguliers avec Ennahdha sous Ben Ali.
Comment expliquer qu’un mouvement populaire d’une telle ampleur débouche sur une victoire des courants islamistes et des partis du centre ?
Les islamistes n’ont pas joué de rôle dans le soulèvement populaire de décembre, mais ils en récoltent les fruits. Nous avons vu, à l’occasion d’un séjour en Tunisie, que leur succès pouvait avoir plusieurs causes. D’abord, ils sont les victimes les plus connues de Ben Ali. Ensuite, après la chute de ce dernier, ils ont occupé l’espace public : les médias, les quartiers en y rachetant de nombreux locaux pour en faire des sièges, en investissant les mosquées avec leurs imans, après que ceux désignés par Ben Ali aient été virés. Enfin l’argent des Etats du Golfe et l’appui de la confrérie des Frères musulmans (dont son président Ghannouchi est membre de la direction) assurent à Ennahdha des moyens matériels et politiques importants. Maintenant, la victoire des islamistes dits modérés encourage les radicaux qui provoquent de nombreux incidents dans les écoles et à l’université où ils font pression sur les élèves comme sur les professeurs. Ennahdha n’a pas encore condamné ces agressions.
La question qui nous intéresse est alors : pourquoi les forces révolutionnaires ont si peu pesé dans ces circonstances ? Seul le PCOT a eu des élus. Mais peu.
A la fin de l’été, nous avons vu que la campagne électorale absorbait toutes les énergies militantes de partis qui avaient des liens faibles avec les exploités et les ouvriers dont une très forte proportion sont des femmes. De plus, ils n’avaient pas de vraie réponse à la question majeure pour les jeunes : l’emploi. Ils ne pouvaient que surenchérir sur les revendications démocratiques des partis bourgeois, sans affirmer la spécificité de leur programme politique et social révolutionnaire. Si les tâches démocratiques et nationales sont principales en Tunisie, elles ne sauraient être une radicalisation des réformes démocratiques bourgeoises.
Des marxistes-léninistes, du courant patriotes-démocrates, ont refusé de s’inscrire dans ce processus électoral. Ils ont critiqué l’opportunisme des révolutionnaires qui y mettaient toutes leurs forces. Jusqu’à présent, ils ne formaient qu’un réseau militant. Maintenant, ils s’engageraient dans la construction d’une organisation, avec la conviction que seul un travail prolongé permettra de dégager, à moyen terme, une alternative politique pour le peuple tunisien.

 

GF

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