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Les élections et la gauche révolutionnaire

Sénégal

La naissance du mouvement révolutionnaire

Après les grèves ouvrières de mai 1968 au Sénégal, les élèves, les étudiants, les ouvriers, les intellectuels, battent le macadam pour lever le verrou du parti unique de Senghor (1). Ils exigent la réforme du code du travail favorable aux intérêts néo-coloniaux et à la bourgeoisie compradore, et la liberté d’association. Le prix payé est lourd : arrestations, enrôlements de force dans l’armée, emprisonnements, affectations arbitraires, licenciements, meurtres politiques.
Le pouvoir vacille, mais aucune force organisée n’existe visant la prise du pouvoir. Les intellectuels révolutionnaires, tirant le bilan des événements de mai 1968 et des années de braise de 69, 70, 71, en arrivent à la nécessité d’une organisation révolutionnaire marxiste-léniniste, soit d’obédience moscovite, LD- MPT (2), PIT(3), soit d’obédience maoïste (Xarébi - La Lutte). Ces organisations sont clandestines. Leur répression est féroce.
Senghor s’emploie alors à empêcher l’implantation de ces organisations. Il organise aussi une ouverture démocratique limitée à quatre courants, dont un est attribué au PAI (4), premier parti dit marxiste. Mais les organisations révolutionnaires s’implantent dans les quartiers, les usines, les écoles, avec la perspective d’une révolution nationale démocratique et populaire sous la direction de la classe ouvrière, de la paysannerie et du parti m-l armé de la pensée Mao Ze Dong. Cette période a été la plus productive sur le plan politique : liaison avec les masses, délimitation idéologique avec les courants réactionnaires et opportunistes. Cela a été porté par l’organisation And Jëf -MRDN (5).
Mais l’Etat, avec Senghor jusqu’en 1981, puis après avec Abdou Diouf auquel le premier a cédé le pouvoir, décide d’étatiser, de parlementariser la politique par une ouverture démocratique intégrale. Les partis révolutionnaires négocient mal ce virage et tombent dans le piège d’une domestication étatique de la politique par les élections. La liaison avec les masses, le travail de réflexion théorique m-l, l’affirmation d’un objectif final communiste, la lutte contre les nouvelles formes d’opportunisme, sont abandonnés au profit de l’électoralisme. Les masses luttent sans réelle direction contre Diouf et le PS. Emprisonnements, affectations arbitraires, meurtres politiques se poursuivent jusqu’en 2000. Alors, couronnement de leur déliquescence réactionnaire et opportuniste, les partis ex-révolutionnaires décident de soutenir le PDS (6), parti libéral, au seul fait que son candidat, Abdoulaye Wade, est apte à battre le PS essoufflé par 40 ans de pouvoir gabegique, despotique à la solde de l’impérialisme, de ses instruments financiers (BM, FMI). En 2000, Wade arrive donc au pouvoir porté par la coalition « Tout pour le départ de Diouf ».

La victoire du TOUT SAUF DIOUF, et la liquidation de l’opposition révolutionnaire

Wade, arrivé au pouvoir, s’emploie à démanteler les partis ex-révolutionnaires parce qu’en leur sein existent encore des militants communistes, non organisés autour d’une ligne, mais constituant le levain possible d’un renouveau révolutionnaire. AJ-MRDN est sa cible principale. La participation de ses dirigeants au gouvernement de Wade sanctionne l’aplatissement du parti, mais nombre de ses cadres sont toujours rétifs à toute politique libérale. En 2005, ce parti est renvoyé du gouvernement parce qu’une frange de celui-ci avait jugé opportun de faire assumer au secrétaire du parti, pour les élections, une candidature contre l’impunité et la gabegie. Cette frange du parti s’adosse encore à des référents m-l ou à une radicalité éprouvée par des années de luttes. Mais elle reste prisonnière de l’électoralisme et du réformisme. Le but final, le communisme, a cédé la place à la lutte pour un Etat capitaliste plus ou moins propre.
En 2010, Wade casse AJ- MRDN en deux partis du même nom, après avoir travaillé à une vaste opération de purge des plus radicaux qui ne veulent plus d’alliance, même tactique, avec lui. Ces purges débouchent sur le création d’un parti dit anti-capitaliste : YAW - Pour l’Autonomie Populaire. En 2009, aux élections locales, les coalitions de partis d’opposition gagnent les mairies des grandes villes. Ainsi est revigorée l’idée selon laquelle le départ de Wade en 2012 est à portée de main. Les partis ex-gauche électoraliste travaillent dans le cadre des Assisses Nationales rassemblant les partis dits d’opposition et des personnalités indépendantes. Parallèlement, BENNO (7) regroupe les partis pour une candidature unique de l’opposition. Comme à son habitude, la gauche ex-révolutionnaire se dilue dans les eaux glaciales des seules tâches démocratiques en proposant un mandat au futur candidat, un gouvernement restreint, moins de pouvoirs au président, un peu plus au parlement. Ces propositions réformistes, sans une organisation révolutionnaire consciente de son objectif de transformation de la société au profit des travailleurs, ne servent qu’à la survie du capitalisme.

Les révoltes actuelles et les impasses du TOUS SAUF WADE

Pour trouver un candidat portant le TOUT SAUF WADE, la gauche tente sa réunification en un grand rassemblement des partis de gauche et de l’ex-gauche révolutionnaire. Mais l’urgence est d’abord la re-fondation d’une politique révolutionnaire portée par une organisation regroupant les individualités et organisations anticapitalistes, une organisation communiste qui, dans les dédales des obligations démocratiques, se fraie toujours son chemin au nom de son identité et de ses objectifs.
Le 23 juin 2011, le pouvoir PDS tente de faire voter par l’assemblée nationale « le quart bloquant ». Le président pourrait alors être élu s’il obtient le quart des inscrits dès le premier tour. Contre ce coup fourré, le peuple monte sur la scène de l’histoire par des émeutes, assiège l’Assemblée nationale. Pris de peur, le pouvoir recule. Les partis, la société civile sont débordés et récupèrent le mouvement en créant le M23 (8). La nouveauté est l’irruption, à côté des partis politiques, d’un mouvement de rappeurs « Y EN A MARRE ». Le chant, l’action et le discours politique portent l’idée que la politique requiert un changement du type sénégalais, un contrôle et une sanction par le peuple de tout gouvernement à tout moment. Il intègre la protection de l’environnement en prenant en charge le nettoyage des lieux de rassemblement. Il est représentatif des jeunes à qui le gouvernement n’offre que le chômage, le stress d’être sans avenir. Mais la revendication principale du mouvement est le départ de Wade sans le souci d’une politique alternative. Le contrôle populaire sur un gouvernement ne peut que donner un Etat capitaliste propre masquant mieux les inégalités sociales.
Place de l’Obélisque, le peuple se mobilise contre la candidature de Wade (85 ans officiellement + 2 mandats). Parmi les manifestants, un candidat du PS, un ancien premier ministre, un autre premier ministre, un ancien premier ministre de Wade, un ancien ministre PS. Tous se sont enrichis grâce à leur passé de ministres des gouvernements passés. Ils sont les candidats favoris de l’élection présidentielle à coté d’autres qui sont des outsiders, dont un ex-maoïste ex-ministre des affaires étrangères de Wade pendant une dizaine d’années. La gauche ex-révolutionnaire soutient celui-ci sur la base des conclusions des Assises (9).
L’opposition est portée par des jeunes radicalisés qui s’affrontent à un pouvoir qui dilapide les deniers publics, viole la constitution, et leur offre des enseignements au rabais. De la place de l’Obélisque, le 23 janvier 2012, l’émeute est repartie, continuant celle du 23 juin 2011. Il y a des morts mais les émeutes continuent. Proche de la Présidence, la place de l’Indépendance est devenu le lieu élu de la contestation. Celle-ci vise l’Etat et uniquement sa gestion par une clique de politiciens.
Pendant ce temps, des militants révolutionnaires isolés ou organisés dans ces partis de gauche ont soutenu, par défaut, l’idée d’un candidat porteur des valeurs de gauche et sans aucune illusion de gain électoral significatif. Les élections sont pour eux comme une tribune où développer l’idéal révolutionnaire dont a besoin une frange de la jeunesse. Mais ils ont été marginalisés par l’opportunisme de droite arguant le vote utile.

Tirer le bilan du passé…

Le temps est venu de rompre avec toute force bourgeoise. Les communistes et les révolutionnaires fermes sur l’idée pure d’égalité doivent s’organiser de façon indépendante. Le communisme, au sens de Marx, est une capacité d’organisation consciente et politique en vue de la liquidation des inégalités sociales. Analysant la Commune de Paris, il soutient qu’il faut rompre d’avec toute illusion démocratique, et retenir l’idée que l’Etat bourgeois, même le plus démocratique, doit être détruit. L’’idée communiste ne se réduit pas à la pensée démocratique.
Les militants communistes, les m-l maoïstes, ont l’impérieuse obligation de faire le bilan des parcours organisationnels et individuels pour refonder une politique émancipatrice, égalitaire, sans laquelle toute alliance stratégique ou électoraliste avec des forces de droite ou bourgeoise s’avère être une déviance. La politique communiste commande toutes les autres. Quels que soient les scénarios possibles au regard des élections et des émeutes, les communistes sont sommés de mettre en avant les tâches émancipatrices et alternatives au capitalisme.

L’HEURE EST A LA CREATION D’UNE ORGANISATION ANTICAPITALISTE INTERNATIONALISTE

Kheuch, un militant communiste

 


- 1) PS : Parti socialiste au pouvoir de 1960 à 2000
- 2) LD/MPT : Ligue Démocratique - Mouvement pour le Parti du Travail
- 3) PIT : Parti de l’Indépendance et du Travail
- 4) PAI : Parti Africain de l’Indépendance créé en 1958
- 5) AJ-MRDN : And Jëf – Mouvement Révolutionnaire pour la Démocratie Nouvelle (And-Jëf en wolof signifie « agir ensemble »)
- 6) PDS : Parti Démocratique Sénégalais, au pouvoir depuis 2000
- 7) BENNO : cadre unitaire de l’opposition, autour de Tout sauf Wade
- 8) M23 : Mouvement du 23 juin
- 9) Les Assisses Nationales : cadre de réflexions et de propositions de voies et moyens pour le départ de Wade

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